Fiche du document numéro 8573

Num
8573
Date
Mardi 10 janvier 2023
Amj
Taille
639617
Titre
A propos du rapport de l'ONU qui accuse le Rwanda au Congo
Sous titre
La façon dont les médias français ont rendu compte du "rapport d'un groupe d'experts" de l'ONU sur la crise au Congo, symbolisée par le "M23" mis en exergue, est particulièrement partielle et partiale. La lecture du résumé introductif du rapport permet de s'en rendre compte. Je tente d'autre part de contextualiser ces événements et de faire sentir les oublis historiques.
Lieu cité
Mot-clé
Mot-clé
M23
Type
Langue
FR
Citation
Avant de lire ma contextualisation, il convient de lire intégralement le résumé introductif du rapport du groupe d'expert.

Résumé introductif intégral du rapport 1

"Au cours de la période considérée, l’est de la République démocratique du Congo a été le théâtre d’épisodes d’une intense violence. Le Groupe d’experts a suivi avec préoccupation l’escalade de la violence également dans le territoire de Kwamouth, dans la province du Maï-Ndombe, dans l’ouest du pays, où un conflit intercommunautaire oppose depuis mai 2022 principalement des membres des communautés teke et yaka.

Les conditions de sécurité et la situation humanitaire dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri se sont notablement détériorées, malgré l’état de siège en vigueur sans interruption ces 18 derniers mois et malgré les opérations militaires menées par les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), les Forces de défense populaires de l’Ouganda (UPDF) et la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO).

De violentes manifestations contre la MONUSCO ont éclaté dans plusieurs villes de l’est de la République démocratique du Congo, suite à un discours coordonné hostile à cette mission, propagé principalement dans les médias sociaux. Des civils, des Casques bleus et des membres de la police des Nations Unies ont été tués, et les biens de la Mission ont été systématiquement détruits et pillés.
L’intensification des combats au Nord-Kivu depuis mai 2022, et la détérioration des relations entre la République démocratique du Congo et le Rwanda qui en a résulté, ont incité les chefs d’État de la Communauté d’Afrique de l’Est à entamer une médiation et demander la mise en place et le déploiement d’urgence d’une force régionale destinée à combattre les groupes armés actifs dans l’est du pays et, en parallèle, à encourager les groupes armés à adhérer au Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation.
Au Nord-Kivu, les Forces démocratiques alliées (ADF), groupe armé faisant l’objet de sanctions, ont continué d’étendre leur zone d’opérations et d’attaquer des civils dans les territoires de Beni et de Lubero (Nord-Kivu) ainsi que dans le sud de l’Ituri. Les ADF ont utilisé des engins explosifs improvisés en milieu urbain, optant pour des attaques plus visibles menées par des réseaux bien établis.

Le Groupe d’experts a noté avec inquiétude la recrudescence des attaques et des exactions des Maï-Maï dans le territoire de Lubero. Tout comme l’augmentation des attaques des ADF dans les territoires de Beni et d’Irumu, il s’agit d’un effet secondaire du vide sécuritaire causé par le redéploiement des FARDC et de la MONUSCO dans les territoires de Rutshuru et de Nyiragongo.

La fréquence, la durée et la force des attaques menées par le Mouvement du 23 mars/Armée révolutionnaire du Congo (M23/ARC), groupe armé faisant l’objet de sanctions, se sont considérablement intensifiées et le territoire que celui-ci contrôle s’est agrandi de façon significative. Le Groupe d’experts a trouvé des preuves substantielles de violations de l’embargo sur les armes et du régime de sanctions, notamment a) l’intervention directe de la Force de défense rwandaise sur le territoire de la République démocratique du Congo, soit pour venir en renfort au M23/ARC, soit pour mener des opérations militaires contre les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) ; b) la fourniture d’armes, de munitions et d’uniformes au M23/ARC ; c) le soutien à plusieurs groupes armés congolais par des membres des FARDC sur le territoire de Rutshuru ; d) la coopération entre les unités des FARDC et les groupes armés congolais sur le territoire de Rutshuru. Des attaques contre les Casques bleus, des actes de torture et des traitements inhumains, des meurtres et des bombardements aveugles de civils ont également été constatés et constituent des actes passibles de sanctions. Le M23/ARC a taxé les biens et les personnes dans les zones qu’il contrôle, notamment à Bunagana, point de passage de la frontière avec l’Ouganda.

La prolifération à l’échelle nationale de la xénophobie et de l’incitation à la violence, notamment à l’encontre des populations rwandophones, perçues comme soutenant le M23/ARC, a conduit à des actes de violence qui ont fait des morts.
En Ituri, les factions de la Coopérative pour le développement du Congo (CODECO) ont continué à étendre leurs zones de contrôle, attaquant souvent les civils et les FARDC. En retour le groupe armé Zaïre, mieux organisé et plus fort qu’auparavant, a attaqué les forces de sécurité congolaises et des civils.

Les factions de la CODECO et le groupe Zaïre ont continué à se battre pour l’exploitation et le commerce de l’or, et à tirer profit de ces activités. Tous deux ont taxé la circulation des biens et des personnes et ont imposé des taxes aux acteurs économiques. Certains éléments des FARDC ont continué à collaborer avec des groupes armés et tiré profit des activités d’extraction de l’or.

Au Sud-Kivu, le déploiement officiel de la Force de défense nationale du Burundi (FDNB) et le lancement d’opérations conjointes FDNB-FARDC ont entraîné parmi les groupes armés un remaniement des alliances ou la création de nouvelles alliances. La FDNB a continué de s’appuyer sur les Imbonerakure et les groupes armés locaux dans ces opérations conjointes.

Des combattants des Twirwaneho ont intentionnellement tué un Casque bleu lors d’une attaque ciblée sur une base de l’ONU à Minembwe, ce qui constitue un acte passible de sanctions."
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Ma tentative de contextualisation.

En lisant ce résumé, on ne peut que se demander pourquoi les médias français n'ont parlé que du soutien du Rwanda au M23. L'esprit français de revanche contre le Rwanda a visiblement été sollicité. Une solution de facilité devant une situation particulièrement compliquée ?

Il faut aussi noter que c'est un rapport "à mi-parcours". Ce rapport a 25 pages et 213 pages d'annexes, constituées de beaucoup de photos de très mauvaise qualité. Un groupe d'expert qui apporte des "preuves" devrait avoir le soucis de fournir des photos de qualité.

Par exemple, comment prouver sur une photo complètement floue qu'un écusson, sur la manche d'un soldat, de 1 mm de large et de quelques dixième de mm de haut sur la photo du PDF, serait effectivement un drapeau rwandais ? (annexe 30) Avec mes yeux de photographe je crois distinguer un drapeau de l'ancien Rwanda, mais cela peut être ce que les photographes appellent des aberrations chromatiques de couleurs magenta (rouge-violet) et verte, c'est à dire des couleurs qui sont en fait des effets de bords provoqués par des objectifs de mauvaise qualité ou à la limite de leurs possibilités sous certaines condition de lumière. Sur ces mêmes photos, sont identifiées de vagues ombres sans aucun détails comme des mitrailleuses Kalachnikov des forces rwandaises (!). Je n'ai pas eu le temps de tout examiner, mais si tout est à l'avenant ce groupe d'experts peut enfiler un uniforme congolais... en vérifiant bien qu'il ne s'agit pas d'un uniforme volé aux Rwandais ! Tout ce que j'ai eu le temps de consulter en une heure est très ambigu et peu convaincant. Cela donne l'impression d'un document de propagande.

Marginalement, je note aussi que la présidente de ce groupe d'experts est une juriste belge 2, probablement flamande. Il faudrait donc vérifier qu'elle ne serait pas influencée par le juriste flamand qui a fourni des preuves qui se sont avérées douteuses dans l'attentat du 6 avril 1994 au Rwanda, selon les enquêtes des députés français (1998) 3, puis implicitement et catégoriquement fausses selon le rapport balistique ordonné par les juges français Marc Trévidic et Nathalie Poux 4. Ce juriste universitaire a d'autre part écrit un "Que sais-je ?" sur le génocide des Tutsi au Rwanda, très controversé à cause de ses "malversations" relevées par l'association Survie 5.

Le groupe d'experts a d'ailleurs conscience de cette faiblesse dans son introduction puisqu'il écrit :

"Compte tenu de la nature du conflit en République démocratique du Congo, rares sont les documents qui apportent la preuve irréfutable de transferts d’armes, de recrutement, de la responsabilité du supérieur hiérarchique dans les cas d’atteintes graves aux droits humains ou de l’exploitation illégale des ressources naturelles. Le Groupe d’experts a donc dû s’en remettre aux déclarations de témoins oculaires – membres de la population locale, membres de groupes armés ou ex -combattants. Il a également pris en compte le témoignage averti d’agents de l’État et d’officiers militaires de pays de la région des Grands Lacs et d’autres pays, ainsi que des sources du système des Nations Unies."

Ceci dit, même si les preuves présentées sont faibles, cela ne signifie pas que le Rwanda ne soutiendrait pas le M23. Mais il faudrait un travail plus sérieux pour le prouver. Cela ne prouve pas le contraire non plus pour corroborer les dénégations du Rwanda.

Une autre question se pose : le combat du M23 est-il condamnable dans ses objectifs, même si certaines de ses méthodes pourraient-être condamnables sous réserves de preuves plus convaincantes ? Quelle est véritablement la situation des Tutsi congolais ? Pourquoi le président congolais aurait-il dit ceci selon ce qui est rapporté sur le site internet de l'ONU 6 :

"Le 3 novembre [2022], s’adressant à la nation, le Président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, a demandé aux jeunes de s’enrôler dans l’armée et encouragé la création de groupes de vigilance en vue de renforcer l’action que l’armée mène contre le M23. Il a en outre prévenu que serait sévèrement puni tout acte de stigmatisation, de xénophobie et discours de haine dirigé contre les populations parlant le kinyarwanda. Il a rencontré des délégations des communautés tutsie et hutue congolaises, le 4 et le 10 novembre, respectivement, et affirmé qu’il était déterminé à faire en sorte que les Congolais vivent de manière pacifique dans la cohésion et sans discrimination."

Le président du Congo ne dit-il pas ainsi implicitement que si les Rwandophones congolais [en fait plus particulièrement les Tutsi congolais, je souligne, car les forces armées congolaises s'allient souvent avec les FDLR des Hutu rwandais], n'étaient pas victimes "d'actes de stigmatisation, de "discours de haine" et de "xénophobie" de la part des Congolais, le M23 n'aurait pas de raison d'être ?

Un ami congolais de Kinshasa, nullement tutsi congolais et titulaire d'une doctorat de l'université française, m'a rapporté que ses propres filles ont été violemment agressées, il y a quelques mois à Kinshasa, l'une sortie à temps d'un pneu où elle devait être brûlée vive, parce qu'elles ressemblent à des Tutsi. Cela va beaucoup plus loin que les mots du président congolais. Cela dure depuis des décennies et s'est aggravé depuis le génocide des Tutsi au Rwanda et l'arrivée des génocidaires rwandais, qui ont créé ensuite les FDLR et importé leurs méthodes génocidaires au Congo, dont les viols comme arme de guerre. Les congolais mettent tous les Rwandophones dans le même sac, si bien que les Tutsi congolais sont accusés des actes des génocidaires rwandais, en plus de leur rejet historique qui dure depuis des décennies, bien avant le génocide des Tutsi au Rwanda.

A l'ONU les faits et les analyses sont souvent dispatchés dans plusieurs documents. Il faudrait en faire la synthèse.

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1. Rapport à mi-parcours du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo
ONU S/2022/967 - 16 décembre 2022
Si vous rencontrez des problèmes de cookies en suivant ce lien cliquez sur "Official Document System" et cherchez la cote : S/2022/967

2. Site internet du GRIP (Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité), Organisme belge

3. Rapport de la Mission d'information parlementaire française (version PDF 1998) :
"Avec toute la prudence qui s’imposait, puisqu’il s’agit de sources de seconde main (on ne peut pas totalement exclure la manipulation sur un dossier aussi sensible que celui de l’attentat), M. Filip Reyntjens a évoqué l’hypothèse selon laquelle plusieurs sources concordantes lui permettaient d’affirmer que les deux missiles SAM 16 “ provenaient d’un lot saisi en février 1991 par l’armée française en Irak et acheminé en France ”. Il a précisé qu’il “ne disposait d’aucune documentation et notamment d’aucune liste où auraient été référencés les numéros des missiles ”, mais que les informations dont il disposait lui avaient été communiquées par des sources au sein des services de renseignement militaire britanniques, américains et belges ne souhaitant pas être identifiés.
Si cette hypothèse était exacte, le document des services de renseignement belges prendrait tout son sens et l’information pointerait du doigt les extrémistes hutus. L’universitaire belge a alors posé quelques questions complémentaires auxquelles il n’a pas été en mesure de répondre : la France a-t-elle saisi des SAM-16 irakiens ? Si oui, quels sont les numéros de série de ces missiles ? Les missiles récupérés près de la ferme de Masaka faisaient-ils partie de ces lots ? Si oui, le FPR se trouve-t-il pour autant exonéré de toute responsabilité, puisque, selon certaines sources, celui-ci se serait procuré des armes notamment en Irak ? Il a ajouté que le fait que les missiles puissent provenir d’un stock français ne signifiait en rien l’implication de la France dans l’attentat." PDF MIP page 240
[...]
"on remarque la concordance entre la thèse véhiculée par les FAR en exil (cf. documents transmis par M. Munyasesa à M. Filip Reyntjens) et celle issue des éléments communiqués à la Mission visant à désigner sommairement le FPR et l’Ouganda comme auteurs possibles de l’attentat (cf. photographies et listes de missiles en annexe). Cette hypothèse a été avancée par certains responsables gouvernementaux français, sans davantage de précautions, comme en témoignent les auditions de MM B. ernard Debré, ancien Ministre de la Coopération, ou François Léotard, ancien Ministre de la Défense ;
puisque les informations concordantes dont ont disposé à la fois les parlementaires de la Mission et certains universitaires -bien qu’elles aient été véhiculées par des canaux différents- apparaissent comme étant d’une fiabilité très relative et comme elles ne parviennent pas à désigner l’arme de l’attentat, la question se pose de savoir la raison d’une telle confusion. L’intervention des FAR en exil dans cette tentative de désinformation ne les désigne-t-elle pas comme possibles protagonistes d’une tentative de dissimulation ? A moins que sincères, les FAR en exil aient elles-mêmes été manipulées mais, dans ce cas, par qui ?" PDF MIP page 246

4. Rapport balistique ordonné par les juges français dans l'attentat du 6 avril 1994 au Rwanda, souvent présenté comme "déclencheur du génocide des Tutsi". Ce rapport situe l'origine des tirs de l'attentat dans le principal camp militaire du régime Hutu power. Il a permis de neutraliser l'ordonnance, accusatrice contre le FPR, du juge Bruguière, dont on doit rappeler qu'il n'est jamais aller enquêter sur le terrain, contrairement à ses successeurs qui l'ont implicitement désavoué.

5. Les malversations intellectuelles du professeur Reyntjens -Analyse par l'association Survie du livre de la collection "Que sais je ?" Le génocide des Tutsi au Rwanda

6. Rapport du secrétaire général de l'ONU S/2022/892 §6 page 2

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