Fiche du document numéro 4367

Num
4367
Date
Samedi 21 janvier 2006
Amj
Taille
84514
Titre
Des témoignages accablants pour l’armée française lors de l’Opération Turquoise, en 1994 qui déclenchent une offensive médiatique
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Kigali, envoyée spéciale

Pierre Péan n’était pas un tireur isolé. Son pamphlet (1) faisait partie d’une offensive médiatique généralisée, prenant pour cible le régime de Kigali et son président, Paul Kagame. En effet, une demi douzaine de livres ont été publiés quasi simultanément, (2) reprenant tous les mêmes thèmes, la responsabilité du FPR dans l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, présenté comme l’élément déclencheur du génocide, les massacres commis par le FPR à l’encontre des Hutus, ce qui mène à la thèse du double génocide. Tous ces auteurs, qui visiblement se connaissent, s’épaulent et s’inspirent, puisent aux mêmes sources, l’enquête du juge anti-terroriste Bruguière, présentée comme achevée depuis deux ans et qui n’est connue que par des « fuites » privilégiées et le témoignage d’un transfuge du FPR, Abdul Ruzibiza, qui se définit comme un membre du « network », le commando tutsi qui aurait abattu l’appareil présidentiel et qui a été amené de Kampala à Paris par les services français qui l’avaient rencontré lors de l’Opération Artemis en Ituri en 2003. A Kigali on se demande quelle est la raison de ce tir groupé, onze ans après la fin de la guerre. Une tentative de déstabilisation serait-elle en préparation, précédée par un lynchage médiatique en bonne et due forme ? Essaierait-on de miner la légitimité du régime en assurant que, désireux de conquérir tout le pouvoir, Kagame et les siens auraient délibérément sacrifié les Tutsis dits de l’intérieur ?

La raison de ce déchaînement révisionniste est peut-être plus simple, et plus embarrassante pour une armée française désormais sur la défensive. En effet, le procureur du Tribunal aux armées de Paris, seule instance habilitée à juger les militaires en mission à l’étranger, a ouvert une information judiciaire pour « complicité de génocide ». C’est l’aboutissement d’une plainte déposée en février dernier par six Rwandais victimes du génocide, qui ont mis en cause le comportement de l’armée française entre juin et août 1994. A ce moment, l’Opération Turquoise, autorisée par les Nations Unies, avait permis aux Français de créer une « zone humanitaire sûre » (ZHS) dans le sud-ouest du pays. L’objectif officiel était de protéger les Tutsis victimes du génocide. En réalité, cette opération fut contestée dès le départ, le FPR la considérant comme un ultime soutien aux forces gouvernementales en déroute, qui se rassemblèrent d’ailleurs dans la ZHS avant de traverser la frontière en direction des camps du Kivu.

Aujourd’hui les langues se délient au Rwanda et les témoignages se multiplient, décrivant les ambiguïtés de l’attitude des militaires français. La juge d’instruction du Tribunal aux armées de Paris, Brigitte Raynaud, s’est rendue au Rwanda en décembre dernier pour y auditionner des plaignants. Les témoignages portent plus particulièrement sur la tragédie qui s’est déroulée sur les collines de Bisesero, où les militaires français auraient attendu trois jours avant de venir secourir des Tutsis survivants et à Murambi, où l’une des plaignantes, Auréa Mukakalisa a assuré à la juge que « des miliciens hutus entraient dans le camp et désignaient des Tutsis que les militaires français aidaient à sortir du camp ».

L’information judiciaire ouverte en France ne concerne que deux des six plaintes déposées, les autres n’ayant pas été jugées recevables par le procureur. Ce premier pas a déjà suscité de vives réactions en France : la Ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, a jugé « inadmissibles » les dénonciations du comportement des militaires français, l’un des responsables de Turquoise, le colonel Hogard a publié un ouvrage défendant l’action de ses hommes (3) et le général Lafourcade, qui dirigeait l’Opération Turquoise, s’est également justifié dans la presse. La juge Raynaud, bien que démissionnaire, poursuivra cependant ses investigations, même si, avant de se rendre au Rwanda le Ministère de la Défense lui avait fait savoir qu’il jugeait ce déplacement inopportun pour des raisons de sécurité, invoquant la publication imminente de deux ouvrages qui allaient remettre le Rwanda sous les feux de l’actualité (ce qui démontre d’ailleurs que la publication de ces livres n’était pas fortuite).

Au Rwanda, des rescapés se pressent désormais devant le bureau du Procureur, désireux de faire entendre leur version de l’histoire. Nous livrons ici quelques uns de ces témoignages, dont certains ont été communiqués à la juge française lors de son séjour à Kigali et dont d’autres sont inédits.

Colette Braeckman

(1) Pierre Péan, Noires fureurs, blancs menteurs, édition Mille et une nuits

(2) Lieutenant Abdul Joshua Ruzibiza, Rwanda, l’histoire secrète, éditions du Panama,

(3) Charles Onana, avec préface de Pierre Péan, Les secrets de la justice internationale, enquêtes truquées sur le génocide rwandais, éditions Duboiris, Sous la direction du même auteur : Silence sur un attentat, le scandale du génocide rwandais, éditions Duboiris, Jacques Hogard, Les larmes de l’honneur, 60 jours dans la tourmente du Rwanda, éditions Hugo.doc

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