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IX. — CONFLITS LIES A LA PENURIE
Les conflits sur l’eau actuels ou potentiels les plus
préoccupants sont liés à la pénurie, au problème du partage
d’une ressource devenue insuffisante par rapport aux besoins,
soit que ceux-ci aient augmenté, soit que la ressource se soit
réduite. Avant d’aller plus loin, donnons deux exemples
dramatiques des conséquences potentielles d’une insuffisance
des ressources, bien que dans ces deux exemples, la ressource
en question ne soit pas l’eau. Il s’agit de l’île de Pâques et du
génocide Rwandais de 1994, au cours duquel environ 800 000
personnes (11% de la population) ont été massacrées en un mois.
Il est classique de dire que ce génocide a pour origine un conflit
ethnique entre Hutus et Tutsis. Le premier à avoir mis en cause
cette interprétation est Jared Diamond, géographe américain
auteur de « Effondrements » paru en France en 2006, ouvrage
qui analyse les cas de catastrophes des civilisations du passé
faute d’avoir su gérer leur environnement. Il traite d’abord du
cas bien connu de l’île de Pâques, découverte en 1722 par les
Hollandais ; cette civilisation totalement isolée, sans contact
depuis plusieurs siècles avec le monde extérieur et se croyant
seule au monde, a détruit entre le XVe et le XVIIe siècle son
environnement en abattant tous ses arbres pour en faire des
rondins pour déplacer ces immenses statues de pierre bien
connues, les Moaï, qui servaient de symboles de domination
aux prêtres ou aux puissants ; l’érosion des sols et la perte des
moyens de production alimentaire qui en est résulté n’ont plus
permis de maintenir une société estimée initialement entre
6 000 et 30 000 âmes ; en 1680 environ, des révoltes contre
les élites, une guerre civile et des massacres incluant du
cannibalisme ont réduit cette population à quelques 30% de sa
population initiale. Au Rwanda, selon Diamond (2006), c’est la
croissance démographique démesurée de ce pays, d’environ 3%
l’an, et la réduction continue des moyens disponibles per capita
pour produire la nourriture qui a conduit au massacre. Toutes
les terres cultivables étaient exploitées ; la population avait
atteint la densité de 760 habitants par km², proche de celle de la
Grande Bretagne, et n’était plus en mesure de se nourrir compte
tenu des méthodes agricoles utilisées. En 1985, la production
alimentaire par habitant, après avoir crû de 1966 à 1981, était
redescendue au niveau de 1960. C’est la pénurie qui aurait été la
cause première des massacres, ce qui serait en partie confirmé
par le massacre de Hutus par des Hutus, dans des zones où
les Tutsis étaient minoritaires ou absents. Un conflit ethnique
est bel et bien présent, il existe historiquement des conflits
ancestraux entre les deux communautés, mais l’hypothèse de
Diamond est que la cause première du conflit est la raréfaction
de la ressource [3] et qu’ensuite seulement le conflit s’habille
en conflit ethnique, religieux ou culturel, ou est délibérément
orienté vers un tel conflit par la propagande. Au Rwanda, la
raréfaction de la ressource n’était pas l’eau, c’est un pays très
humide, mais la disponibilité de terres agricoles sur lesquelles
cultiver pour se nourrir. Ce risque de pénurie avait été anticipé
par des agronomes belges (Wils et al., 1986), sans qu’aucune
action ne soit prise pour éviter la crise. Mais la même chose
peut se produire pour les conflits liés à l’eau, laquelle peut bien
souvent être la cause première de la raréfaction des productions.
Elle peut servir alors d’étincelle pour ranimer des conflits
ancestraux liés à l’ethnie, au nomadisme, à la religion…