Citation
Nations Unies
S/PV.3368
Conseil de sécurité
Provisoire
Quarante-neuvième année
3368e séance
Jeudi 21 avril 1994, à 21 h 35
New York
Président :
M. Keating . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
(Nouvelle-Zélande)
Membres :
Argentine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Brésil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Chine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Djibouti . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Espagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
États-Unis d’Amérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Fédération de Russie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Nigéria . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Oman . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Pakistan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
République tchèque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord
Rwanda . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
M.
M.
M.
M.
M.
M.
M.
M.
M.
M.
M.
M.
Sir
M.
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Cardenas
Fujita
Chen Jian
Olhaye
Yañez-Barnuevo
Inderfurth
Vorontsov
Ladsous
Ayewah
Al-Khussaiby
Marker
Vaňhara
David Hannay
Bizimana
Ordre du jour
La situation concernant le Rwanda
Rapport spécial du Secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda
(S/1994/470)
94-85563 (F)
Le présent procès-verbal contient le texte des déclarations prononcées en français et l’interprétation
des autres déclarations. Le texte définitif sera publié dans les Documents officiels du Conseil de
sécurité.
Les rectifications ne doivent porter que sur les textes originaux des interventions. Elles doivent porter
la signature d’un membre de la délégation intéressée et être adressées, dans un délai d’une semaine
à compter de la date de publication, au Chef de la Section de rédaction des procès-verbaux de
séance, bureau C-178A, et également être portées sur un exemplaire du procès-verbal.
Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
La séance est ouverte à 22 heures.
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21 avril 1994
seront publiées sous les cotes S/1994/479 et S/1994/481,
respectivement.
Adoption de l’ordre du jour
L’ordre du jour est adopté.
La situation concernant le Rwanda
Rapport spécial du Secrétaire général sur la
Mission des Nations Unies pour l’assistance au
Rwanda (S/1994/470)
Le Président (interprétation de l’anglais) : Le Conseil
de sécurité va maintenant commencer l’examen de la
question inscrite à son ordre du jour.
Le Conseil de sécurité se réunit conformément à
l’accord auquel il est parvenu lors de ses consultations
préalables.
Les membres du Conseil sont saisis du rapport spécial
du Secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour
l’assistance au Rwanda, document S/1994/470. Les membres du Conseil sont également saisis du document
S/1994/488, qui contient le texte d’un projet de résolution
préparé au cours des consultations préalables du Conseil.
Je voudrais attirer l’attention des membres du Conseil
sur les documents suivants : S/1994/420, lettre datée du
12 avril 1994, adressée au Président du Conseil de sécurité
par le Représentant permanent du Cameroun auprès de
l’Organisation des Nations Unies; S/1994/428, lettre datée
du 13 avril 1994, adressée au Président du Conseil de
sécurité par le Représentant permanent du Rwanda auprès
de l’Organisation des Nations Unies; S/1994/430 et
S/1994/446, lettres datées des 13 et 15 avril 1994, respectivement, adressées au Président du Conseil de sécurité par
le Représentant permanent de la Belgique auprès de l’Organisation des Nations Unies; S/1994/440, lettre datée du
14 avril 1994, adressée au Président du Conseil de sécurité
par le Secrétaire exécutif de l’Organisation de l’unité
africaine auprès de l’Organisation des Nations Unies; et
S/1994/442, lettre datée du 13 avril 1994, adressée au
Secrétaire général par le Chargé d’affaires par intérim de la
Mission permanente de la Grèce auprès de l’Organisation
des Nations Unies.
Les membres du Conseil ont également reçu des
photocopies de lettres, datées du 21 avril 1994, adressées au
Président du Conseil de sécurité par le Représentant
permanent de l’Ouganda auprès de l’Organisation des
Nations Unies et par le Représentant permanent du Bangladesh auprès de l’Organisation des Nations Unies. Ces lettres
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Je crois comprendre que le Conseil est prêt à voter sur
le projet de résolution dont il est saisi. S’il n’y a pas
d’objection, je vais maintenant mettre le projet de résolution
aux voix.
Puisqu’il n’y a pas d’objection, il en est ainsi décidé.
Je vais d’abord donner la parole aux membres du
Conseil qui souhaitent faire une déclaration avant le vote.
M. Ayewah (Nigéria) (interprétation de l’anglais) : La
situation au Rwanda après les tragiques événements du
6 avril a suscité, à juste titre, une grave préoccupation au
sein de la communauté internationale. On n’enregistre pas
moins de 20 000 morts à la suite des massacres politiques
et ethniques qui ont eu lieu, massacres auxquels on ne
semble pas vouloir mettre fin au moment même où nous
parlons. Ces massacres atroces ont été perpétrés, non
seulement contre le peuple rwandais, mais aussi, au tout
début de la crise, contre certains membres du personnel de
la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda
(MINUAR). Fait particulièrement tragique, en dépit des
efforts faits jusqu’ici par les représentants officiels de la
MINUAR, le Représentant spécial du Secrétaire général, le
Commandant sur le terrain, les leaders régionaux et l’Organisation de l’unité africaine (OUA), aucun progrès n’a été
fait vers la mise en place d’un cessez-le-feu entre les
belligérants. Sans ce cessez-le-feu, les activités de la
MINUAR et les chances de relancer le processus de paix
dans le cadre du plan de paix d’Arusha sont gravement
compromises.
Ma délégation tient à féliciter publiquement le Secrétaire général pour son rapport spécial du 20 avril 1994 sur
la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda,
sur lequel se fonde le projet de résolution dont le Conseil
est saisi. Ma délégation regrette cependant de dire qu’aucune des trois options proposées dans le rapport ne satisfait
pleinement le Gouvernement nigérian.
La première option qui, en vertu du Chapitre VII,
recommande le déploiement massif d’une force des Nations
Unies au Rwanda, est, en l’occurrence, irréalisable car il est
impossible de rassembler une telle force immédiatement. De
plus, mon gouvernement n’est pas certain que des mesures
coercitives permettent de régler les problèmes politiques et
de sécurité qui se posent actuellement au Rwanda.
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Quarante-neuvième année
La troisième option, qui recommande le retrait total de
la MINUAR — option que n’appuie pas le Secrétaire
général — n’est pas non plus acceptable pour ma délégation, d’abord parce qu’elle révèle une attitude défaitiste,
ensuite parce qu’elle saperait gravement, sinon irrémédiablement, la crédibilité du Conseil de sécurité en tant
qu’organe chargé du maintien de la paix et de la sécurité
internationales.
La deuxième option, qui passe par une diminution des
forces de la MINUAR au Rwanda, et la redéfinition de leur
mandat et de leur rôle avec la possibilité de revenir, sur
recommandation du Secrétaire général, à une force accrue
dès la mise en place d’un cessez-le-feu, semble par conséquent une option raisonnable. Ma délégation pourra l’appuyer, encore qu’à contre-coeur.
Tandis que le monde assiste au carnage et aux massacres, qui durent maintenant depuis des semaines au
Rwanda, nombreux sont ceux qui se demandent si, en tant
que communauté, nous avons réellement fait tout ce qui
était en notre pouvoir pour aider le peuple rwandais, ou si
nous nous sommes contentés de dire que la responsabilité
incombait aux seuls Rwandais et que ceux-ci devaient
assumer la pleine responsabilité de leurs actes. Les jours et
les mois à venir seront particulièrement cruciaux pour les
Nations Unies au Rwanda. La question est de savoir si les
Nations Unies vont tourner le dos au Rwanda ou si elles
sont prêtes à faire un peu plus pour sauver la vie de tant de
civils innocents confrontés à la haine et à la violence
insensée de quelques éléments au sein de partis et de
groupes rivaux.
De l’avis de ma délégation, cette question transcende
la politique. Il s’agit d’une question d’ordre moral qui
touche au coeur de la crédibilité des Nations Unies. Ses
implications se feront sentir bien au-delà du Rwanda.
Le Gouvernement nigérian est reconnaissant au Secrétaire général, à son Représentant spécial, au Commandant
de la Force et au personnel de la Mission des Nations Unies
pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), qui s’emploient à
exécuter le mandat des Nations Unies au Rwanda dans des
conditions extrêmement difficiles. Nous saluons le rôle
positif joué par l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et
les dirigeants de la région pour aider à mettre fin au conflit
et au carnage au Rwanda.
Une fois de plus, le Nigéria invite toutes les parties à
cesser toutes les hostilités, à accepter immédiatement un
cessez-le-feu, et à coopérer pleinement avec les efforts en
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cours des Nations Unies et de l’OUÀ pour régler le conflit
au Rwanda.
Enfin, nous tenons à rappeler que, dès que la situation
au Rwanda le permettra, la générosité de la communauté
internationale sera sollicitée une fois de plus pour fournir du
matériel humanitaire et de secours d’urgence à la population
rwandaise dans le besoin. Nous espérons que, le moment
venu, cette assistance sera favorablement envisagée.
M. Al-Khussaiby (Oman) (interprétation de
l’anglais) : Monsieur le Président, ma délégation tient tout
d’abord à exprimer, par votre intermédiaire, sa reconnaissance au Secrétaire général pour ses rapports détaillés sur
la situation au Rwanda.
Ma délégation a suivi elle aussi avec une vive préoccupation les événements tragiques qui se sont produits
récemment au Rwanda. Elle se déclare profondément
attristée par la mort prématurée des deux Présidents
— Juvénal Habyarimana, du Rwanda, et Cyprien
Ntaryamira du Burundi — due au regrettable accident de
l’avion qui les transportait vers l’aéroport de Kigali.
Les événements violents qui se produisent actuellement
au Rwanda ont interrompu le processus de paix qui avait été
entamé dans ce pays par la signature de l’Accord de paix
d’Arusha. Il est évident que la Mission des Nations Unies
pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) ne pourra pas
s’acquitter efficacement de sa tâche dans les conditions qui
règnent actuellement au Rwanda.
Depuis sa création en 1993, la MINUAR déploie des
efforts louables et énergiques pour aider le peuple rwandais
dans la mise en oeuvre de l’Accord de paix d’Arusha.
Néanmoins, sa présence au Rwanda maintenant, dans la
situation actuelle, est considérée comme présentant de
grands risques du fait que les deux parties au conflit ne
parviennent pas à se mettre d’accord sur un cessez-le-feu et
qu’il n’y a pas d’autorité centrale dans ce pays.
Nous comprenons la position de ceux qui demandent
la poursuite du mandat de la MINUAR, dans le but de
renforcer la crédibilité des Nations Unies dans ce pays, mais
nous pensons que, pour le moment, il conviendrait plutôt de
réduire la présence de la MINUAR au minimum. Il convient
toutefois de maintenir une présence politique des Nations
Unies, en permettant au représentant du Secrétaire général
au Rwanda de poursuivre son initiative — des plus
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vitales — et ses efforts de médiation entre les parties au
conflit.
Si mon pays appuie cette option, c’est parce que les
parties rwandaises hésitent encore à déclarer l’aéroport de
Kigali zone neutre et à le mettre sous le contrôle de la
MINUAR. Etant donné la situation actuelle au Rwanda, il
sera sans doute très difficile de garantir la sécurité du
personnel de la MINUAR; ce qui le découragerait de
s’acquitter de ses tâches. Au cas où la situation s’améliorerait au Rwanda, le Conseil pourrait examiner de nouveau la
situation et revoir en conséquence le mandat de la
MINUAR, y compris sa composition.
Dans ces conditions et compte tenu de ce que je viens
de dire, ma délégation estime que l’option qui se prête le
mieux à la situation actuelle au Rwanda consiste à demander une réduction de la MINUAR tout en maintenant une
présence politique des Nations Unies au Rwanda.
C’est en gardant ces considérations à l’esprit que ma
délégation votera pour le projet de résolution dont le
Conseil est saisi.
M. Olhaye (Djibouti) (interprétation de l’anglais) : Le
dernier rapport du Secrétaire général sur la situation au
Rwanda, en date d’aujourd’hui, donne sérieusement à
réfléchir. La terrible tragédie du Rwanda continue d’attrister
profondément ma délégation. Avec ses pertes de vies
inacceptables et ses effroyables destructions matérielles,
cette crise est à n’en pas douter une explosion de tensions
ethniques de longue date profondément enracinées, dont
l’histoire et le processus politique en cours dans le pays
sont le reflet, tensions qui ont abouti une fois de plus à une
situation où l’homme de la rue souffre et meurt.
Bien que les avertissements aient été bien visibles, et
notés en fait à plusieurs reprises, on doit regretter, avec le
recul, que le processus de paix qui devait conduire à la
création des institutions de transition convenues demandée
dans l’Accord de paix d’Arusha de l’année dernière n’avait
jamais été achevé. Il est certes regrettable que cela ne se
soit pas produit au moment voulu, le processus ayant sans
cesse été retardé par un manque de consensus au sein des
partis politiques participants. Sans l’assentiment de toutes
les parties, le consensus sur lequel reposaient les progrès
devant être réalisés pendant la période de transition et la
création des institutions de transition ne pouvait être obtenu.
Ma délégation estime que la Mission des Nations
Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), le Commandant de la force de la Mission, le général Dallaire, et le
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Représentant spécial du Secrétaire général, M. JacquesRoger Booh-Booh, se sont acquittés d’une tâche très louable
en restant maîtres de la situation afin de gagner du temps et
permettre ainsi aux nombreuses manifestations internes de
se calmer. Comme l’a fait remarquer le Secrétaire général
dans son rapport au Conseil en date du 30 mars 1994, le
cessez-le-feu tenait, bien qu’en se détériorant, et la
MINUAR continuait de jouer un rôle stabilisateur. En fait,
les tâches militaires de la première phase ont été achevées
en avance sur le programme. Comme on pouvait s’y
attendre, dans le domaine de l’aide humanitaire, on s’est
heurté à de nombreux problèmes, mais là encore, la
situation a été maîtrisée et réglée. L’une des principales
préoccupations était les difficultés causées par le nombre
des réfugiés qui rentraient — un bon signe en fait.
Malheureusement, comme l’ont montré les événements
qui ont eu lieu par la suite, le calme qui régnait en surface
masquait simplement une vague d’émotions puissantes
capables d’exploser avec le bon détonateur. Nous pensions
qu’aucun incident ne pouvait servir de détonateur, mais la
destruction de l’avion du Président Habyarimana et sa mort
ont fourni le prétexte nécessaire pour déclencher les troubles
qui ont mené au chaos qui a suivi. C’est pourquoi, bien que
le Secrétaire général était en mesure de noter dans son
rapport d’il y a trois semaines à peine que
«en respectant le cessez-le-feu, les parties ont témoigné leur ferme attachement au processus de paix»
(S/1994/360, par. 45)
on devait déjà savoir que la mort du Président bouleverserait le processus politique — à la différence de la situation surprenante au Burundi voisin, dont le Président est
mort dans le même accident.
Nous connaissons tous la suite. Des rapports font état
de tas de corps mutilés de manière indescriptible qui jonchent les rues et d’hôpitaux pratiquement transformés en
prisons. Et le pays reste un champ de mort.
Il s’agit là d’une situation dans laquelle l’ONU est
peut-être la seule entité capable de préserver un certain
ordre et de sauver des vies, tout en favorisant un arrêt des
combats afin que puissent s’amorcer des négociations en
vue d’un retour aux principes de l’Accord d’Arusha.
Des trois options offertes par le Secrétaire général aux
fins d’une action de l’ONU, la troisième, qui consiste en un
retrait total de l’ONU, doit être considérée, étant donné la
probabilité d’une effusion de sang qui s’ensuivrait certainement, comme étant inhumaine et inacceptable. Cela
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ruinerait tout ce que l’ONU a fait d’utile et serait susceptible de faire.
poursuivent encore. Avant toute autre chose, il faut
qu’intervienne immédiatement un cessez-le-feu.
En fait, ma délégation défendrait une position intermédiaire entre les options un et deux présentées par le
Secrétaire général. Selon nous, il est aussi nécessaire de
forcer les belligérants à respecter un cessez-le-feu et d’imposer le maintien de l’ordre que de maintenir une sécurité
minimale pour les civils innocents et d’offrir une certaine
protection, tout en exerçant des pressions pour un retour aux
négociations. L’ONU devrait certainement être en mesure
d’assurer, avec l’accord des deux parties, la sécurité et un
refuge aux civils innocents. D’un commun accord, aucune
partie n’attaquerait de telles zones, sous peine d’être
accusée de violations des droits de l’homme par la
communauté internationale. Toujours d’un commun accord,
les quartiers généraux de l’ONU devraient être considérés
comme autant de zones sûres ou diplomatiques auxquelles
aucune partie ne pourrait porter atteinte. Compte tenu de ces
facteurs, ma délégation estime donc que l’option la plus
viable est probablement l’option deux, que nous appuyons
par l’intermédiaire du projet de résolution dont nous
sommes saisis.
Ce qui fait de la situation au Rwanda une véritable
tragédie, c’est qu’il ne semble pas qu’il soit possible d’éviter un retour aux principes d’Arusha. Nous faisons face à
une très grande disparité ethnique, importante en nombre,
liée à une histoire de disparité du pouvoir qui ne peut être
aplanie que par une volonté commune de toutes les parties
d’arriver à un consensus. C’est exactement ce que prévoit
l’Accord d’Arusha. La domination d’une partie quelconque
susciterait simplement un retour à la situation qui a abouti
à l’affrontement initial. Heureusement, une telle prise de
conscience s’est concrétisée au Burundi voisin et est à
l’origine du calme relatif qui y règne dans des circonstances
presque identiques. Dans ce cas, cela pourrait fournir un
exemple de ce qui pourrait être réalisé au Rwanda si des
mesures sont rapidement prises en faveur d’un cessez-le-feu
et de négociations.
Cela ne permettra peut-être pas à l’ONU d’entreprendre les tâches que, à notre avis, elle peut et doit entreprendre et, par suite de sa présence et de sa visibilité
réduites, cela pourrait contribuer indirectement à prolonger
la violence. Bien que cela soit assurément regrettable, c’est
préférable à un retrait total.
La Mission des Nations Unies pour l’assistance au
Rwanda (MINUAR) doit également tenter de jouer un rôle
dans l’acheminement continu de l’aide humanitaire, et les
deux parties doivent en être tenues pour responsables. Il
doit y avoir des zones du pays où les civils peuvent recevoir
une telle aide sans avoir à subir les conditions chaotiques
qui prévalent à Kigali, la capitale.
Il faut aussi mentionner l’ample contribution de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et des chefs d’État de
la région, et notamment de la Tanzanie. Par ailleurs, une
grande responsabilité dans cette tragédie incombe aux forces
gouvernementales, qui ont été très peu aptes à contenir leurs
cadres et à imposer la discipline. De même, le Front
patriotique rwandais n’a pas non plus facilité les choses en
adoptant une position inflexible à l’égard des négociations
et en mettant en avant un ensemble rigide de conditions
préalables. Ainsi, alors que chaque partie se prépare à un
affrontement final, le cessez le feu tellement nécessaire se
fait toujours attendre, et les destructions et les tirs se
Il est difficile d’accepter de regarder les civils
rwandais innocents dans les yeux et d’y voir leur terrible
crainte de la mort alors qu’il y a tellement de choses que
l’ONU devrait être à même de faire si elle en avait le
mandat. La sécurité et la protection des innocents, notamment dans une situation qui permettrait de les assurer par de
nombreuses manières non militaires, constituent peut-être un
objectif fondamental de l’ONU. Et, contrairement à ce que
certains ont affirmé, il existe réellement une volonté d’y
arriver.
Comme l’a dit Roger Booh-Booh : «Nous sommes
venus pour aider le Rwanda, mais nous ne pouvons imposer
aucune solution au peuple rwandais, qui doit nous aider à
l’aider».
M. Bizimana (Rwanda) : Ma délégation voudrait tout
d’abord remercier le Secrétaire général pour les efforts qu’il
déploie au sujet de la situation au Rwanda.
S’agissant de cette situation, je voudrais indiquer que,
depuis le 6 avril 1994, le Rwanda vit les moments les plus
critiques de son histoire. À cet égard, on se souviendra que
c’est à cette date que le peuple rwandais a été profondément
affligé par l’assassinat du chef de l’État rwandais, intervenu
lorsque son avion a été abattu à l’aéroport de Kigali alors
qu’il revenait de Dar es-Salaam, où il avait participé à un
sommet régional dédié au retour de la paix au Rwanda et au
Burundi. Cet acte ignoble ayant également coûté la vie au
Président de la République du Burundi, nous saisissons cette
occasion pour renouveler nos profondes condoléances à la
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Conseil de sécurité
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famille du Président Ntaryamira, au Gouvernement et au
peuple du Burundi.
L’assassinat du chef de l’État rwandais a créé un
sentiment de consternation et de stupeur au sein de la
population rwandaise, et cet événement tragique a suscité
une fureur qui a entraîné des actes de violence ayant coûté
la vie, malheureusement, à certaines personnalités ainsi qu’à
des milliers de civils, ce que nous déplorons profondément
aujourd’hui. Nous déplorons également la mort des
membres du personnel de l’ONU, en même temps que nous
renouvelons nos condoléances les plus attristées à la suite
de cet événement.
Le drame que vit le peuple rwandais a surtout atteint
son paroxysme lorsque ce climat de violence a été exacerbé
par la reprise des hostilités et par les attaques armées,
accompagnées par une vague de massacres, lancées par le
Front patriotique rwandais. C’est ainsi que le gouvernement
intérimaire, formé le 9 avril 1994, s’est fixé pour objectif de
rétablir l’ordre et la sécurité des personnes et des biens,
ainsi que de poursuivre les contacts avec le Front patriotique rwandais, pour la mise en place sans délai des institutions de la transition à base élargie dans le cadre de
l’Accord de paix d’Arusha.
Évidemment, le succès dans ce domaine reste tributaire
de l’arrêt des hostilités et de l’appui de la communauté
internationale pour venir en aide aux populations en détresse. Face à cette tragédie, la réaction de la communauté
internationale a été souvent controversée, souvent sélective,
si bien que le peuple rwandais s’est senti abandonné, à un
certain moment, et se sent même aujourd’hui, à son triste
sort.
En effet, au-delà de la préoccupation, certes légitime,
axée sur l’évacuation des ressortissants étrangers, la communauté internationale ne semble pas avoir agi d’une
manière appropriée pour répondre à l’appel angoissant du
peuple rwandais. L’analyse de la question a souvent tourné
autour des voies et moyens de retirer la Mission des Nations
Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), sans
chercher à faire droit à la préoccupation de ceux qui ont
toujours considéré avec raison que, compte tenu de la
situation en matière de sécurité qui règne actuellement au
Rwanda, il fallait accroître les effectifs de la MINUAR afin
de lui permettre de contribuer au rétablissement du cessezle-feu et d’aider à la création des conditions de sécurité qui
seraient de nature à permettre la fin de la violence.
Cette augmentation des effectifs aurait surtout permis
aux organismes humanitaires et aux organisations non
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gouvernementales de fournir une assistance humanitaire à
toutes les populations en détresse. C’est cette approche, à
laquelle s’est d’ailleurs pleinement associée l’Organisation
de l’unité africaine (OUA), qui aurait permis au Conseil
d’être véritablement un instrument au service de la paix et
de la sécurité de tous les peuples. Sinon, quelle réponse
peut-on donner à ce réflexe contradictoire et à la politique
de deux poids deux mesures qui, dans certaines opérations
de maintien de la paix, se traduit par le renforcement des
moyens militaires et logistiques en cas de dégradation de la
sécurité, alors que, dans d’autres cas, la stratégie est de
considérer tout facteur d’insécurité comme une raison
suffisante pour l’ONU de plier bagage?
C’est la crédibilité de notre conseil et l’image de notre
organisation qui sont en jeu. Dans cette situation difficile,
nous avons surtout apprécié le courage des troupes et des
pays qui fournissent des contingents à la MINUAR, et qui
ont résisté à la pression partisane de ceux qui ont voulu que
leur départ du Rwanda s’accompagne de celui de tous les
effectifs de la MINUAR.
Aux termes du projet de résolution dont il est saisi, le
Conseil se déclare atterré par la violence et les hostilités qui
font des victimes de milliers de civils et entraînent le
déplacement d’un nombre important de Rwandais. L’option
retenue par le Conseil visant à réduire les effectifs de la
MINUAR jusqu’à environ 200 éléments ne fournit pas, on
le comprendra, une réponse à cette crise, car il n’est
envisagé aucun moyen d’assister les populations soumises
à toutes sortes d’exactions liées aux hostilités. À cet égard,
le vote que ma délégation va exprimer au sujet de ce projet
de résolution devra signifier que le peuple rwandais garde
l’espoir que le Conseil finira par se convaincre qu’il est de
son devoir d’agir d’une manière résolue pour préserver la
paix au Rwanda et garantir la stabilité dans la région. Notre
vote devra également indiquer que mon pays s’associe à
l’appel du Conseil en faveur de la cessation immédiate des
hostilités et de la violence. Pour y parvenir, le Conseil
devrait pouvoir amener le Front patriotique rwandais à
consentir à un cessez-le-feu intégral en considérant qu’il
relève de la futilité que de penser que le règlement de la
crise au Rwanda passe par une solution militaire. Le Front
patriotique rwandais doit être tenu responsable de cette
attitude de vouloir poursuivre les hostilités en vue de
perpétuer la situation actuelle de violence et poursuivre les
massacres dans les zones sous son contrôle.
Par ailleurs, mon pays espère que la demande que le
Conseil adresse à tous les pays pour qu’ils s’abstiennent de
toute action susceptible d’exacerber encore la situation au
Rwanda sera suivie d’effet et, dans cette optique, nous
Conseil de sécurité
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insistons sur le rôle important que doit jouer la Mission
d’observation des Nations Unies sur la frontière rwandoougandaise en tant que facteur indispensable de stabilité
dans la région.
Enfin, nous nous associons à l’appel lancé pour que la
communauté internationale apporte une aide humanitaire
accrue à la mesure de l’ampleur de la tragédie humaine qui
s’abat actuellement sur le Rwanda.
Le Président (interprétation de l’anglais) : Je vais
maintenant mettre le projet de résolution aux voix.
Il et procédé au vote à main levée.
Votent pour :
Argentine, Brésil, Chine, République tchèque, Djibouti,
France, Nouvelle-Zélande, Nigéria, Oman, Pakistan,
Fédération de Russie, Rwanda, Espagne, Royaume-Uni
de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, États-Unis
d’Amérique
Le Président (interprétation de l’anglais) : Le résultat
du vote est le suivant : 15 voix pour. Le projet de résolution
a été adopté à l’unanimité en tant que résolution 912
(1994).
Je vais donner maintenant la parole aux membres du
Conseil qui souhaitent faire une déclaration après le vote.
M. Ladsous (France): La France a été profondément
choquée par la tragédie qui a coûté la vie aux Présidents du
Rwanda et du Burundi alors qu’ils revenaient d’un sommet
régional consacré à la recherche de solutions pacifiques aux
crises de la région.
La France est consternée par l’ampleur de la violence
qui a suivi, qui a fait des milliers de victimes dans la
population civile et qui a frappé également des soldats de
l’ONU venus en mission de paix dans ce pays. Mon pays
tient à rendre un hommage particulier aux casques bleus
belges tombés au champ d’honneur d’une cause internationale au service de laquelle ils se sont engagés, hélas,
jusqu’à l’ultime sacrifice.
3368e séance
21 avril 1994
La France tient par ailleurs à saluer le rôle actif joué
sur place dans cette situation dramatique par le Représentant
spécial du Secrétaire général et par le Commandant de la
MINUAR en vue d’obtenir la conclusion d’un cessez-le-feu
et de permettre la restauration d’un dialogue entre les
parties. Mon pays souligne qu’aucune solution militaire
n’est acceptable ni même réalisable. Toute victoire d’une
partie sur l’autre serait une victoire à la Pyrrhus, et le pays
se trouverait plongé plus profondément encore et indéfiniment dans la violence. L’Accord de paix d’Arusha
reste le seul cadre légitime pour la recherche d’une solution
politique au Rwanda.
L’ONU avait accordé aux parties rwandaises un délai
de quelques jours pour conclure un cessez-le-feu qui aurait
permis à la Mission d’assistance au Rwanda de remplir le
mandat que lui avait confié la résolution 872 (1993). Il n’y
a malheureusement toujours pas de cessez-le-feu, et le
Conseil de sécurité a été contraint de réexaminer les conditions de la présence de la MINUAR en la réduisant à un
niveau minimal. Nous voulons espérer que les parties
rwandaises reviendront à la raison et qu’elles réaliseront que
les Nations Unies ne peuvent ni se substituer à elles ni leur
imposer la paix. À cet égard, nous nous félicitons des
initiatives prises par les pays de la région et, notamment,
par le Président de la Tanzanie en tant que facilitateur du
processus d’Arusha. Nous espérons que la réunion prévue
pour cette fin de semaine permettra aux parties rwandaises
de reprendre le chemin de la paix. L’ONU sera prête à tout
moment à les y aider et à les accompagner dans un cheminement qui n’est pas seulement crucial pour le Rwanda et
pour sa population si cruellement éprouvée, mais qui revêt
également une importance vitale pour la stabilité de toute
cette région du continent africain.
Le Président (interprétation de l’anglais) : Il n’a pas
d’autres orateurs sur ma liste.
La prochaine séance du Conseil de sécurité consacrée
à la poursuite de l’examen de la question inscrite à l’ordre
du jour sera fixée à l’issue de consultations avec les membres du Conseil.
La séance est levée à 22 h 35.
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