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Je connais trop les exigences de la « realpolitik » pour ne pas comprendre la prudence de la ligne diplomatique que suit la France depuis plusieurs années dans sa relation avec le Rwanda. Ce pays joue un rôle économique et politique important dans la région des Grands Lacs et en Afrique en général. Nous avons eu raison de choisir la voie de la réconciliation avec ses dirigeants.
Mais pas à n’importe quel prix! Pas au prix de la falsification de l’histoire qui ne cesse de se propager à l’encontre de la France, de ses dirigeants politiques, de ses diplomates et de son Armée.
En écrivant cela je ne pense pas au récent libelle publié à Bordeaux et dont je suis la cible unique, comme si, à la date des faits, il n’y avait pas eu un Président de la République, et , successivement, deux Premiers Ministres, deux Ministres des Affaires Etrangères et deux Ministres de la Défense. Je m’attendais à ce que la « Juppémania » ambiante déclenche les coups bas.
Mais ce n’est plus de cela qu’il s’agit désormais. C’est d’une inacceptable mise en cause de la France par le Président du Rwanda, qui dans un article à paraître dimanche dans Jeune Afrique accuse notre pays d’avoir organisé et encouragé le génocide, d’en avoir été complice et même acteur.
Ces accusations, on le sait, sont totalement infondées. La mission parlementaire présidée en 1998 par Paul Quilès et dont le rapporteur était Bernard Cazeneuve, actuel ministre de l’Intérieur, a apporté un éclairage rigoureux sur les événements. M.Quilès en résumait ainsi le contenu dans un article publié le 11 septembre 2009 dans « International et défense »: « Cessons de diaboliser la France ».
Il est rigoureusement faux que la France ait aidé en quelque manière les auteurs du génocide à préparer leur forfait. Bien au contraire avant mars 1993 (date de prise de fonction du gouvernement Balladur) comme après cette date, notre pays a tout fait pour pousser à la réconciliation des deux camps. Il a efficacement oeuvré à la conclusion des accords d’Arusha qui posaient les bases de cette réconciliation et qui ont été salués positivement par M. Kagamé lui-même.
Il est rigoureusement faux que la France n’ait pas dénoncé le déclenchement du génocide en le qualifiant en ces termes même. Mes déclarations publiques en font foi, en mai 1994, au conseil des ministres des affaires étrangères de l’Union Européenne comme à l’Assemblée Nationale.
Quand aux accusations portées contre notre Armée, elles sont tout simplement honteuses. Nos soldats ont exécuté strictement la mission qui leur avait été assignée par le gouvernement, en application d’une résolution très précise du Conseil de sécurité des Nations Unies. Ils l’ont fait avec le courage et la discipline qui les caractérisent. Je me souviens de l’accueil enthousiaste que leur ont réservé les centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qu’ils ont protégés.
Sans doute subsiste-t-il encore des zones d’ombre sur cette période tragique. Malgré les investigations de l’ONU, de la justice française, de la justice espagnole, on ne sait toujours pas qui sont les auteurs de l’attentat contre l’avion qui transportait le Président Habyarimana et le Président du Burundi le 6 avril 1994 . C ‘est le lendemain de cet attentat qu’ont commencé les massacres de 800 000 Tutsi (et Hutu modérés). En connaître les auteurs seraient de première importance pour comprendre l’enchaînement des faits. On peut espérer, comme la mission Quilès, que « la vérité fera peu à peu son chemin. C’est ainsi que le souvenir des victimes du génocide ne se confondra pas avec les intérêts de ceux qui prétendent parler en leur nom ».
En attendant que vienne la vérité, on ne peut tolérer la véritable entreprise de falsification historique qui veut faire porter à la France la culpabilité du génocide.
La communauté internationale a failli, c’est un fait. Elle a été incapable de prévenir et d’arrêter le génocide. Mais la communauté internationale, ce n’est pas la France seule. C’est le Conseil de sécurité des Nations Unies dont Kofi Annan qui dirigeait alors le Département des Opérations de Maintien de la Paix a décrit plus tard la paralysie. Il écrit: « Les Français ont poussé dès le début des négociations d’Arusha pour qu’une force de l’ONU soit déployée au Rwanda en soutien de l’accord de paix. Hormis côté français, il y avait au début peu d’appétence chez les membres permanents du Conseil de sécurité pour mandater une nouvelle force de maintien de la paix… » Plus loin, il ajoute: « Nous devons reconnaître que le monde a échoué face au mal. La communauté internationale et les Nations Unies n’ont pu mobiliser la volonté politique de l’affronter. » La « communauté internationale » , ce sont aussi les Etats-Unis, très influents dans la région et dont le Président Clinton lui-même a reconnu l’inaction. Ce sont aussi les pays européens dont certains avaient des responsabilités historiques dans la région. La France a été la seule puissance à agir.
Il serait aujourd’hui intolérable que nous soyons désignés comme les principaux coupables. J’appelle le Président de la République et le gouvernement français à défendre sans ambiguïté l’honneur de la France, l’honneur de son Armée, l’honneur de ses diplomates.