Citation
SENAT DE BELGIQUE
SESSION ORDINAIRE 1996-1997
Commission spéciale Rwanda
COMPTE RENDU ANALYTIQUE
DES AUDITIONS
Mercredi 12 mars 1997
SOMMAIRE
AUDITION DE M. L'AMBASSADEUR JOHAN SWINNEN
(Orateurs: M. Swinnen, Mme Willame-Boonen M. Destexhe, Mme Dua, MM.
Verhofstadt, Ceder, Mahoux, Jonckheer, Anciaux, Hostekint et Caluwé.
Le Compte rendu analytique des auditions qui se déroulent à huis clos
est distribué uniquement aux membres de la commission
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PRESIDENCE DE M. SWAELEN, PRESIDENT
La réunion est ouverte à 10 h 10 m.
AUDITION
DE M. L'AMBASSADEUR JOHAN SWINNEN
M. le Président. —Aujourd'hui, nous examinons à nouveau la question de l'existence
éventuelle d'un climat anti-Belge avant et peu après l'arrivée de la MINUAR et du
contingent belge. A cette époque, M. Swinnen était ambassadeur à Kigali. Nous
pouvons scinder la discussion en deux parties. Une première partie concernera les
questions relatives à la conclusion des accords d'Arusha et à I'existence d'un climat
anti-Belge avant que ne fut prise la décision d'envoyer des paras et, éventuellement, à
l'existence de contre-indications à la participation belge. Une deuxième partie sera
consacrée à la question de savoir si les sentiments anti-Belges se sont renforcés avec
l'arrivée des paras belges. Des citoyens belges au Rwanda se sont-ils jamais plaints à
cet égard ? Le gouvernement a-t-il tenu compte comme il fallait des informations
transmises par l'ambassadeur Swinnen ?
M. Swinnen, (en néerlandais).—Je suis heureux que l'on me donne l'occasion
d'expliquer la situation qui prévalait avant les événements tragiques du 7 avril. Je
répondrai d'abord à la dernière question. A la question de savoir si j'ai été
suffisamment bien compris par les autorités belges et si la communication fut
suffisamment bonne, je puis répondre très positivement. Les relations entre les
autorités belges et l'ambassade étaient marquées par une confiance absolue. Je ne me
suis jamais senti isolé, au contraire. Les instructions détaillées des affaires étrangères
me permettaient d'agir efficacement.
J'ai reçu des instructions tant écrites que verbales. A certains moments, j'avais des
entretiens téléphoniques quotidiens avec le chef de cabinet Willems, ainsi que de
nombreux contacts avec l'administration, en particulier avec le bureau africain. Je me
suis donc toujours senti suffisamment soutenu.
Les accords d'Arusha étaient le résultat positif d'un processus de négociation long et
ardu qui devait déboucher sur un règlement pacifique d'un conflit armé. Nous devions
répondre au difficile défi auquel le Rwanda était confronté, à savoir la réalisation d'un
processus de réforme interne axé sur la mise en place d'une société démocratique et
pluraliste.
Les accords d'Arusha offraient en premier lieu une perspective de reconstruction
économique et sociale. La réintégration des réfugies constituait une priorité. Le régime
rwandais avait négligé le problème des réfugies durant la période de 1960 à 1990. Il y
avait des projets de négociation en 1990, mais elles n'ont pas démarré.
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Ensuite, Arusha devait réaliser une sécurité et stabilité assorties d'un partage du
pouvoir politique. Il fallait résoudre le problème des 900 000 personnes déplacées. La
population souhaitait ardemment une nouvelle stabilité.
Enfin, il fallait mettre en place un Etat de droit à part entière respectant totalement les
droits de l'homme.
La Communauté internationale voulait y accorder sa collaboration. Arusha n'était pas
une fin en soi, mais un nouveau départ pour la mise en place d'une société
démocratique et pacifique.
Les accords ont tenté de réaliser des équilibres. Le résultat formel n'était sans doute
pas parfait, mais il n'y avait pas d'autre issue pour établir la paix.
Certains milieux politiques acceptaient difficilement le partage du pouvoir militaire qui
avait été convenu. Lors d'une fusion des armées, la répartition se ferait sur la base
d'une formule 60/40: 40% pour le FPR et 60% pour l'armée régulière rwandaise. Au
niveau de la structure de commandement, on avait convenu un répartition 50/50. Nous
avons alors dit au FPR que le président Habyarimana avait fait d'importantes
concessions et qu'on attendait maintenant d'eux qu'ils s'engagent de manière non équivoque en faveur de la mise en place d'une dynamique démocratique et de l'organisation
d'élections.
Pour la Belgique, les accords s'inscrivaient dans la logique de paix pour laquelle elle
avait plaidé depuis octobre 1990. Ils nous permettaient de nous engager activement en
faveur d'un développement pacifique de la société rwandaise.
La Belgique a œuvré en faveur de l'émergence d'une démocratie pluraliste au Rwanda
et a mené une politique critique et constructive en matière de droits de l'homme. Il
s'agissait d'une politique volontariste par laquelle nous entendions marquer notre
solidarité avec un peuple ami. C'est ce peuple que notre pays a choisi, non une des
parties au conflit.
Notre politique se caractérisait par la neutralité en raison, non pas des liens
historiques, mais bien de notre foi dans le potentiel de ce pays. Il s'agissait d'une
politique d'engagement et de solidarité équitable, objective et critique. Il ne faut donc
pas s'étonner que notre pays se soit déclaré prêt à participer à l'exécution des accords
d'Arusha.
La décision de participer à la MINUAR s'inscrit dans le cadre de cette politique. On a
maintenu la coopération au développement tout en recherchant de nouvelles
perspectives. On a envisagé une collaboration technique militaire afin de faciliter la
fusion des deux armées. Enfin, la Communauté internationale et notre pays ont
maintenu la pression sur tous les acteurs politiques.
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Dans mon rapport du 27 septembre 1993, j'indiquais que les efforts de la Belgique
devaient porter leurs fruits sur les plans politique et diplomatique. Je partais du
principe que la Communauté internationale ne pouvait relâcher sa pression dans la
lutte contre la corruption et pour le respect des droits de l'homme.
Des dissensions avaient déjà surgi au sein du MDR avant la signature des accords
d'Arusha. A l'époque, ce parti était considéré comme le principal parti d'opposition en
puissance. Les problèmes au sein du MDR et du parti libéral était liés non seulement
aux accords d'Arusha mais également à des antagonismes régionaux et individuels.
Nous étions convaincus que le centre politique ne résisterait pas à la bipolarisation et
à la radicalisation des positions. Le souci de la “ mouvance présidentielle ” pour
disposer d'une minorité de blocage dans les institutions de l'Etat ne fit que renforcer
cette tendance. Les difficultés liées à l'article 11 du protocole concernant l'inculpation
du président par l'assemblée nationale en sont le résultat.
On voulait éviter que l'ensemble des services de sécurité tombe entre les mains du
FPR suite à la nomination de ministres de tendance FPR. On voulait également éviter
que le chef de l'état-major de la gendarmerie soit de tendance FPR. Dans le
gouvernement de transition les services de renseignements seraient de la compétence
du premier ministre, qui était lui aussi plutôt de tendance FPR. Ces circonstances
avaient pour conséquence que les négociations concernant l'installation du
gouvernement de transition étaient très difficiles.
Le coup d'Etat du 21 octobre 1993 au Burundi a fortement hypothéqué les
négociations en vue de I’installation du nouveau gouvernement. Au Burundi nous
avons assisté à un processus de démocratisation réussi. Le président Buyoya avait
lui-même contribué à la transition vers un régime démocratique. Grâce à lui des
élections démocratiques ont pu avoir lieu quelques mois avant la conclusion des
accords d'Arusha. M. Ndadaye, qui appartenait à l'ancien parti de l'opposition, le
Frodibu, avait gagné les élections de façon éclatante.
Il était ainsi devenu le premier président Hutu démocratiquement élu. Il voulait
cependant procéder de façon très prudente. Il n'a pas immédiatement fait nommer des
gens de son parti.
Le nouveau président a fait de nombreuses concessions à l'Uprona et aux Tutsis.
L'assassinat du nouveau président a causé au Rwanda une réaction de méfiance
vis-à-vis du processus de paix. Le président Habyarimana a réagi de façon très acerbe.
Le président estimait que la Communauté internationale lui reprochait de ne pas avoir
joué le jeu et d'avoir été trop méfiant par rapport au processus de paix. Or, un
président d'un pays voisin a été assassiné, malgré sa politique progressive de
réconciliation nationale. Il est difficile d'expliquer aujourd'hui à la population et aux
acteurs politiques qu'Amshâ est un ensemble d'accords difficiles à appliquer.
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La méfiance suscitée de la sorte était significative. On devint particulièrement vigilant
à l'égard des engagements avec le FPR et les partis de l'opposition. Le facteur burundais a pesé lourdement sur les négociations à venir.
Au sein du MDR et du PL, il y eut une lutte pour obtenir des postes ministériels et
des sièges parlementaires. La plupart du temps, cette lutte opposait les partisans des
accords d'Arusha à ceux qui s'en méfiaient. On voulait veiller à ce que la solidarité
entre les Hutus soit maintenue dans le nouveau système.
Le processus d'Arusha n'a jamais cessé, mais il y eut d'importants atermoiements. On
a toujours continué à négocier malgré les ambiguïtés, les rancunes personnelles et les
oppositions entre le nord et le sud. Le cessez-le-feu à été respecté et la zone de
sécurité a été installée à Kigali. La police des Nations Unies a collaboré étroitement
avec la gendarmerie, le parquet et la police municipale. On a donné l'autorisation
d'ouvrir un corridor vers l'Ouganda. Il y eut également des réunions entre le FPR et les
partis gouvernementaux rwandais en vue de la reconstruction socio-économique et de
la préparation de la démocratisation. Toutefois, on s'est heurté à des difficultés
politiques en ce qui concerne l'installation des institutions transitoires proprement
dites. Le secrétaire général des Nations Unies a dit à ce sujet dans son rapport du 30
mars 1994:
(poursuivant en Français)
“ Dès progrès enregistrés dans les négociations, il pourrait se dégager un compromis
relatif aux institutions de transition . Et le Secrétaire général de l'ONU ajoute qu'il est
encouragé par le fait que les parties n'ont pas rompu le dialogue entre elles.
(Poursuivant en néerlandais)
En ce qui concerne les sentiments anti-Belges avant et après le 19 novembre, je ne
puis que confirmer que je suivais de manière très attentive, pour ne pas dire obsessionnelle, l’évolution du climat à l'égard de la Belgique.
J'ai rédigé de nombreux rapports à ce sujet. J'insiste sur le fait qu'il n'y avait pas de
climat anti-Belge généralisé et qu'on a également émis des signaux positifs à l'égard de
la Belgique. Toutefois, des sentiments anti-Belges étaient exprimés dans les milieux
extrémistes et anti-pacifiste ,. C'était normal étant donné que la Belgique menait une
politique extrêmement pacifiste. Ces sentiments antiBelges étaient parfois dirigés
contre ma personne. La Belgique plaidait en faveur de la modération, de la réconciliation nationale, de la tolérance et du respect des droits de l'homme. Etant donné
l'attitude belge, I'absence de réactions extrémistes nous aurait dès lors étonnés. Les
sentiments anti-Belges sont à situer dans le contexte plus large d'une opposition
contre le processus de paix, les accords d'Arusha, la MINUAR, ainsi que d'une lutte
contre tous les modérés. Il s'agissait d'une minorité extrémiste qui visait à discréditer le
processus de paix. Après le coup d'Etat au Burundi, on n'y a pas exprimé des
sentiments spécifiquement anti-Belges. Les incidents avec le minibus Scolaire belge et
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l'inspection de l'appareil de la SABENA, dont le ministre Claes a parlé, doivent être
situés dans le contexte de l'hystérie collective de manifestations.
Cela ne signifiait pas qu'il était question d'une action anti-Belge préméditée.
Peu après le coup d'Etat au Burundi, le président, le premier ministre et d'autres
autorités ont demandé un déploiement rapide de la MINUAR avec participation
belge. On prétend que le parti unique du président était opposé à une participation
belge à la MINUAR. Début novembre 1993, un communiqué a effectivement été signé
par tous les partis gouvernementaux excepté le MNRD, demandant à la Belgique de
fournir un bataillon pour la MINUAR. Le fait que le MRND s'en est distancié ne
signifie pas qu'il était contre la participation belge, mais bien contre une participation
trop dominante et contre un rôle dominant exclusivement belge. Le MRND était
partisan d'un rôle substantiel belge. J'ai exprimé tout ceci dans le télex que j'ai envoyé
après le contact que j'ai eu avec le président du MRND. On peut y lire que le MRND
était opposé au projet tendant à demander une participation belge accrue pour aboutir
au chiffre de 800 hommes. Une concertation s'imposait au sein du Conseil des ministres plénière. Ngirumpatse croyait également que le MDR voulait tirer profit de et
abuser d'une réaction belge positive, qui pourrait être considérée comme une victoire
politique sur le MRND. Le premier ministre me disait à l'époque être convaincue que
cette opinion était loin d'être unanime et elle demandé un sérieux déploiement belge.
Le 12 novembre 1993, le président m'a dit que son vœu le plus cher était de voir la
Belgique s'engager dans la MINUAR et que la Belgique ne change pas d'idée. Il voulait
un contingent équilibré à Kigali.
Le président s'efforcerait d'apaiser les esprits et a même demandé des suggestions.
Je lui ai répondu qu'il devait assumer sa responsabilité et qu'il ne pouvait pas laisser
planer au sein de la population le moindre doute au sujet de ses intentions. J'ai
toujours répété à Habyarimana que nous ne voulions pas l'isoler; mais je l'ai toujours
encouragé à défendre ouvertement le processus de la paix et à gagner la confiance de la
population.
Le 5 novembre à l'occasion d'une manifestation du Hutu-Power contre le FPR et
Twagiramungu et où des slogans anti-Belges risquaient d'être scandés, on m'a assuré
que ce ne serait pas le cas.
A une réception en l'honneur de la fête de la dynastie, plus de 1000 personnes étaient
présentes, dont plus de la moitié était des Rwandais parmi lesquels des officiers des
FAR et des personnalités du MRND. A maintes reprises, on nous a clairement fait
comprendre que la Belgique bénéficiait d'un crédit considérable auprès des autorités
politiques et la société civile. Les Rwandais nous ont demandé de poursuivre notre
politique de soutien aux hommes politiques modérés.
Mme Willame-Boonen (PSC).—Comment les autorités rwandaises ont-elles présenté
les accords d'Arusha à leur population ?
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M. Swinnen.—Le processus de négociation d'Arusha a duré plus d'une année, au
cours de laquelle divers protocoles d'accord ont été proposés. Au fur et à mesure
qu'ils voyaient le jour, ils faisaient l'objet d'une certaine publicité, de sorte que les
Rwandais étaient au courant des étapes franchies. Ils connaissaient aussi les flambées
de violence qui éclataient régulièrement.
La population aspirait surtout au rétablissement de la paix et prenait espoir chaque
fois qu'un protocole d'accord était annoncé.
Après la signature des accords d'Arusha, I'intégralité de leur contenu fut lue à la
télévision rwandaise qui organisa également des débats contradictoires.
Je n'ai pas toujours été satisfait de la manière dont les autorités ont assumé leurs
responsabilités quant à la diffusion de l'information. En 1992, lors de la fête du Roi,
j'avais encouragé tous les acteurs politiques à tenir un discours rassurant. Dès le
lendemain, le président Habyarimana tint, à Ruhengeri, des propos particulièrement
décevants concernant le protocole conclu qu'il considérait comme un chiffon de
papier.
Le surlendemain, je me suis rendu chez le président pour lui dire que s il voulait que le
peuple beige continue à être solidaire de la cause du peuple rwandais' il fallait que les
autorités du pays s'engagent de bonne foi à défendre les accords.
Mme Willame-Boonen (PSC) — Dès les accords d’Arusha, des informations biaisées
ont été diffusées par des hommes politiques. Cela a-t-il été à l'origine du climat
anti-Belge ?
M. Swinnen.—Je détaille cet épisode pour montrer tous les éléments de notre
démarche de sensibilisation des autorités rwandaises. le président m'affirme ne pas
avoir dit que les accords étaient un chiffon de papier mais qu'il s'agissait d'un acte
formel insuffisant en soi et qui n'aurait de valeur que s'il donnait des résultats.
Mme WilIame-Boonen (PSC). voilà des propos bien vénitiens.
M. Swinnen.—Il faut isoler cet incident car il est le seul auquel j'ai été confronté et où
il y avait matière à penser qu'il fallait désespérer que la population reçoive un jour
suffisamment de messages positifs des autorités sur les accords d'Arusha.
Dans les milieux extrémistes, le climat était déjà mauvais. La radio RTLM a été fondée
en avril 1993 et a émis le 8 juillet 1993 pour la première fois, c'est-à-dire avant les
accords d'Arusha. Je ne me souviens pas qu'ils aient conspué les accords dès le départ.
Nous avons pris conscience de l'influence néfaste de cette radio vers la fin de l'année.
M. Destexhe (PRL-FDF).—Nous sommes au cœur du problème. Vous insistez sur la
distinction à faire entre les minorités extrémistes et les autorités politiques. MM.
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Kabuga, Nahimana, Bagosora, Ngirumpatse et Sagakowa, faisaient-ils partie de la
minorité extrémiste ?
M. Swinnen.—Nous ne pouvions pas être sûrs que tous les acteurs politiques soient
engagés de bonne foi dans le processus. Cela explique notre souci de les rencontrer
fréquemment pour leur expliquer notre position et la raison de notre présence et du
maintien de la coopération. Il n'y avait pas de raison particulière de douter de la bonne
foi des personnes citées.
Dès janvier, j'ai signalé que M. Kabuga était manifestement actionnaire de RTLM et
que M. Nahimana, que l'on proposait comme ministre de l'enseignement supérieur du
gouvernement de transition, jouait un rôle important dans cette radio. M.
Barayagwiza qui occupait des fonctions importantes au ministère des affaires
étrangères et qui était un des fondateurs du parti extrémiste CDR jouait aussi un rôle à
RTLM. M. Kabuga était par ailleurs, semble-t-il, un important bailleur de fonds du
MRND. Nous étions conscients de ces liens et nous n'avons pas ménagé nos efforts
pour encourager les hommes politiques à ne pas miner le processus de paix. Ces
efforts s'adressaient aussi au FPR.
M. Destexhe (PRL-FDF).—Vous ne répondez pas à la question. M. Kabuga est le
personnage qui a acheté 25 000 machettes. Tous les gens cités sont des proches du
président. Qui sont donc les extrémistes ?
M. Swinnen'—Les minorités extrémistes sont difficiles à identifier. En fait partie le
CDR, parti politique agréé. Je me souviens qu'il y a eu des rapprochements entre le
CDR et le MRND qui ont même constitué avec d'autres partis, temporairement, une
coalition. Les liens entre le CDR et les autres partis nous préoccupaient sérieusement,
de même que le développement de tendances extrémistes au sein du PL, du MDR et
du MRND. A part cette coalition temporaire, il n'y a pas eu de liens formels entre
certains partis et le CDR. Nous constations seulement que leurs positions avaient
tendance à se ressembler de plus en plus.
M. Destexhe (PRL-FDF).—J'aimerais que vous nous fournissiez la liste des
extrémistes qui semblaient proches du président rwandais. En outre, pourriez-vous
nous donner une idée du double langage d'Habyarimana que vous évoquiez déjà dans
un fax daté du 8 décembre ? Jusqu'à quand et jusqu'à quel point avez-vous accordé de
la crédibilité à ce que vous disaient Habyarimana et Ngirumpatse ?
M. Swinnen.—Je ne peux pas dresser de liste d'extrémistes qui ont entrepris des
actions afin que le processus de paix soit boycotté. Je disposais d'éléments mais je ne
pouvais pas affirmer que telle ou telle personne tentait de saboter les accords
d'Arusha. Bien entendu, nous avions des soupçons sur certains et sur un parti
politique. Mais je ne peux pas dire s'ils avaient une influence directe sur le président.
Je me suis toujours posé la question de la crédibilité d'Habyarimana. Etait-il un acteur
politique ou l'otage de son entourage ? Je n'avais pas de réponse et je n'en ai l toujours
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pas. Je me tenais cependant à la ligne de conduite selon laquelle nous devions cultiver
le dialogue avec toutes ces personnes. En Afrique, la palabre et la patience sont des
vertus importantes. J'ai remarqué qu'il y avait un mouvement de développement qui
n'allait pas dans le bon sens puisqu'il établissait une bipolarisation et une
radicalisation du discours politique.
M. Destexhe (PRL-FDF).—La belle famille du président était-elle une minorité
d'extrémiste ?
M. Swinnen.—Ce serait trop simple de l'affirmer. Je disposais d'éléments
d'appréciation que je ne pouvais pas forcément vérifier mais je me posais des
questions sur le comportement de certaines personnes. Je dirais sans certitude que
leur influence n'a pas été des plus positives.
Mme Dua (Agalev) (en néerlandais).—La Belgique a décidé d'apporter son soutien
inconditionnel aux parties signataires des accords d'Arusha. Quand a-t-on compris que
leur exécution serait impossible? Les négociations n'étaient-elles pas biaisées dès le
départ ? Face aux dissensions des partis gouvernementaux, le FPR affichait une grande
unité. M. Swinnen partage-t-il ce point de vue ?
Il déclare qu'un certain nombre de groupes minoritaires ne soutenaient pas les accords
d'Arusha. A partir de quel moment une majorité a-t-elle désapprouvé ces accords ? J'ai
l'impression qu'il y avait deux circuits: d'une part, le circuit officiel, qui continuait à
soutenir les accords d'Arusha et, d'autre part, un circuit officieux, composé pour une
grande part des mêmes personnes, qui, en fait, ne souhaitait pas que les accords
d'Arusha soient appliqués.
M. Swinnen.—Il est inexact que les accords d'Arusha étaient voués à l'échec dès le
départ. Certes, on savait que leur exécution serait un processus très ardu.
Mme Dua (Agalev) (en néerlandais).—Les négociations sur les accords d'Arusha
présentaient une faiblesse dans la mesure où les négociateurs n'étaient pas
représentatifs des courants majoritaires au sein de la population.
M. Swinnen.—Il est vrai qu'il y avait un problème en ce qui concerne la
représentativité des négociateurs. Quoi qu'il en soit, le gouvernement pluripartite était
plus représentatif que ne l'aurait été le gouvernement d'un Etat à parti unique. Au
gouvernement siégeaient de nombreux hommes politiques soucieux de traduire les
préoccupations de la population. Dès lors, il fut plus difficile de rapprocher les points
de vue au sein du gouvernement. En effet l'unanimité ne régnait pas dans les rangs des
négociateurs gouvernementaux des accords d'Arusha. Il fallait négocier avec différents
partis face à un FPR parfaitement structuré.
Les accords d'Arusha marquaient le début d'une transition devant déboucher sur les
élections. On était conscient que si celles-ci n'étaient pas d'emblée préparées, le
processus ne serait pas crédible. C'est la raison pour laquelle la Belgique a fortement
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mis l'accent sur ce volet de l'accord. En dépit des négociations ardues, on est quand
même parvenu à un accord.
Mme Dua (Agalev) (en néerlandais).—A quel moment avez-vous su que cela n'allait
pas réussir ?
M. Swinnen (en néerlandais).—Nous avons toujours continué de croire que cela allait
réussir. C'était un compromis, mais il n'y avait pas d'alternative. On pouvait continuer
d'espérer aussi longtemps qu'il y avait un dialogue. Petit à petit, on faisait des progrès
dans l'installation des institutions de transition. Le-6 avril, M. Habyarimana a déclaré
à Dar-es-Salam que les institutions seraient créées avant la fin de la semaine. Nous
pouvions donc croire à la dynamique, mais nous étions conscients de la radicalisation
qui nous préoccupait beaucoup.
C'est pourquoi nous avons continué avec conviction d'encourager les modérés. La
Communauté internationale et le corps diplomatique ont tout mis en œuvre afin de
garder Arusha sur les rails et de stimuler le dialogue.
M. Verhofstadt (VLD) (en néerlandais).—J'ai énormément de respect pour votre
patience et votre ténacité, mais vous parlez de progrès dans la réalisation des
institutions de transition, alors que j'ai l'impression du contraire. Il y eut six ou sept
tentatives de créer des institutions et le nombre d'obstacles ne faisaient qu'augmenter.
Ainsi, il y avait le problème du blocage de la majorité, le code de bonne conduite, qui
ne faisait pas partie des accords d'Arusha, ainsi que les problèmes avec la justice. Au
vu de tout cela, n'avez-vous pas fait preuve de quelque naïveté ?
M. Swinnen (en néerlandais).—Nous avons effectivement eu beaucoup de patience et
cela vaut également pour les Nations Unies.
Il y a cependant eu une réaction, car le 5 avril, le Conseil de sécurité a décidé de ne
prolonger le mandat que de quatre mois. Après six semaines, il fallait également faire
une évaluation qui pouvait déboucher sur une réduction des effectifs de la MINUAR
ou le retrait de celle-ci.
En ce qui concerne le code de bonne conduite, des mandataires du MRND se sont
adressé à moi personnellement ainsi qu'à d'autres diplomates afin de demander
d'inclure ce code dans les accords. Ce code prévoyait une amnistie et prescrivait que
certaines décisions du Conseil des ministres ne pouvaient être prises que par
consensus. Nous avons refusé, étant donné qu'il ne faisait pas partie des accords
d'Arusha et que, si nous l'avions accepté, tout aurait été remis en question. Dès lors, le
MRD n'a pas voulu l'imposer.
M. Verhofstadt (VLD) (en néerlandais).—Vous étiez quand même présent lorsque M.
Martens a défendu ce code auprès de M. Kagamé ?
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M. Swinnen (en néerlandais).—Nous en avons discuté, mais nous ne l'avons pas
défendu.
M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais).—M. Swinnen a relativisé le climat
anti-Belge. Ne peut-on cependant affirmer que le principe de la participation belge à la
MINUAR faisait à tout le moins l'objet d'une controverse au sein des milieux
politiques rwandais et même parmi les modérés qui discutaient de l'ampleur de la
participation belge, et cela même avant le 19 novembre ?
M. Swinnen (en néerlandais).—Je n'avais pas l'impression que la participation belge
était un sujet controversé au sein du monde politique rwandais. Tous les partis
gouvernementaux, y compris le MRND, plaidaient en sa faveur.
M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais).—Vous avez vous-même rappelé qu'un
certain parti exploitait l'envoi d'un bataillon belge pour des manœuvres politiques
Le problème de l'ampleur de la participation belge constituait quand même un point de
discussion entre les partis politiques rwandais. Ce débat ne fut pas mené au sujet
d'autres contingents.
M. Swinnen (en néerlandais).—Je n'ai jamais dit qu'il n'y avait pas de débat.
M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais).—11 y avait un débat sur le rôle dominant
des Belges. Pourquoi
M. Swinnen (en néerlandais).—Lorsque finalement plus de 400 Belges sont arrivés, il
n'y a pas eu de protestations, même pas du MRND.
M. Mahoux (PS).—Je vous trouve bien modeste dans votre exposé. Vous nous dites
que la situation n'était pas préoccupante au Rwanda, ce qui est en contradiction avec
la trentaine de télex que vous aviez adressés, en moins de cinq mois, à Bruxelles et où
vous faisiez précisément état d'une situation préoccupante.
A l'époque, vous perceviez manifestement très bien le sentiment anti-Belge nourri par
les autorités rwandaises. Dans votre télex du 12 novembre, vous relatez les paroles
rassurantes du président tout en indiquant que le ministre Gasana vous avait
clairement dit qu'Habyarimana était opposé à la MINUAR. La contradiction entre le
discours officiel et d'autres sources d'information ne vous échappait donc pas.
M. Swinnen.—Le sentiment anti-Belge et l'opposition à la MINUAR ne se sont pas
manifestés aussi clairement que vous le pensez. Ainsi, lors de la manifestation du 5
novembre, les organisateurs m'ont contacté pour m'assurer qu'il n'y avait pas de
sentiment anti-Belge.
Nous étions, certes, très inquiets à propos de certains groupes extrémistes mais le
sentiment général restait favorable aux Belges. C'est pourquoi, tout en étant conscient
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des risques d'une déstabilisation du Rwanda, il nous fallait surtout soutenir les
modérés, notamment pour assurer leur représentation dans le futur gouvernement.
A l'époque, notre espoir d'aboutir était réel. Il est plus facile de se rendre compte, a
posteriori, de ce qui se tramait vraiment.
M. Jonckheer (Ecolo).—Le président Habyarimana a été contraint de signer les
accords d'Arusha, notamment à cause de l'état de guerre régnant au nord de son pays
et de sa situation financière préoccupante. Ne pensez-vous pas que ces accords
étaient déséquilibrés parce qu'ils déforçaient le pouvoir du président ?
La Belgique a-t-elle recouru à la pression financière pour contraindre Habyarimana à
signer les accords ?
La position des Etats-Unis et de la France était-elle la même que la nôtre ?
Avez-vous fait un rapport de synthèse analysant la situation suite à la conclusion des
accords d'Arusha ?
M. Swinnen.—Je n'avais aucune fonction de négociateur ou de conciliateur dans la
négociation. C'est le gouvernement tanzanien qui était le Facilitateur. Je n'avais pas de
rapport à faire sur les accords. A la négociation proprement dite, je n'étais présent
qu'une dizaine de jours en fin 1992 et ensuite quelques jours lors de la signature ratée
de juin 93 et enfin lors de la signature d'août 1993. Mais j'ai beaucoup travaillé à Kigali
pour soutenir tous ceux qui voulaient l'aboutissement des accords d'Arusha. J'ai effectivement évalué ces accords mais du point de vue rwandais.
L'attitude et le travail du corps diplomatique sont des facteurs importants. La
Belgique a été le moteur par excellence du processus, elle s'est avancée plus clairement
que ses partenaires, mais toujours en concertation avec les Américains, les Français et
les Allemands. Les trois ambassadeurs résidant à Kigali, le Belge, le Français et
l’allemand ainsi que le délégué de la Commission européenne, avec l'ambassadeur des
Etats-Unis et les représentants de la Suisse et du Canada, ont joué un rôle
extrêmement important. Le doyen du corps diplomatique, le nonce apostolique a eu
une action courageuse pour soutenir le processus.
La concertation au sein de l'Union européenne et avec les USA n'a pas eu lieu qu'à
Kigali mais aussi à Bruxelles et aux Nations unies à New York. A Bruxelles, le chef de
cabinet et le directeur "Afrique" du ministère des affaires étrangères ont maintenu des
contacts permanents avec l'ambassade du Rwanda et d'autres acteurs. La concertation
a eu lieu aussi avec les pays africains voisins du Rwanda qui jouaient un rôle
d'observateurs à Arusha car il fallait que ces pays et l'OUA contribuent à faire
progresser le processus de paix. Les contacts ont été plus intenses avec la Tanzanie
qui s'est beaucoup investie dans ce dossier.
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M. Jonckheer (Ecolo).—Lors de vos réunions avec les ambassadeurs français et
allemand, avez-vous réalisé une évaluation commune des risques ? Vos vues
étaient-elles partagées par les deux autres ambassadeurs ?
M. Swinnen.—La concertation, soit avec les autres ambassadeurs de la Communauté
européenne, soit au sein du groupe des quatre qui comprenait les mêmes et
l'ambassadeur américain et auquel s'adjoignait parfois la Tanzanie, a été plus poussée
de manière à réaliser des évaluations et à partager le maximum d'information.
Mme Dua Agalev) (en néerlandais).—L'attitude était quand même différente au sujet
de la participation de notre pays à la MINUAR. Quelle était l'attitude vis-à-vis d'une
participation française ?
M. Swinnen (en néerlandais).—Le RPR s'opposait à la participation française.
M. Caluwé (CVP) (en néerlandais).—Vous disiez que la France n'était pas considérée
comme un partenaire crédible. Toutefois je me rappelle que premier le ministre
rwandais demandait un autre partenaire crédible à côté de la Belgique. J'entends par
cela un pays capable de fourr ir immédiatement des troupes opérationnelles. Vous
dites à présent que l'on voulait plutôt des forces << impartiales >~.
M. Swinnen (en néerlandais).—C'est ainsi que j'ai compris les déclarations du premier
ministre. Il voulait un partenaire qui était crédible sur le plan politique et sur le plan
diplomatique. L'efficacité militaire de ce partenaire était autre chose.
Mme Dua (Agalev) (en néerlandais). — Vous avez quand même plaidé en faveur d'une
participation française.
M. Swinnen (en néerlandais).—C'était le point de vue du gouvernement belge.
M. Verhofstadt (VLD) (en néerlandais).—Apparemment ce n'était pas très adroit.
J'ai moi-même été appelé en consultation suite à la parution d'un rapport sur le
non-respect des droits de l'homme par le Rwanda. La pression de la Communauté
internationale lors des négociations lui a été reprochée. Le gouvernement rwandais
avait, en effet, besoin de l'aide internationale car le pays se trouvait dans une période
difficile. Il ne fallait pas couper tous les ponts. C'est d'ailleurs pour cela que nous
avons toujours tenu à ce que l'aide soit apportée directement à la population.
M. Mahoux (PS).—On ne peut tout de même pas mettre sur le même pied les
conditions mises par le FMI et celles liées au processus de démocratisation et au
respect des droits de l'homme.
M. Swinnen.—Dans nos relations bilatérales, nous avons constamment rappelé ces
valeurs. Nous avons été les premiers à visiter les prisons. Nous voulions trouver
l'équilibre entre l'encouragement et la critique.
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M. Destexhe (PRL-FDF).—Entre 1990 et 1994, il y a eu une augmentation constante
des violations des droits de l'homme. Or, la Belgique s'est contentée de menaces
verbales, à la différence du Canada qui a suspendu une partie de son aide.
M. Swinnen.—Nous plaidions pour le respect des droits de l'homme avec d'autant
plus de poids que nous étions présents.
M. Destexhe (PRL-FDF). — Les menaces verbales n'étant pas concrétisées, certains
Rwandais ont pensé qu'elles ne le seraient jamais.
M. Swinnen (en néerlandais).—La participation belge était fort appréciée parce que
les deux parties étaient d'accord. Si une des parties s'était opposée à la participation
de la France, cela aurait constitué pour nous un obstacle insurmontable.
En 1993, j'ai été le seul ambassadeur a être rappelé en consultation. cela a eu un effet
indéniable
Par la suite,les Etats-Unis et la France ont eu les mêmes exigences afin que le
président et le gouvernement [texte incomplet, note des éditeurs].
M. Jonckheer (EcoIo).—Je voulais savoir quelles ont été les pressions financières
pendant le processus de négociation.
M. Swinnen.—Elles ont été une constante dans l'attitude de la Communauté
internationale. Celle-ci veut que les négociations progressent rapidement afin de
justifier ses efforts présents et futurs. Les pressions émanent du FMI et des bailleurs
de fonds bilatéraux. président et le premier ministre s'entendent pour définir une ligne
politique. Bien sûr, la paix n'était pas définitive et il y avait d'autres violations et
d'autres massacres. Mais nos pressions avaient des effets. Par exemple, les 8000
personnes emprisonnées en octobre 1990 ont été libérées en mars 1991 grâce aux
menaces de la Communauté internationale.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais).—M. Swinnen a qualifié la politique belge pendant
la période 1990-1994 d'impartiale, équilibrée, harmonieuse, positive, etc. La décision
prise par la Belgique en octobre 1990 s'inscrit-elle également dans cette définition ?
Bruxelles invite les ambassades belges de transmettre chaque année un rapport sur le
respect des droits-de l'homme. L'ambassadeur a-t-il rédigé ce rapport pour 1994 ?
Les ambassades belges n'ont-elles jamais enregistré sur cassette les émissions de
RTLM ?
La neutralité de l'ambassadeur ne fut-elle pas compromise par le rôle qu'il a joué dans
l'élaboration des accords d'Arusha ?
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M. Swinnen (en néerlandais).—En tant qu'observateur aux négociations sur les
accords d'Arusha, on a de nombreux contacts, ce qui permet de jouer un rôle. Ma
participation aux négociations fut très minime. Je n'ai été à Arusha qu'à trois reprises,
chaque fois pour de courtes périodes. Il est évident qu'à l'instar de mes collègues à
Kigali, j'ai joué un rôle complémentaire à l'égard des autorités rwandaises à Kigali. Lors
de la phase initiale des négociations sur les accords d'Arusha, Bruxelles a envoyé
quelqu'un.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais).—Votre neutralité ne fut-elle pas compromise par
votre participation ?
M. Swinnen (en néerlandais).—Non. La question du sénateur Anciaux m'étonne
quelque peu. Notre participation comme observateur au même titre que des pays
voisins, des pays occidentaux et l'ONU n'a nullement entamé notre crédibilité.
Nous avons aussi clairement expliqué à nos interlocuteurs qu'il ne fallait pas nous
considérer comme un instrument visant à imposer les accords d'Arusha. Nous n'avons
fait que stimuler le processus. Il était dans l'intérêt du Rwanda d'aboutir le plus
rapidement possible à la paix.
L'ambassade ne disposait pas du personnel nécessaire pour écouter ou traduire toutes
les émissions de RTLM. Au départ, cette radio n'émettait qu'une à deux heures par
jour en français. A un moment donné, j'ai donné l'ordre d'écouter plus souvent les
émissions. Bon nombre d'entre elles ont été enregistrées et j'ai toujours amplement
informé Bruxelles de leur contenu.
J'ai rédigé des rapports ponctuels au sujet du respect des droits de l'homme. En
mars/avril, notre rapport n'était pas encore prêt.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais).—Un rapport était-il toujours rédigé en mars ?
M. Swinnen (en néerlandais).—Ce fut le cas pour la première fois en 1994.
Auparavant, il n'y avait que des rapports ponctuels. Quoi qu'il en soit, il n'y eut pas
de rapport global en mars.
En ce qui concerne les événements d'octobre 1990, il ne m'appartient pas de justifier
ici les décisions du gouvernement. J'ai constaté le retrait des paras belges au moment
où les Rwandais et l'armée célébraient la victoire sur les Inkotanyi. C'était le 26
octobre. Les paras étaient alors investis d'une simple mission humanitaire de
protection des Belges au Rwanda.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais).—Vous estimez que la politique d'octobre 1990
s'inscrit dans la ligne de la politique belge de neutralité ?
M. Swinnen (en néerlandais).—Effectivement.
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M. Hostekint (SP) (en néerlandais). — Selon M. Swinnen, la Belgique avait un rôle
actif dans la conclusion et l'application des accords d'Arusha. Elle a également joué un
rôle important lors des négociations sur l'installation du gouvernement de transition.
L'ambassadeur a-t-il reçu des instructions des affaires étrangères à cet égard ?
Je relève en outre une contradiction entre le rapport du groupe ad hoc et les propos de
M. Swinnen sur le climat anti-Belge avant le 19 novembre. Je renvoi aux télex 1057,
1087 et 1098. Il n'y aurait pas eu de climat anti-Belge général, mais bien un
mouvement d'opposition au processus de paix et aux accords d'Arusha. Toutefois, le
télégramme du ministre des affaires étrangères du 19 novembre précisait que les
Casques bleus belges étaient en danger. Le ministre demandait à ` l'ambassadeur
d'insister pour qu'on fasse cesser les déclarations antiBelges
Enfin, je souhaiterais demander à quelles autorités belges, à l'exception des affaires
étrangères, les télex de M. Swinnen ont été transmis.
M. Swinnen (en néerlandais).—Mon interlocuteur était les affaires étrangères.
Toutefois, dans la plupart de mes télex, je proposais qu'ils soient transmis à certains
autres départements ou services, ainsi qu'à d'autres ambassades, telles celles de
Nairobi, Dar-Es-Salaam, à l'OUA, aux Nations Unies, à Paris, à Bonn etc. Je partais
également du principe que les affaires étrangères étaient le mieux à même de décider de
l'opportunité de transmettre certains télex ou extraits à d'autres services.
Le groupe ad hoc cite une instruction du 19 novembre 1993 faisant état d'un climat
anti-Belge. La formulation est plutôt trompeuse parce qu'elle nous porte à croire qu'un
climat anti-Belge généralisé régnait au Rwanda.
M. Verhofstadt (VLD) (en néerlandais). — Le télégramme du 19 novembre n'est pas
repris intégralement dans le rapport du groupe de travail ad hoc. Le télégramme fait
également référence au problème de la RTLM. Le jour précédent, le 18 novembre,
l'ambassadeur Swinnen avait signalé dans le télex 1150 que le général Dallaire avait,
dans une allocution, mis les choses au point en ce qui concerne les critiques formulées
à l'égard des Casques bleus belges. Comment l'ambassadeur peut-il alors déclarer
aujourd'hui que la participation belge ne posait aucun problème ?
M. Swinnen (en néerlandais).—C'est une question de gradation. A ce moment-là, nous
ne pouvions pas parler d'un climat anti-Belge généralisé. Le général Dallaire a dit
clairement que toutes les composantes de la MINUAR devaient être considérées
comme des éléments de l'ONU.
M. Verhofstadt (VLD) (en néerlandais).—Le télex 1128 fait état d'un climat anti-Belge
encore limité au sein du MRND. Selon les télex 1087 et 1098, les Belges étaient
soupçonnés d'avoir transporté des putschistes burundais dans un avion belge.
L'ambassadeur n'a même pas été averti de cet incident.
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M. le Président.—Je propose de communiquer le texte intégral des télégrammes
controversés aux membres de la commission.
M. Verhofstadt (VLD) (en néerlandais).—Nous devons pouvoir consulter tous les
télex des Affaires étrangères afin de voir quelle a été leur réaction.
Mme Dua (Agalev) (en néerlandais). —J'appuie la demande de M. Verhofstadt.
M. Caluwé (CVP) (en néerlandais).—Je demande pouvoir consulter tous les télex.
M. Hostekint (SP) (en néerlandais).—Je réitère ma question: les Affaires étrangères
ont-elles envoyé des instructions concernant le gouvernement de transition ?
M. Swinnen (en néerlandais eu des longues conversations à ce sujet avec M. Willems,
le chef de cabinet du ministre des Affaires étrangères. Peut-être y a-t-il eu également
des instructions écrites, mais je dois vérifier ce point. Nous étions en tout cas
soutenus tous ceux qui souhaitaient l'application des accords d'Arusha. Nous ne nous
sommes cependant pas immiscés dans la problématique proprement dite.
M. le Président.—Je propose de lever la séance. Nous reverrons d'ailleurs M.
l'ambassadeur Swinnen la semaine prochaine pour les thèmes 2 et 3. Assentiment
La réunion est close à 13 h 30 m
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