Citation
De notre envoyé spécial au Rwanda.
« IL nous faudra juger et punir les coupables pour que la réconciliation puisse vraiment devenir effective... » Ce principe, le premier ministre Rwigema vient de le proclamer à Gisenyl, sur la frontière zaïroise. Deux jours plus tard, le vice-président Kagame faisait de même à Byumba, non loin de la frontière ougandaise. A travers tout le pays, c'est une vaste et systématique campagne d'explication et de mobilisation qu'a entamée le gouvernement d'union nationale. Ministres, députés, bourgmestres, officiers, personnalités de la « société civile », tous sont mobilisés pour un quadrillage minutieux du pays, préfecture par préfecture, commune par commune, colline par colline.
Le temps est compté, jugent tous les responsables. Deux problèmes brûlants explosent sur le devant de la scène. Celui du logement et de la terre, plaçant en situation de rivalité conflictuelle les « anciens » (ceux de 1959 et d'après ayant fui le massacres à répétitions orchestrés successivement par le colonialisme belge, la première, puis la deuxième République rwandaise) et les « nouveaux » (ceux de 1994) réfugiés.
Celui de la justice: depuis plus de trois décennies, le Rwanda a vécu sous le signe de l'impunité, entretenant et nourrissant ainsi les conditions de futures violences. Comment faire admettre aux fils des réfugiés de 1959, revenus d'Ouganda, du Burundi ou du Zaïre, qu'ils doivent rendre la maison et la terre où ils se sont installés après l'été 1994 - et qui étaient celles de leurs parents avant leur fuite il y a plus de trente-cinq ans - à ceux qui reviennent aujourd'hui de Goma et des autres camps de l'est zaïrois, si une ligne de partage n'est pas établie entre les innocents et les « génocidaires »?
A Sansyi, au nord-ouest du Rwanda, j'ai entendu un « ancien » réfugié prendre à parti publiquement le chef du gouvernement: « La maison où j'habite était la maison de mes parents; la terre où je suis était la terre de mes parents; pourquoi dois-je les rendre à ceux qui les leur ont volées? » La réponse du premier ministre a été catégorique: « Il faut respecter la loi, et la loi dit de remettre les maisons à leurs occupants légitimes (c'est-à-dire les réfugiés de 1994, NDLR). D'autres maisons seront bâties, qui vous seront attribuées. »
Pour parvenir à faire accepter ce message et éviter des affrontements toujours susceptibles de faire tache d'huile, il est indispensable pour Kigali de faire la démonstration de sa capacité de justice. Une loi a été adoptée à cette fin en août dernier par la majorité de l'Assemblée nationale. La présentation de ce texte, intitulé « loi organique sur l'organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l'humanité, commises à partir du 1er octobre 1990 », est au centre de toutes les rencontres se tenant ces jours-ci.
Deux principes structurent cette loi: en premier lieu, quatre « catégories » sont distinguées, fixant le niveau des peines prononçables. Deuxième principe: une procédure dite « d'aveu et de plaidoyer de culpabilité » est mise en place.
Selon la nature des accusations portées, les inculpés sont « classés » comme suit:
1: les organisateurs et incitateurs du génocide, passibles de la peine de mort;
2: les auteurs de massacres, passibles de l'emprisonnement à vie;
3: les personnes « coupables d'autres atteintes graves à la personnes »;
4: les personnes ayant commis des infractions contre les biens des victimes ou des fuyards. Elles seront jugées « avec le concours de leurs concitoyens », c'est-à-dire par le droit coutumier.
L'instauration du « plaidoyer de culpabilité » vise à encourager les aveux spontanés en garantissant à leurs auteurs une réduction de leurs peines soit en les changeant de catégorie (ce qui peut permettre, par exemple, à un « organisateur » d'échapper au risque de la peine de mort), soit en établissant un plafond des peines à l'intérieur de chaque catégorie. Le texte prévoit aussi des diminutions de peines fortement différenciées selon que « l'aveu » a précédé ou suivi l'engagement de poursuites.
La loi étant entrée en vigueur le 1err octobre, il est trop tôt pour juger de son efficacité ou non. Il est certain, néanmoins, que des criminels rentrés avec la masse des réfugiés se sont livrés d'eux-mêmes. Mais le mouvement se poursuivra-t-il? Et dans quelles proportions?
JEAN CHATAIN