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COMMANDEMENT DES GOMA le, 27/07/1994
OPERATIONS SPECIALES
OPERATION TURQUOISE
NMR 001/TURQUOISE/DET COS du 27/07/1994,.
RAPPORT
du Colonel ROSIER Jacques
chef du détachement du commandement des opérations spéciales (COS)
au terme de son engagement dans l'opération TURQUOISE.
1. D'un effectif initial de 222 hommes, le détachement spécialisé engagé dans
l'opération TURQUOISE était essentiellement inter-armées. ll comportait:
10 hommes (5/2/3) de l'EM du COS constituant l'ossature du détachement de
liaison et de mise en oeuvre (DLMO).
78 hommes du ier RPIMa (11/23/44) dont 20 renforçaient le DLMO.
(Transmetteurs et gardes du corps).
44 hommes (4/22/18) des commandos marine dont un détaché au B2 du PCIAT.
43 hommes (3/13/27) des commandos parachutistes de l'air.
Un C 160 et son équipage spécialisé (3/2/0).
Un détachement de 5 HM avec 6 équipages spécialisés. (4/25/5).
8 gendarmes du GSIGN (0/8/0).
Ultérieurement le détachement était renforcé d'un groupement CRAP à 3 équipes
(total 38), d'une demi-SML et temporairement de 2 pelotons AML.
Equipé de 38 P4 et de 20 VLRA (soit organiques, soit perçus à MIRAMAS), il
bénéficiait d'une mobilité tactique satisfaisante eu égard à la mission et d'une puissance
de feu particulière en raison de son armement et de son optronique spécifiques.
Concernant les transmissions, chaque élément disposait de BLU et d'INMARSAT avec
chiffre pour des laisons vers le haut ou latérales, en plus des moyens MF classiques
réservés aux liaisons internes.
Ainsi constitué et équipé, ce détachement spécialisé offrait donc, à défaut d'effectifs
importants, une souplesse d'emploi caractéristique.
2. Le détachement spécialisé a été engagé en tête de la force TURQUOISE dès Le 23
juin, son retrait du RWANDA prenait effet le 26 juillet avant les autres unités pour un
rembarquement échelonné du 28 au 31 juillet.
Le 20 juin une équipe de reconnaissance à bord du C160 du COS se posait à
GOMA pour prendre contact avec les FAZ, vérifier l'état de la piste et se rendre compte
des implications de la situation militaire au RWANDA sur la sécurité des vols. Au cours
de la même mission et avant le poser sur GOMA, une reconnaissance à vue de la plate
-forme de BUKAVU était effectuée.
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Faute d'un choix possible mais non sans hésitations, la décision de prendre GOMA
comme base opérationnelle avancée était proposée au COIA.
Le gros du détachement spécialisé est arrivé à GOMA le 22 juin matin avec
quelques véhicules.
Dés le 22 juin après-midi un élément était aérotransporté sur la plate-forme de
BUKAVU. Le même élément légèrement motorisé pénétrait le 23 juin après-midi à
CYANGUGU et rejoignait le camp TUTSI de NYARUSHISHI vers 17 heures. Le 23
juin au soir le détachement d'hélicoptères arrivait sur BUKAVU tandis que les véhicules,
transitant par BANGUI, étaient brouettés plus lentement, avec l'appoint précieux du
C160 COS qui permettait d'acheminer en priorité les P4 transmissions.
Dès le 24 juin deux éléments étendaient la zone contrôlée à KIRAMBO (motorisé)
et à KIBUYE (héliporté), localités à partir desquelles ils rayonnaient vers l'intérieur en
direction de BWAKIRA, de GISHYITA, de GISOVU et, partant de CYANGUGU, vers
BUKARAMA (frontière du BURUNDI) pour d'emblée secourir les groupes menacés.
Etant encore seul sur zone, le détachement effectuait également quelques missions
d'extraction dans la région de GISENYI.
À partir du 30 juin, alors que le reliquat des véhicules était récupéré et que Les
relèves étaient amorcées sur les points tenus, un premier élément était dirigé sur
GIKONGORO où, d'après les renseignements obtenus, sévissait déjà une situation
humanitaire préoccupante.
L'implantation de l'EMMIR ne convenant pas à cet endroit, une reconnaissance
vers BUTARE était décidée pour le premier juillet. Précédé par un élément motorisé qui
était chargé de faire le bilan des personnes à évacuer, le C160 COS atterrissait en fin
d'après-midi sur cette petite plate-forme avec quelques médecins de l'EMMIR. Le
dispositif était ultérieurement renforcé d'un élément héliporté, l'ensemble de l'opération
ayant été déclenchée aprés une reconnaissance à vue par HM. Le contact rapidement pris
avec le FPR empêchait d'extraire des religieux retenus à SAVE. Des religieuses de
BUTARE étaient évacuées le soir même par C160 alors que le reste du dispositif
décrochait dans Îa nuit.
Le 3 juillet les demandes d'évacuation de BUTARE se faisant nombreuses et
pressantes alors que la chute de la ville était imminente, était déclenchée une opération de
va et vient destinée à extraire le maximun de monde. Des cars et des camions ayant été
récupérés auprès des autorités de GIKONGORO, une colonne motorisée constituée de
deux éléments abordait BUTARE à 12 heures .
Plus de mille personnes, dont 700 orphelins: étaient récupérées au contact du FPR
qui investissait le nord de la ville. A 13h20 les deux colonnes décrochaient l'une vers le
BURUNDI (orphelins) l'autre vers GIKONGORO (majorité de religieux). Cette dernière
était à nouveau confrontée à un incident armé avec une unité du FPR à la sortie nord-
ouest de BUTARE.
À partie du 4 juillet, le détachement s'installait dans les limites de la préfecture de
GIKONGORO alors que prenait corps le concept de zone humanitaire.
Dés lors l'objectif consistait à stabiliser une population tendant à fuir en vue de
faciliter l'aide humanitaire. Cela nécessitait de lutter contre les deux facteurs de fuite: les
pillards de toutes sortes à l'intérieur, les infiltrations FPR à la périphérie. Plusieurs
accrochages avaient alors lieu à KAMWERU (15 juillet) à GITWA (20 juillet) contre le
FPR alors que dans toutes les communes de la Zone impartie s'effectuaient journellement
des arrestations (parfois violentes) et des récupérations d'armes sur les malfrats
terrorisant la population.
Au moment de la relève de GIKONGORO, on pouvait estimer à 6000 le nombre de
personnes sauvées des massacres et mises sous protection ou évacuées. Pendant ce laps
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de temps le nombre de réfugiés était passé de 300 000 à plus d'un million, alors qu'une
centaine d'armes étaient confisquées, et qu'une vingtaine de bandits notoires étaient
neutralisés, dont deux tués et un blessé.
L'activité incessante du détachement spécialisé dans la zone d'action a permis
d'enrayer l'exode mais ce répit sera éphémère si l'aide humanitaire ne vient pas
rapidement compléter cette action. aux plans alimentaire et sanitaire.
3 Cet engagement durant plus d'un mois intensément vécu fut riche d'enseignements.
C'était la première fois que le COS alignait toutes ses composantes au sein d'un même
détachement. Outre l'impact indéniable sur la cohésion, cette décision a surtout offert
l'intérêt de disposer d'un tout cohérent apte aux changements de posture rapides, grâce
essentiellement aux vecteurs aériens. La complémentarité HM - C 160, tant aux points de
vue tactique que logistique, a procuré au détachement une autonomie opérationnelle et une
capacité de bascule particulièrement précieuses dans la première phase de l'opération,
alors que le gros de la force n'était pas encore acheminé.
Ainsi durant la première phase, plusieurs objectifs purent être traités simultanément
avec des effectifs souvent dérisoires, ce qui a pu donner l'illusion du volume par la
multiplication des mouvements.
Par ailleurs, lors des incidents armés, ces mêmes vecteurs ont permis des
renforcements rapides du dispositif, améliorant ainsi singulièrement la sécurité des
éléments engagés.
La richesse de l'encadrement et 1a dotation en équipements spécifiques ont été
l'occasion, une fois de plus, de constater que dans des missions de ce type les unités
spéciales offraient une souplesse d'emploi peu commune.
Le DLMO fortement structuré et très bien pourvu en moyens transmissions a
constitué l'une des clés de cette souplesse. Durant {a phase initiale, par exemple, alors
que les premières actions débutaient au RWANDA mais que le fret lourd transitait à
BANGUI, le DLMO a été capable de saupoudrer ses moyens entre BANGUI, GOMA, et
BUKAVU tout en opérant à CYANGUGU.
De même ultérieurement, il maintenait une liaison permanente avec le
commandement de la force à GOMA tout en disposant d'un PC tactique à BUKAVU en
mesure d'actionner les détachements et de les soutenir dans des délais très brefs.
C'est ainsi qu'ont pu être conciliées avec bonheur la cohérence de la manoeuvre et
l'autonomie d'exécution que seuls les moyens dont disposait le COS pouvaient autoriser.
Ceci s'est traduit tout au long de l'engagement par un gain de temps avantageux et une
activité intense, En effet 60 000 KM ont été parcourus, les HM ont utilisé 400 heures de
potentiel, le C 160 100 heures.
De telles capacités justifient pleinement l'emploi du COS dans des opérations
lointaines de ce type car elles permettent de pallier certaines pesanteurs logistiques
incontournables tout en faisant bonne figure, notamment aux yeux de la presse.
En revanche, la pression souvent négative de cette même presse milite pour un
retrait assez précoce des unités spéciales qui effectivement, dans un contexte purement
humanitaire, ne peuvent longtemps se maintenir sans risquer de ternir les intentions
officiellement déclarées.
De sorte que, à l'instar de l'opération "ORYX" en SOMALIE, le COS a servi à
“ouvrir la porte" de TURQUOISE et ce de façon encore plus nette en raison des moyens
engagés. On peut imaginer, en cas de difficultés, qu'il serve aussi à la "fermer" comme ce
fut le cas pour l'opération "AMARYLLIS".
En définitive, l'outil COS, tel qu'il a été constitué, a permis de pouvoir lancer
l'opération dans des délais compatibles avec l'urgence de ja situation, puis de
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l'accompagner, voire de la soutenir, de façon toute particulière en réalisant par exemple
plus de 300 EVASAN primaires et en larguant 14 tonnes de vivres sur des populations
en détresse.
Sans s'arrêter sur le problème de fond du RWANDA, qui est une question de
perspective historique et de conscience humaine, le détachement spécialisé s'apprête à
quitter le théâtre avec le sentiment du devoir accompli dans les strictes limites imposées
par la mission. Plus d'un million de réfugiés ont été fixés dans le secteur de
GIKONGORO parce qu'ils ont été sécurisés et secourus. Certes ce bilan est très précaire,
mais il correspond à l'effet militaire recherché. Le relais désormais est d'ordre purement
humanitaire, 1l dépasse donc nos compétences.
Ce résultat a été acquis au prix d'une fatigue incontestable du personnel. Un
maintien sur Zone nécessiterait une baisse du régime d'activité pour pouvoir durer.