Fiche du document numéro 8893

Num
8893
Date
Jeudi 4 février 1999
Amj
Taille
36962
Titre
Amères équipées pour les soldats du « Vieux »
Sous titre
Des Comores aux rives du fleuve Congo, comment la bande à Denard a perdu « ses » guerres
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le chien de guerre bataille pour de l'argent. Ses poses désintéressées résistent rarement à l'examen. Mourir pour des idées, servir pour la seule gloire restent un luxe de «volontaire», espèce en voie d'extinction depuis la chute du mur de Berlin. Pour avoir négligé cette distinction, Bob Denard, doyen français des intérimaires du conflit (lire page 4), doit aujourd'hui faire face à une mini-révolte: il est accusé de n'avoir pas versé à ses hommes leur solde de tout compte à l'issue de sa dernière déculottée comorienne. Fronde inopportune quand l'éternel baroudeur, usé par ses blessures, bridé par la justice, rêve d'une succession au mieux de ses intérêts. Car la loyauté du mercenaire a son prix. Contractuelle par nature, elle s'offre à cours variable. Un triptyque en modère les fluctuations, établi à l'usage comme une loi du genre: avance à l'engagement, rémunération de la mission, sans oublier la fameuse prime, cerise de fin de contrat sur la galette du soldat de fortune.

Comores, 1995: « Désarmés, fouillés, enchaînés...»



Lorsque le condottiere national cingle une nouvelle fois vers les Comores, en 1995, Bob Denard règne pourtant sur une troupe exceptionnelle pour ce genre d'aventure. Il entend faire la pièce aux Anglo-Saxons qui monopolisent alors le marché de la guerre. Le juteux contrat de reconstruction de l'armée bosniaque a été raflé par Military Professionnal Ressources Inc. (MPRI), véritable agence de reclassement d'officiers américains. Et le braconnage s'étend aux chasses gardées d'Afrique où la France officielle s'embourbe dans la crise rwandaise. Sur le continent, les régimes en péril ne jurent que par Executive Outcomes, façade commerciale du 32e bataillon sud-africain. Mis à contribution, les réseaux tricolores, privés ou parapublics, engagent donc leurs meilleurs poulains, sans distinction de chapelles ou de clans.


Sur le pont du Vulcain, le navire qui fait route vers Moroni, 33 recrues représentant le ban et l'arrière-ban du mercenariat français. A la logistique, les rescapés de la phalange originelle, grands spécialistes des coups tordus en Afrique au lendemain des indépendances. Pour chefs de groupes, les officiers formés au moule de la garde présidentielle comorienne, cette G.P. démantelée en 1989 dont Bob Denard voulait faire le creuset d'une force d'intervention tarifée. La troupe, enfin, est composée de jeunes loups, issus d'aventures moins balisées en Birmanie ou en Bosnie. Une solde de 17500F par mois pour «contrat de base» avec promesse d'une prime de 50 000F.

Le débarquement à Moroni se déroule sans anicroches. Le sous-officier détaché pour encadrer la garde présidentielle, un adjudant-chef du 11e Choc portant galons de capitaine, n'oppose pas de résistance quand deux parachutistes qui ont servi sous ses ordres lui donnent son nom de code, « Stanislas ». Une section de soldats et de gendarmes comoriens, appuyée par un Français, défend toutefois la radio. Fait prisonnier, le coopérant sera remis au lieutenant-colonel qui veille sur l'assistance militaire. Cet officier, nageur de combat, donne à Bob Denard un talkie-walkie lui permettant de maintenir le contact. « Sur le bateau, le Vieux nous avait fait comprendre que la mission avait la bénédiction du gouvernement », assure un participant. Le Premier ministre Alain Juppé déclare que Paris n'envisage pas d'intervenir. Pourtant, une fois Saïd Djohar déposé, l'Elysée déclenche l'opération « Azalée » pour obtenir la reddition inconditionnelle des soldats de fortune. « Une dizaine de gars étaient prêts à se battre, raconte l'un des déçus de cette équipée, quand Denard a donné l'ordre de déposer les armes. Des mecs en pleuraient. Il nous a dit que nous avions rempli notre mission. Il nous a garanti que tout se passerait bien. Mais le soir même, il a été emmené de son côté en hélicoptère et il n'avait rien négocié pour nous. Nous avons été désarmés, fouillés, enchaînés dans l'avion jusqu'au Bourget, gardés pendant 48 heures dans le dortoir d'une caserne de la Garde républicaine, place de la République, à Paris, puis inculpés pour association de malfaiteurs et prise d'otages en bande armée. On risque jusqu'à trente ans devant les assises. Pourtant, il a fallu faire le siège de sa banque genevoise, menacer de parler à la presse, pour que Denard accepte de régler les arriérés de solde. Et jamais nous n'avons touché la prime. »

« Denard est une ordure », renchérit un jeune mercenaire dont c'était la première mission avec le vieux baroudeur. « Pour prendre Radio Comores, nous avons combattu à 8 contre 40. Nous n'avions plus de munitions. Et lui, à 2 kilomètres de là, faisait sa petite campagne électorale, serrait des mains sur le bord de la route sans se soucier de ses hommes. Plus tard, quand les Français ont débarqué, il a eu la trouille de se faire flinguer et a invité tous les journalistes au camp pour se protéger. Pendant ce temps, Doudou tombait dans une embuscade. A 50 mètres, deux roquettes dans le camion, un éclat dans la tête, cinq balles dans le bras, deux dans la jambe, sourd d'une oreille. Jamais Denard ne s'en est inquiété. Il a fallu faire tout un foin pour qu'il lâche 15 000F pour une prothèse auditive. »

Dans les mois qui suivent, les explications sont orageuses. « Le milieu traverse une grosse crise de commandement, confirme cet ancien des services spéciaux, tenté un temps par le mercenariat. Bob Denard arrive à la limite d'âge. Ses lieutenants les plus respectés sont frappés par des interdictions de sortie du territoire. Et personne n'a encore véritablement émergé qui soit capable de coordonner toutes les équipes. D'autant que le "Vieux voudrait trouver un gars suffisamment malléable pour lui monter une garde présidentielle en Afrique et finir ses jours au soleil. C'est un homme d'affaires. Il pense d'abord à ses intérêts et utilise les gens avec cynisme. Comme n'importe quel grand patron néolibéral.»

Vivement brocardé lors du repas annuel offert à ses fidèles, Bob Denard décide d'isoler les récalcitrants. Lorsque son réseau sera sollicité pour fournir l'un des contingents envoyés soutenir un maréchal Mobutu chancelant, aucun râleur n'est engagé. L'allégeance l'emporte sur la compétence. L'équipe du « Vieux » pioche dans le Département protection et sécurité (D.P.S.), service d'ordre du Front national. Codirigeants d'une officine frontiste, le Cercle de défense de l'industrie d'armement et de l'armée française, Emmanuel Pochet et François-Xavier Sidos sont aux premières loges.

Le premier aura rang de « chef de mission », chargé d'encadrer les troupes sous le pseudonyme de « commandant Charles ». Ancien aspirant au 1er RCP, Emmanuel Pochet a gagné ses barrettes de « capitaine Morin » dans la Garde présidentielle comorienne avant de faire un passage comme instructeur chez les Karens, en Birmanie. « Un voyage organisé », raillent ses détracteurs, « financé par les réseaux Saint-Simon », très engagés dans le soutien aux résistances anticommunistes armées en Asie. François-Xavier Sidos, « lieutenant Aifix » aux Comores, où il a tenu pendant quatre ans la 2e compagnie de la GP, « donne un coup de main. Par respect et fidélité pour le Vieux », explique ce « conseiller » de Jean-Marie Le Pen récemment rallié à Bruno Mégret.

Les deux amis savaient aussi pouvoir compter sur la bienveillance bougonne de Bernard Courcelles, patron du DPS. Cet ancien capitaine, arabisant, s'était spécialisé dans les trafics d'armes et les soldats de fortune pour le compte de la Direction de la protection du secret défense (DPSD), l'ancienne Sécurité militaire (SM), qui, à l'instar du Bureau de sécurité de la Légion étrangère (BSLE), suit avec attention le milieu mercenaire. En 1989, se considérant toujours « de réserve active », il prend sa part aux multiples tractations engagées avec l'aval de Paris et Pretoria pour tenter une restructuration de la GP comorienne tout en écartant Denard de Moroni.

Zaïre, 1997: cernés par les rebelles, doublés par des Serbes Au début de l'hiver 1997, une trentaine de gros bras aux aptitudes diverses seront acheminés vers le Zaïre. Au nombre des recrues, l'un des chauffeur de Le Pen, terrassé en deux jours par une dysenterie. Une partie de l'équipe ne quittera jamais la France, encaissant tout de même un forfait de 90 000F. Pour les autres, l'aventure tourne à la débandade. Les mercenaires débarquent en costume de ville à Watsa alors que les rebelles occupent déjà les faubourgs. Redéployés dans la réserve de La Garamba, avec Dubra pour quartier général, ils sont alors cernés par des combattants rwandais déterminés et aguerris. Abandonnant là son matériel, la cohorte salariée ne devra son salut qu'à l'intervention audacieuse d'une petite colonne de «réservistes» français expérimentés.

Le Zaïre ne sera pas une heure de gloire du mercenariat hexagonal. Une opération parallèle, montée par l'entreprise de communication satellitaire Géolink, se révélera tout aussi désastreuse. Avec la bénédiction du contre-espionnage français, un certain « colonel Dominique Yugo », contact parisien bien renseigné sur la Bosnie, recrute une phalange serbe dont les exactions attireront rapidement l'attention de la presse et des défenseurs des droits de l'homme. « Notre envoi au Zaïre était un message en direction de Mobutu, un geste symbolique pour lui montrer qu'il n'était pas abandonné plutôt qu'une intervention destinée à redresser la situation », précise d'ailleurs Emmanuel Pochet, « le modèle même de ce qu'il ne faut plus jamais faire ».

Congo, 1997: « Tout sauf glorieux »



Loi des séries, quelques mois plus tard, l'autre rive du fleuve Congo s'enflamme à son tour. Le colonel Denis Sassou Nguesso a entrepris la reconquête du pouvoir. Son beau-père, le président gabonais Omar Bongo, décide de lui prêter main forte et fait appel à ses anciennes amitiés dans les réseaux parallèles où évolue Bob Denard. Cette fois, le commandement de la troupe sera confié à un fidèle parmi les fidèles, Jean-Marie Dessales, le « capitaine Jean-Pierre », pilier de la GP comorienne, chef de groupe lors du débarquement de 1995. Sans plus de réussite. «Nous nous sommes posés à Owando, en civil, sans armes, sans contact radio avec le sol, raconte l'un des participants. Des gars en uniformes dépareillés sont sortis des fourrés et l'on ne savait même pas de quel camp ils étaient. La mission aurait pu se terminer là, en dix secondes.»

Le gouvernement congolais cherche aussi des renforts et, par l'intermédiaire de deux anciens sous-officiers de la Légion, contacte à Paris les soldats d'infortune des Comores. Le recrutement d'une «équipe de reconnaissance» est confié au groupe Octogone. Cette société regroupe de jeunes mercenaires qui rêvent de voler de leurs propres ailes. Elle rameute sans peine les dissidents du système Denard. Certains ne cachent pas leur envie d'en découdre avec leurs anciens frères d'armes.

L'entrée de l'Angola dans la bataille, au côté de Sassou Nguesso, rend illusoire toute option mercenaire. Le conflit est gelé, l'affrontement fratricide est évité. Octogone « démonte » en urgence tandis que les hommes du « capitaine Jean-Pierre » sont relégués dans les cantonnements de l'Académie militaire Marien N'Gouabi avec pour « mission » d'entraîner une « garde républicaine ». La routine, le manque de logistique achèvent le moral de la troupe. Le « climat social » se détériore. Par pétition, les spadassins exigent la démission de leur chef. En janvier 1998, sans préavis, ils décrètent une journée de grève. Plantant là leurs fusils, les mercenaires partent à la pêche. Jean-Marie Dessales est relevé de son commandement. Denard lui substitue Pochet, que beaucoup présentent comme son dauphin. Par défaut.

« Au Zaïre, la tentative de Denard pour imposer Pochet n'a pas été concluante», estime un observateur averti, « au contraire, les gars qui s'étaient déjà sentis floués aux Comores en 1995 ont été écartés. Ils cherchent désormais d'autres filières de recrutement. Au Congo, on a failli voir des Français face à face, régler leurs différents par milices Ninjas ou Cobras interposées. On glisse vers une situation incontrôlable. Les individus expérimentés, incontestables, sont rares. Un gars comme "Titi", qui a fait ses preuves chez les Karens, n'a pas envie de médiatisation. Gaston Besson a montré son courage en Bosnie mais il est incontrôlable. Patrick Ollivier, qui tourne depuis la Rhodésie, a recruté pour monter une GP au Congo. On verra le résultat.»

« Le mercenariat français reste, à l'heure actuelle, un petit village gaulois très désorganisé», reconnaît Emmanuel Pochet. « Si pour le Zaïre j'ai eu recours à d'anciens militaires proches du FN et à quelques individus un peu raplapla, c'est parce qu'il me fallait faire vite. Et parce que j'avais décidé d'écarter les psychopathes. Des cannibales, nostalgiques de la SS, aux motivations malsaines. Certains se sont pris en photo bouffant le foie d'un prisonnier birman. C'est l'origine de ma rupture avec eux. Quand ils n'ont pas été recontactés pour le Zaïre et le Congo, ils ont développé le syndrome de la femme plaquée. Je ne leur en veux pas, mais nous ne pouvons pas nous permettre de recruter des instables alors que nous intervenons dans des zones où le garde-fou de la loi est souvent inexistant.»

Une charge qui met en rage la petite troupe des proscrits. « Le coup du fasciste par un admirateur de Faurisson, c'est l'hôpital qui se moque de la charité », gronde l'un d'eux. « Ces mecs se sont pointés chez Le Pen quand ça commençait à payer. Après la bagarre. Je suis resté deux mois au Front, au tout début. Puis je me suis cassé. Ils se comportent comme les pires des bourgeois. Je gagne très bien ma vie et n'ai pas besoin de leur pognon. Mais je me fais chier dans cette société de consommation. Nationaliste-révolutionnaire, je pensais trouver un idéal, une fraternité dans le combat. J'ai été déçu. J'ai été trahi. ça rend haineux.»

« Nous sommes une bande de gars expérimentés qui n'arrivent plus à avoir de contrats parce qu'ils refusent d'être manipulés», estime un de ses amis. « Les services secrets détestent ça et je pense que ce sont eux qui ont donné l'ordre de ne plus nous prendre. Ils ont peur d'une révolte.» Au final, « le mercenariat français, c'est tout sauf glorieux », résume ce repenti qui a préféré jeter l'éponge. « L'opération Comores de 1995 était intéressante car elle devait permettre de regrouper des gens d'expériences différentes pour les intégrer dans une force contrôlable. Echec total. Le Zaïre aurait pu permettre de rattraper le coup. Catastrophe. J'ai décidé de tourner la page et rien ne me fera revenir sur cette décision. Aucune destination, aucun montant ».

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024