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A quelques dizaines de mètres de la route, un énorme trou au milieu des arbres. Au fond, plusieurs centaines de cadavres. D'en haut, on distingue nettement les vêtements aux teintes vives ainsi que la coloration blafarde et cendrée des visages et des mains. Au-dessus de ce magma humain, une femme gît dans une pose grotesque et obscène.
Gamaliel Segnicondo, enseignant à l'école primaire, témoigne: « Les massacres ont commencé à partir du 8 avril (la mort du président rwandais remonte au 6 avril au soir). Depuis deux jours, les gens venaient se réfugier à la paroisse (l'église et les bâtiments environnants). Les « padre » étaient partis. » D'après lui, ils ont été près de huit cents à rejoindre ce « refug ». Ils ont été massacrés dans l'église.
Tous ont été tués à la machette, au bâton ou avec une barre de fer. « Juste un coup sur le sommet du crâne », insiste Gamaliel. « Pour certains, on avait pris soin, avant, de leur lier les mains. Pendant ce temps, j'étais caché car je savais que j'étais sur la liste. Puis, j'ai appris l'existence de ce trou. C'est là qu'ils jetaient les cadavres même si certains étaient encore vivants. » Gamaliel l'affirme: « Ce sont les milices MRND (le parti au pouvoir) et CDR (formation la plus extrémiste créée par les partisans de la dictature) qui ont perpétré ces massacres. » A Rukara, non loin de là, les milices gouvernementales ont fait entrer 1.500 et 2.000 morts dans un trou similaire. Au bas mot, 700 à 800 cadavres (comment les compter?) pourrissent au soleil ou fermentent dans l'ombre intérieure des maisons.
Leur vision est repoussante, insoutenable. Quelques kilomètres plus loin, dans la paroisse de Mukarange, il y a ce bûcher improvisé où pendent bras et jambes, ainsi que des corps qui semblent s'obstiner à ne pas brûler. Un de mes interlocuteurs me dit: « Les morts, on n'a pas fini de les trouver. Dans les paroisses, c'est facile, on sait qu'ils sont là. Mais dans les forêts, combien sont-ils? »