Fiche du document numéro 5983

Num
5983
Date
Mardi 3 janvier 2012
Amj
Taille
114076
Titre
Rwanda : Retour sur l’attentat qui fit un million de morts (1)
Source
Type
Blog
Langue
FR
Citation

I. A quoi pouvait penser le président Habyarimana vingt-cinq minutes avant son décès ?



Le 6 avril 1994 vers 20 heures, avant sa mort brutale et quelque peu prématurée, à quoi pouvait bien penser le président de la République du Rwanda Juvénal Habyarimana, 57 ans et 102 kilos ? Lui seul aurait pu le dire mais bien des indices laissent croire qu’il avait jugé la journée exécrable de bout en bout. En se levant aux aurores pour rejoindre le centre de négociations de Dar-es-Salaam, au bord de l’Océan Indien, il devait pester en son fort intérieur contre cette destination trop lointaine - près de 1200 kilomètres - et trop chaude, alors que la veille, le centre d’Arusha, à l’altitude aussi tempérée que Kigali et à 754 kilomètres seulement -, était disponible.

En général, Juvénal Habyarimana aimait rêvasser dans son avion personnel où l’équipage de trois Français lui donnait une rare sensation de sécurité. Lorsqu’il s’avachissait dans le fauteuil de cuir couleur beurre de son triréacteur Falcon 50, il éprouvait même parfois, selon des proches ayant voyagé avec lui, une sorte d’euphorie et se révélait d’un abord plus facile. C’était peut-être l’irréductible part d’enfant de ce dictateur aguerri : son admiration un tantinet naïve pour les avions, surtout à réaction. Malgré l’usure d’un pouvoir longtemps quasi-absolu qui avait mis à bas bien des illusions, le sifflement et la grâce de cet oiseau de métal restaient pour lui synonymes de luxe et d’évasion.

Admirateur des avions à réaction



Ce n’était pas pour rien que le président de la République du Rwanda avait fait construire sa villa dans l’axe de l’unique piste de l’aéroport de Kigali, la capitale du Rwanda. Impossible que la maison ne se révélât aux visiteurs pour ce qu’elle était : vieillotte, cimenteuse, laide. Alentour, quelques paons, un poulailler, une porcherie et une fosse à serpent où végétait un boa obèse. Au moins ce mini zoo permettait à la résidence présidentielle, à défaut de s’envoler, d’atteindre le sommet du mauvais goût. Et l’intérieur ne rachetait d’aucune sorte l’impression extérieure.

Le sommet du mauvais goût



Le maître des lieux affectionnait les meubles laqués blanc-ivoire de style nouille/rococo inspirés des pires feuilletons sur le Far-West. Et les robinets plaqués or, qui ne conféraient aux salles de bains qu’un luxe pisseux. Des deux côtés de son lit, immense, bien trop grand pour un homme seul (depuis des années il faisait chambre à part avec son épouse Agathe et répugnait à lui manifester une quelconque affection) trônaient deux tables de chevet faites de pattes naturalisées d’un éléphant. Un trophée abattu, disait-il, par son ami Valéry Giscard d’Estaing. Souvenir de l’époque où ce premier président ami accourait pour assouvir ses deux passions : la chasse au gros et aux petites.

La seule véritable attraction du lieu était un escalier en bois hélicoïdal surmonté d’un gigantesque lustre et qui cachait un dispositif secret : la nuit, d’un bouton dissimulé dans sa chambre, Juvénal Habyarimana pouvait activer les contacts électriques placés sur chaque marche, reliés à une sonnerie. Un dictateur élu et réélu entre 97 % et 99,9 % n’est jamais trop prudent, en Afrique comme ailleurs.

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