Fiche du document numéro 35657

Num
35657
Date
Mercredi 15 octobre 2025
Amj
Auteur
Taille
315168
Titre
Procès en appel de Sosthène Munyemana à la Cour d’Assises de Paris - Jour 20 [Matin]
Sous titre
Compte rendu de l’audience du 14 octobre 2025 (matin)
Mot-clé
Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Début de l’audience : 9h15

Monsieur le président explique qu’il y a eu un arrivage nocturne : la défense a fait une demande de versement au débat de pièces. L’avocat de lé défense explique que c’est un rapport d’Amnesty sur la législation actuelle au Rwanda contre le sectarisme qui a une incidence sur la liberté de parole des personnes au Rwanda, et qui rend ainsi difficile de faire venir des témoins. Il n’y a eu aucune objection à cela. Monsieur le président a distribué une version papier du plan d’interrogatoire aux avocats, et demande s’il peut également le donner aux jurés : aucune objection. Il demande également de le distribuer à l’accusé : aucune objection.

Concernant l’interrogatoire, il propose 2 possibilités, soit un interrogatoire intégral des juges puis à la fin les avocats et le procureur peuvent prendre la parole, soit un interrogatoire séquencé avec prise de parle de chacun à chaque partie. Il demande donc l’avis de tout le monde. Seule la partie civile préfère l’interrogatoire séquencé, et Monsieur le président décide donc que ce sera un interrogatoire intégral, notamment car c’est ce que préfère l’accusé.

Retour sur les rapports psychologiques et psychiatriques (avant l’interrogatoire):

Monsieur le président donne un temps de parole libre à Munyemana pour s’exprimer sur ce sujet. Il explique qu’il est très choqué de la première expertise parce qu’elle le présente comme pervers, versatile, ce qui ne correspond pas selon lui à sa personnalité. Il affirme que la faille de cette expertise est qu’elle est plus courte que la seconde, qu’elle a eu lieu juste après le décès de sa mère où il n’a d’ailleurs pas pu assister aux obsèques ce qui a créé chez lui une grande souffrance, et surtout en raison de la façon dont il a passé l’expertise. En effet, la méthode l’a choqué, elle le poussait toujours à en dire plus : selon lui il a subi un CAC (= clivage artificiellement créé). L’expertise serait donc faussée. De plus, elle aurait fait passer ses parents pour des monstres qui le maltraitait ce qui expliquerait sa personnalité à l’âge adulte, ce qui est faux. Sa mère ne lui faisait pas de bisous car c’est culturel, seules les grand-mères en faisaient, mais sa mère lui montrait son affection autrement : il n’avait donc pas de manque d’attention. Concernant la consommation massive d’alcool c’est également faux. Habituellement il ne buvait pas d’alcool quand il sortait avec ses amis, seulement des sodas, mais pendant le génocide ceux qui buvaient de la limonade, etc, étaient considérés comme des espions. C’était un signal, comme par exemple aussi avoir le crâne rasé : des personnes sont mortes juste à cause de ça. Il a donc bu quelques bières dans un lieu de rencontre sociale à côté de chez lui (le bar), entre voisins, et il veillait à ce que son verre reste plein, non pas parce qu’il faisait que boire mais pour qu’on ne le remplisse pas à nouveau.

Monsieur le président rappela qu’aucune anomalie mentale n’avait été constatée. Il demanda à Munyemana s’il buvait donc un petit peu pour ne pas passer pour un danger au regard des personnes qui étaient ivres. L’accusé rappela qu’effectivement si on ne buvait pas d’alcool on passait pour d’espions, et qu’il buvait donc préventivement pour qu’il n’y ait pas de rumeurs qui courent sur lui, qu’il ne soit pas suspect.

Monsieur le juge lui demanda de confirmer ou non s’il avait tenu ces propos : (…) mon père me fouettait avec une branche mais pas souvent (…) ma mère donnait des conseils et mon père s’occupait de la correction, (…) parfois mon frère me faisait la bastonnade. L’accusé répondit qu’il n’avait parlé de son frère qu’une seule fois pour expliquer que ce dernier lui avait appris à lire et écrire, donc que c’est faux pour l’intervention de son grand frère dans la correction. De plus, le terme bastonnade n’est pas son mot. Par contre, il conforme la répartition entre son père et sa mère. Monsieur le président lui demanda si son père l’a déjà fouetté, ce à quoi il répond que oui avec une branche d’eucalyptus, avec la partie fine. Il demande ensuite à Munyemana si son frère lui a déjà levé la main dessus, ce qu’il conteste.

Monsieur le président relève que l’accusé a parlé des violences par fouet de son père lors de la première expertise mais pas de la seconde où il a seulement affirmé que son père était présent avec une éducation stricte. Il lui demande alors s’il ne s’est pas adapté lors de la seconde en raison de la conclusion défavorable de la première. Munyemana répondit qu’il n’a pas utilisé le mot fessé mais que quand il parlait de père strict c’est que qu’il voulait dire, il n’a juste pas détaillé. Le juge lui redemanda si du coup il n’avait rien précisé lors de la seconde expertise pour éviter une conclusion défavorable. Il répondit que non pas du tout, c’est juste que la première posait des sous-questions qui n’apparaissait pas dans son compte rendu.

Monsieur le président rappelle que la première psychologue a évoqué un clivage avec deux personnalités : Munyemana qui a la capacité de se contrôler, et les périodes où tout remonte à la surface (rage, colère, vengeance, etc) et qu’alors il ne peut plus se contrôler, ce qui aurait été le cas pendant le génocide. Il lui demande donc ce qu’il en pense. L’accusé explique que ça le choque car cela ne correspond en rien à sa personnalité, et que même pendant le génocide personne a dit qu’il avait changé, même des victimes. Monsieur le président explique que Mme Vitry a évoqué une forte personnalité, une personne psychorigide, qui avait besoin d’exister, d’être acteur, et demande à l’accusé s’il est en accord avec cela. Munyemana répond que oui un peu plus. Il ajoute que quand il est convaincu de quelque chose il cherche à convaincre mais ne force pas, il n’abandonne juste pas tout de suite. Il ne se considère donc pas comme psychorigide, surtout que s’il y a des raisons de lâcher, alors il lâche, et il peut se tromper. Les juges assesseurs n’ont pas de questions.

Un avocat de la partie civile lui demande la manière dont il perçoit le travail de l’expert. En effet, l’objectif est d’obtenir un portrait de lui, pas fait pour lui, d’avoir un regard extérieur même s’il ne se reconnaît pas. Munyemana lui répond que non il n’est pas dans cet esprit-là, que même la deuxième est à un peu près d’accord avec lui (sauf psychorigide). Il critique encore les tests utilisés par la première car ils ne sont pas bons : s’ils seraient utilisés en Europe, 60% des européens seraient schizophrènes (il dit ça en tant que médecin). L’avocat lui demande s’il s’est renseigné sur les tests de la seconde expertise, ce à quoi il répond que non seulement sur les premiers car ils l’ont choqué.

Un autre avocat de la partie civile lui demande si dans le cadre de sa formation il a fait des études de psychologie et de psychiatrie. Munyemana répond qu’il a fait des études de psychiatrie, mais qu’en psychologie il a eu quelques cours mais pas approfondis.

L’avocat fit remarquer que pendant le génocide on pouvait être tué parce qu’on ne buvait pas, et lui demanda quelle relation avec la peur il avait à l’époque. Est-ce qu’il suivait souvent les autres, ou gardait-il plutôt son propre avis (psychorigide) ? L’accusé répondit qu’il avait peur comme beaucoup de gens, qu’il n’allait pas jusqu’à se transformer mais qu’il prenait des précautions pour ne pas être tué. L’avocat lui demanda ensuite si boire n’avait pas changé sa personnalité, et il répondit que non c’était juste pour l’interprétation des autres et éviter un risque, mais qu’il ne tombait pas dans l’excès de l’alcool. Un autre avocat lui demanda si lorsqu’il buvait, il lui arrivait de perdre le contrôle. Il répondit qu’il était avec des personnes pour une rencontre sociale et qu’une fois que son verre était rempli, il ne le buvait pas pour ne pas être servi et donc ne pas être bourré.

L’avocat général lui demanda à quelle date sa mère était décédée, et il lui répondit au mois d’octobre vers le 15. L’avocat général affirme qu’il avait lu novembre dans le dossier, ce à quoi Munyemana répond que c’est possible, qu’en tout cas c’était peu de temps après son anniversaire C’est un évènement important pourtant, dit l’avocat général. Ce à quoi l’accusé répondit qu’il y a eu beaucoup d’évènements importants et qu’il se perd donc sur les dates précises. L’avocat général lui demanda ensuite la date de sa première expertise. Munyemana répondit que celle-ci a eu lieu un mois après, en décembre ou en janvier. L’avocat général précisé que c’était le 19 janvier. Ce dernier lui demanda si c’est donc le fait qu’il était perturbé qui explique les éléments de personnalité. L’accusé répond que non c’est la façon de faire le test, et que l’expert n’a pas exprimer d’empathie envers lui pour le décès de sa mère donc le premier contact était compliqué. Il rajoute qu’il a accepté la mort de sa mère car elle avait 95 ans mais ce que sont les circonstances de celle-ci qui l’ont perturbé. L’avocat général lui demanda à nouveau si le décès de sa mère a eu un impact sur ses réponses données. Il lui demanda de répondre clairement car il était en train de se mélanger. Munyemana répondit que non, ce qui l’a influencé c’est la « façon d’appuyer sur le bouton et ça sort ». L’avocat général s’étonna que puisqu’il y avait un mauvais rapport, à la place de se taire ou de demander le rapport, l’accusé a, au final beaucoup parlé. Munyemana explique qu’il n’a pensé à faire autre chose, qu’il ne pensait pas qu’elle avait cette méthode. L’avocat général affirma que les choses qu’il a dites, il les a projetées de son intérieur profond. L’accusé affirma qu’elle le poussait, et qu’en tant que médecin il était habitué à un autre mode d’examen. L’avocat général lui demanda si ses propos étaient spontanés, ce à quoi il répondit oui.

Ensuite, le procureur lui demanda la date d’examen psychiatrique. Il répondit en mars mais n’était pas sûr. L’avocat général lui répondit que non, c’était le 10 février, donc seulement un mois plus tard et que pourtant à ce moment-là il est davantage dans la maîtrise. Il lui demande donc si à ce moment-là, il n’y a plus aucun lien avec sa mère. Munyemana répondit qu’il n’y avait pas de rapport avec sa mère car la psychiatre explore plus les antécédents, les pathologies, etc., que l’actualité récente de la personne.

L’avocat général rappelle qu’on a demandé à l’accusé des noms d’amis pour témoigner pour lui, mais il n’y en a pas eu, alors que pourtant selon l’expertise il avait beaucoup d’amis Hutus et Tutsi. Munyemana répondit qu’il a un ami qui suit le procès dans la salle, un autre à Bordeaux et qui n’a pas connu le génocide (sa femme sera bientôt dans la salle pour le soutenir). Il expliqua qu’il a un ami Tutsi qui avait témoigné en première instance et qui a envoyé un courrier pour dire pourquoi il ne serait pas là maintenant. Il ajoute que la plupart des Rwandais de Bordeaux sont dans son comité de soutien qui compte 80 personnes, dont le président qui était présent parfois pendant l’audience. L’avocat général lui rappela que le comité de soutien ce ne sont pas des amis, et que les vrais amis viennent témoigner. Il lui demande donc pourquoi ne pas avoir donné des noms à entendre. L’accusé affirma avoir donné des noms, que certains ont été entendus et d’autres pas appelés et que dans ce cas il n’y peut rien ce n’est pas lui qui dirige l’enquête. Il dit aussi qu’un témoin avait été attendu par le juge d’instruction, mais qu’il avait été menacé pour qu’il témoigne contre lui. Ce a résisté et a alors été viré de son travail de professeur d’université. Le procureur lui demande ensuite s’il a des amis à Tumba. Munyemana expliqua que depuis qu’il a quitté Tumba, il ne sait plus qui s’y trouve, qu’il est limité dans le contact des témoins qui se trouvent à Tumba. Il ajoute qu’en plus certains disent qu’ils ne le connaissent pas alors que ce sont ses voisins.

L’avocat de la défense affirme que la première à tenter de justifier que la seconde expertise était opposée car l’accusé s’était adapté, mais pourtant le détail du fouet n’explique par un contraste aussi grand entre les deux expertises. Munyemana répond que oui c’est le test le problème, il n’a rien à cacher, sinon il n’aurait rien dit du tout, c’est la façon de faire et penser des psychologues qui est différente. L’avocat de la défense dit que l’expertise numéro un était très sévère et que l’essentiel des tests correspondaient à des interprétations de dessins. Il expliqua qu’il y avait d’abord la réponse spontanée de l’accusé à ses questions, et demanda à ce dernier si ensuite elle forçait son interprétation, elle le dirigeait. Munyemana répondit qu’à chaque interprétation, elle le poussait à chercher davantage. Elle lui disait : vous ne voyez rien d’autre, vous êtes sûr ? Donc il donnait tous les champs du possible, plusieurs possibilités. L’avocat de la défense fit remarquer qu’à aucun moment d’interprétation, on parle de scènes de violence. L’accusé répond qu’il a pu utiliser la violence quand il fallait décrire une image brute là-dessus, mais qui ne se souvient plus. L’avocat redit qu’il n’y avait pas de scène de violence dans l’interprétation de l’accusé, même dans des sous-question.

L’avocat rappela ensuite que dès 1997, il a transmis des dizaines d’attestations de rwandais au soutien de l’accusé et ce tout le long du dossier. Il était pourtant difficile de faire venir des témoins en défense. Il donna l’exemple de Béata UWAMARIYA qui en première instance était là, et ne l’est plus aujourd’hui pour des raisons médicales (justifiées par un certificat). Il demanda à Munyemana si c’était une amie. L’accusé répondit que c’est une femme tutsi, seule rescapée de sa famille. Il ajouta qu’en avril 1994 elle était enceinte, qu’elle avait perdu son premier bébé, et que donc pour lui sa grossesse était précieuse. Il expliqua qu’elle avait été hospitalisée au moment du début du génocide et que c’est lui qui lui a fait sa césarienne. Elle est ensuite restée hospitalisée et il l’a revue même après à son domicile. Il affirma qu’elle était venue en première instance avec son fils. L’avocat de la défense lui demanda si Josepha, qui était infirmière, est une amie à lui. Il dit que c’est sa voisine et que c’était la femme d’un médecin ami à lui. L’avocat lui demanda s’il connaît Eraste (?) qui est en d’Afrique du Sud, ce à quoi il répondit que ce n’était pas son ami et il qu’il le connaît car il était chez son voisin, un collègue docteur. L’avocat de la défense dit à la cour à quel point il était difficile de retrouver des amis, témoins et qu’ils viennent. Munyemana ajouta qu’il n’a pas les adresses des témoins, et que d’autres contacts n’acceptent pas de s’exposer car toutes les personnes qui parlent se font attaquer donc ils ont peur. L’avocat de la défense lui demanda si le Joseph Matata qui est dans la salle parfois est un ami à lui. Il répondit que non, ce n’est pas un ami. Ce a fait une enquête sur lui avant d’être en confiance. L’avocat lui demanda ensuite si du côté des professionnels beaucoup l’ont défendu. L’accusé répond que oui, beaucoup l’ont soutenu puisque 50 environ ont fait une demande pour sa liberté. Il explique que le problème n’était pas le manque d’amis, mais la peur de parler.

L’avocat de la défense rappela que pour information, pour l’enquête sur sa personnalité, l’accusé a demandé à que sa femme, ses enfants et deux collègues soient entendus. Il demanda à Munyemana si à ce moment-là une liste d’amis lui avait été demandé ou non. L’accusé répondit qu’il avait donné une liste mais qu’il ne sait pas ce qui s’est passé. Par la suite, l’avocat de la défense lui demanda si avec le psychiatre il avait parlé du génocide, ce à quoi il répond que oui un peu. Il lui demanda également si lors de la première expertise psychologique, où il a beaucoup parlé de sa jeunesse, il a aussi parlé du génocide : oui, un peu aussi, répond-il. L’avocat rappela que ne pas boire conduisait à être suspect et que boire était donc un mode de survie. Il demanda à l’accusé si dans le cadre du génocide, ne pas boire l’aurait mis en danger, avec aussi ses enfants, ses proches et les réfugiés chez lui. Munyemana expliqua qu’on pouvait s’opposer mais pas s’exposer et qu’il fallait donc se préserver mais trouver des astuces pour pas s’exposer donc c’était compliqué.

Suspension: 10h40

Reprise de l’audience : 11h05

Interrogatoire

Monsieur le Président rappela à l’accusé son droit fondamental de garder le silence s’il le souhaite.

La situation personnelle de Munyemana avant, pendant et après le génocide

Monsieur le président rappela que Munyemana avait fait ses études au Rwanda puis en France pour être médecin gynécologue, et que quand il est rentré en 89 ils étaient seulement 6 à l’être. Il lui demanda donc si cela lui conférait une place particulière. L’accusé répondit que oui, mais précisa qu’ils étaient que 5 (car le sixième n’avait pas fini les études), et qu’il a d’abord été connu à Butare. Monsieur le président lui demanda s’il était visible des autorités, régionales ou nationales (ministre de la Santé, préfet etc.), s’il savait qui il était. Munyemana répondit qu’il dépendant du ministère de l’enseignement et de la recherche et qu’il connaissait effectivement le ministre. Il affirma également qu’il connaissait le préfet de Butare. Il expliqua qu’en tant que gynécologue, il avait la plupart des femmes des autorités en tant que patientes, et qu’il était aussi médecin du sport pour beaucoup de femmes. Il suivait ainsi l’épouse du préfet. Monsieur le juge expliqua que son épouse avait dû aller exercer dans le sud car les renseignements avaient la crainte qu’elle pouvait utiliser son métier pour empoisonner, et l’accusé l’a donc suivie. Il demanda à ce dernier si cet épisode est remonté au gouvernement, voire au président. Munyemana répondit que le préfet était le beau-frère du président, et que donc sûrement.

Monsieur le président lui demanda si c’était une personne locale, régionale ou nationale. Munyemana affirma qu’il était connu localement, et que même au niveau de Tumba et Butare il ne savait pas jusqu’où puisqu’il était nouveau. Le juge lui demanda s’il faisait une distinction entre les autorités et le peuple pour savoir s’il était connu, car d’un côté l’accusé disait être connu par le président et les ministres, et de l’autre être connu que localement. L’accusé répondit qu’il était connu professionnellement par le ministre car c’était son professeur à l’université mais qu’aucun autre ministre le connaissait, sauf aussi celui de la santé.

Monsieur le président lui demanda ensuite s’il avait fait l’objet d’un article de presse ou de quoi que ce soit dans les médias. Il répondit que non sauf lors d’une émission à la télé sur le sida où il a été interviewer. Le juge lui demanda s’il était bien sûr : il répondit que rien avait été écrit, et qu’il y a eu la télé tard au Rwanda et qu’il se sait plus s’il y est passé, peut-être dans les premières émissions sur la santé. Monsieur le président lui demanda quand il est arrivé à Butare: début janvier 90 dans une autre ville que Tumba. Il lui demanda ensuite quand il a acheté sa maison à Tumba: achat en novembre 91 et il s’est direct installé. Il lui demanda ensuite comment il a acquis la maison.

Munyemana répondit qu’avant les médecins au Rwanda étaient logés par l’État et que les médecins ont négociés qu’à la place de payer le loyer aux propriétaires, l’État donne directement les sous aux médecins pour qu’ils puissent acheter. L’État a accepté donc cela était son premier fond, et il a rajouté son salaire et un prêt. Le juge affirma qu’à plusieurs décrit l’accusé avait été décrit comme riche, et lui demanda alors sa situation économique au vu du prêt en 1994.

Munyemana explique que le mot riche était relatif, puisqu’au regard de ceux qui le voyaient avec une maison et des locataires (qui permettaient aussi de rembourser le prêt) alors oui il était riche par rapport aux autres. Cependant au regard de son patrimoine, ils avaient avec sa femme prioriser la maison donc n’avait pas de véhicule et pas d’économie, le but était de liquider le crédit. Monsieur le président lui demanda de confirmer si dans son compte bancaire il l’avait donc pas de sous, ce qu’il fit. Il lui demanda ensuite ce qui en était du terrain hérité de ses parents. Munyemana affirma qu’il avait bien un petit terrain de ses parents, et qu’il avait acheté une petite parcelle pour potentiellement construire une maison plus tard.

Monsieur le juge rappela que la maison a été vendue, et lui demanda qui l’a vendu et ou est passé le fruit de la vente. Munyemana expliqua qu’en 2009 la maison a été mise aux enchères après le procès de Gacaca: il a été condamné pour indemniser les personnes qui avaient été pillées (alors que pourtant il n’a pas pillé). Il devait une somme de 5000€ ou 3000€ pour cette indemnisation, et sa maison a été mise aux enchères alors qu’elle valait entre 15000€ et 20000€ pour au final être bradé à 11000€. Quand il l’a su, il a contacté l’administratrice de Tumba et lui a proposé de lui donner l’autorisation de vendre et de donner le montant pour l’indemnisation. Elle accepta et la différence leur a alors été envoyé à Bordeaux (8000€ sur les 11000). Ils ont alors donné ces sous à leurs enfants, mais sait plus combien.

Monsieur le juge lui demanda qui s’était chargé de la vente. Il répondit qu’elle était habitéé par la nièce de sa femme, Jeanne d’Arc et c’est donc elle qui a eu la procuration pour vendre. Le juge lui demanda si les parcelles ont aussi été vendues. Il répondit que celle du patrimoine familial a été laissé à ses neveux et que l’autre a été récupéré lors du retour des réfugiés avec le FPR (mais juridiquement encore les deux à son nom).

Monsieur le président rappela que concernant la voiture, rien ne permet de confirmer qu’il en avait une mais beaucoup de témoins déclarent l’avoir vu avec. Munyemana affirma n’avoir jamais été détenteur d’une voiture, et que quand il avait besoin de se déplacer pour le travail on venait le chercher avec le véhicule de l’hôpital. Le juge lui demanda si une voiture rouge lui disait quelque chose. Il répondit que la voiture de l’hôpital avait une capacité de transport de 10 personnes pour venir chercher tous les médecins. Le juge lui demanda s’il a déjà conduit une voiture en 94, ce à quoi il répondit que non jamais pendant cette période (seulement avant qu’il parte en France vers 81).

Monsieur le président rappela que sa fille Liliane avait dit que l’accusé l’avait conduit (accompagner et venir la chercher). L’accusé répondit qu’elle n’avait pas dit ça, seulement qu’ils étaient dans la même voiture. Le juge lui demanda s’il avait le permis : oui et il comptait acheter une voiture. Il lui demanda pourquoi il n’avait jamais utilisé la voiture d’un ami. Munyemana expliqua que c’était le luxe d’avoir une voiture et qu’il aurait donc dû faire très attention donc non il ne voulait pas abimer la voiture des autres, qui parfois était le seul patrimoine.

Concernant sa profession, monsieur le président lui demanda de confirmer ses activités professionnelles en 1994, dont celle se secrétaire. Munyemana répondit qu’il n’était plus secrétaire de la faculté de 2 ans (son mandat de 2 ans avait expiré en 93) et qu’il avait refusé le poste de directeur ainsi que sa reconduction en tant que secrétaire. Il expliqua ensuite qu’il avait seulement son activité à l’hôpital car en avril les étudiants étaient déjà en vacances pour l’été, et que dans tous les cas ses étudiants avaient cour dans les bâtiments de médecine qui sont à l’hôpital donc il n’allait jamais sur le campus. Le juge lui demanda s’il avait son propre cabinet avec un secrétariat etc. Il répondit que non il n’avait pas de secrétariat, il y avait deux bureaux de consultation où les médecins tournaient, avec aussi la maternité. Il expliqua que les patients venaient, qu’il leur distribuait des numéros de passage puis les examinait.

Monsieur le président lui demanda s’il avait déjà eu des remarques concernant leur ethnie, des craintes de la part des femmes et des patients tutsis. Il répondit qu’il avait des patientes de toute ethnie mais qu’il n’avait jamais eu de remarque. Le juge lui demanda ensuite s’il avait suivi une patiente tutti entre le 6 avril et juillet, ce à quoi il répondit que oui il y avait l’exemple de Béata qui a accouché dans cette période, et d’une autre qui a accouché où il pense qu’elle est tutti pour son physique mais n’est pas sûr.

Le juge lui demanda comment Beata a pu venir à l’hôpital. Il expliqua que sa césarienne était déjà prévue avant, et qu’au début des barrières il a dit au mari de cette dernière (président de la Croix-Rouge là-bas) qu’il fallait l’hospitaliser directement donc vers le 14. Elle a donc accouché après le 21 par césarienne, il pense le 28. Le juge lui demanda si elle avait fait l’objet de menace. Munyemana expliqua ce qu’elle lui avait raconté : le soir les Interahamwe et militaires venaient dans les chambres mais je lui avait donné une attestation prouvant qu’elle était patiente pour pas qu’on pense qu’elle était cachée (et aussi à un membre de sa famille qui était caché), mais par la suite elle a voulu rentrer car se sentait plus en sécurité chez elle.

Monsieur le président lui demanda s’il a déjà eu des propos anti tutsi. Il répondit que non jamais, ni en tant que médecin ni en général. Le juge lui demanda ensuite s’il a déjà parlé du FPR ou des Inyenzi, ce à quoi il répondit que le FPR peut être mais pas les Inyenzi car il considère que ce n’est pas un mot à dire à quelqu’un.

Monsieur le président affirma qu’une témoin avait dit que l’accusé était contre les Tutsi: à l’hôpital, il l’aurait insulté de cafard, d’Inyenzi, il aurait arraché la perfusion de l’infirmière et dit qu’heureusement elle avait accouché d’une fille car sinon cela aurait été différent. Munyemana affirma que cela est faux, qu’il ne la connait pas, et qu’en plus elle avait dit qu’il menaçait son médecin tutsi alors qu’il n’était même pas présent car il était malade chez lui puis il est décédé pendant cette période. De plus, l’infirmière Alice était celle qui l’a assisté pour l’accouchement de Béata.

Monsieur le président lui demanda le positionnement des médecins pendant le génocide, et de la hiérarchie. Munyemana expliqua qu’il n’a jamais entendu qu’un médecin aurait participé mais que les militaires venaient dans l’hôpital après leur départ à 16h pour fouiller. Le juge lui demanda si pour lui il n’y avait pas de complicité pour aider les militaires. L’accusé répondit qu’en tout cas il n’en avait pas vu, mais qu’à la maternité des jeunes miliciens (de 14 à 20 ans) voulaient entrer et qu’ils les empêchaient en les chassant en disant que c’était un service pour femmes et qu’ils n’avaient donc rien à faire ici.

Le juge lui demanda de confirmer s’il avait bien dit auparavant que la situation des femmes était précaire car à partir de 15h il n’y avait plus de médecin, ce qu’il confirma. Il lui demanda si selon lui laisser les femmes n’était pas un problème, ce à quoi il répondit que s’il le concevait. Monsieur le président lui demanda s’il avait parlé à la hiérarchie pour changer cela, notamment pour Béata. Il répondit que non car il n’avait pas de solution à proposer. Le juge affirma qu’il avait du mal à comprendre qu’un médecin bienveillant, avec un attachement pour ses patientes, n’ai rien fait. Munyemana expliqua que maintenant il s’en rend compte mais qu’à l’époque il n’avait rien à proposer car le véhicule ne pouvait circuler qu’à certaines heures, et que tout le monde marchait tête baissée de toute façon.

Monsieur le président lui demanda si des patientes à lui sont morte, à l’hôpital ou en général Il répondit qu’il ne les connaissait pas dans la vie, et que parmi celles qu’il connaissait il ne croit pas qu’il y a eu des mortes mais qu’il est parti depuis longtemps donc il ne sait pas vraiment.

Monsieur le président lui demanda ensuite la période de ces congés. Munyemana affirma qu’il a été en congé du 1 au mois de mars, puis du 6 avril au 9 mai (car arriérées de congé qu’il a soldé). Le juge affirma que c’est du 21 mars au 9 mai qui avait effectivement été retenu au fil des interrogatoires. Munyemana confirme mais hésite avec le 27 mars. Monsieur le président lui demanda si pendant son congé il s’est rendu sur son lieu de travail. Il répondit que non pas à l’université, mais à l’hôpital oui pour accoucher Béata et une autre femme (mais pas sûr de la période pour la seconde). Le juge rappela que certains disent qu’ils l’ont vu régulièrement aller au travail, et l’accusé répondit que c’était sûrement lorsqu’il a repris le travail.

Le juge lui demanda comment il s’est rendu au travail pendant cette période. Munyemana répondit que c’était en voiture : pour Béata c’est son mari qui a envoyé un véhicule de la croix rouge avec un chauffeur, et pour l’autre femme son mari travaillait à la commune et à emprunter un véhicule de celle-ci. Le juge lui demanda s’il est allé une autre fois à l’hôpital, ce à quoi il répondit que non mais que parfois il suivait des patients chez eux. Monsieur le président lui demanda comment cela se passait entre sa maison et l’hôpital concernant les barrières. L’accusé répondit qu’il se faisait contrôler, qu’il montrait son identité, et qu’il n’avait pas eu de difficulté sauf la fois ou une photo de sa femme était dans son portefeuille.

Le juge lui demanda s’il avait demandé d’autres congés, et l’accusé répondit que oui le 1er juin car il a subi des menaces donc il a eu un congé de 10 jour accordé, et il est alors aller chez ses beaux-parents. Monsieur le président lui demanda ce qu’il s’est passé entre le 9 mai et le 1er juin. Munyemana expliqua qu’il travaillait de 7 à 15h. Le juge lui demanda comment il avait pu reprendre le travail alors qu’à l’extérieur il y avait un génocide. L’accusé expliqua que cela se ressentait que le moment était difficile, qu’entre eux ils parlaient très peu, mais qu’il n’y avait pas eu de redistribution de travail. Il affirma que tous les patients n’avaient pas accès à l’hôpital comme avant mais qu’il y en avait quand même. Le juge lui demanda s’il a eu des patients tutsi à cette période, ce à quoi il répondit que le 1er juin il a reçu une dame tutti (le sait car dans le dossier) mais que sinon il ne savait pas leurs ethnies. Le juge lui demanda comment les patients ont pu arriver à l’hôpital au regard du danger. Il répondit que chacun devait avoir son parcours personnel, qu’il ne sait pas. Monsieur le président lui demanda si après le second congé il est retourné ou non à l’hôpital. Munyemana expliqua que c’est la période où il a reçu la lettre d’invitation de l’université de Bordeaux et le billet d’avion, mais qu’il y est allé jusqu’à son départ.

Le juge lui demanda pourquoi ne pas avoir utilisé toutes ces arriérées de congé pour partir puisqu’il y avait un génocide et que sa femme était en France. Il répondit que ce n’était pas facile de fuir, qu’il y a un temps pour fuir, qu’il n’avait pas de véhicule et 3 enfants et ne savait pas où aller. Il affirma que même s’il y avait des tueries, il ne se sentait pas encore menacé car il n’était pas tutsi donc il attendait de s’organiser. Il ajouta qu’en place à partir des barrières il ne savait pas commencer passer car le plus dangereux était d’être dans une région où on ne nous connaît pas car on était directement suspect. Il donna des exemples de personnes qui ont voulu fuir et n’ont pas réussi, se sont fait arrêter (femmes en général et autre médecin). Il affirma qu’il n’avait donc pas les moyens jusqu’à que sa femme l’aide.

Monsieur le président lui demanda s’il était notable. Il répondit que oui si ça s’entend dans le sens de quelqu’un de visible, mais que ça a aussi un sens péjoratif qui écrase tout sur son passage et ça c’est faux. Le juge lui demanda, lorsqu’il est arrivé à Tumba, à quel moment il s’est rendu compte qu’il était un notable. Il répondit qu’il n’y ai pas réfléchi, qu’il savait juste qu’il était parmi les riches du point de vue des voisins. Il n’avait pas encore d’ancrage à Tumba donc il était surtout notable du point de vue économique. Monsieur le président lui fit remarquer qu’il avait oublié sa profession, et lui demanda si cela lui permettait d’être notable, ce à quoi il répondit que oui mais qu’il n’y avait pas penser à l’époque.

Le juge rappela que des témoins ont eu une vision des catégories sociales, et que par exemple un a dit que son frère ne pouvait pas parler à quelqu’un comme Munyemana. Il lui demanda s’il y avait donc une différence entre les catégories, si les gens se parlaient ou pas. L’accusé expliqua que les gens pouvaient se parler mais qu’ils ne se rencontraient pas dans les milieux sociaux : par exemple dans le bar, ils ne viennent pas car c’est cher. Cependant, il affirma que lui s’en fiche et fréquente les gens en fonction de leur idéologie, leur valeur etc. Le juge lui demanda si c’était le cas d’Évariste : oui il était paysan mais ils se fréquentaient.

Monsieur le président rappela qu’apparemment c’était difficile de fuir aux barrières, mais que pourtant aux barrières l’accusé les passait facilement : est-ce que c’est car il était un notable ? Munyemana répondit que c’était peut-être le cas mais surtout car il connaissait quelques jeunes aux barrières.

Un juge assesseur lui affirma qu’il ne comprenait pas pourquoi il n’était pas parti en France pendant ses congés, par forcément pour fuir mais pour rejoindre son épouse. L’accusé expliqua que même si c’était ses congés, il dépendant de l’institution de l’université et que s’il voulait partir de manière officielle il fallait demander une autorisation. De plus dans tous les cas il n’avait pas de voiture donc il n’allait pas partir avec une valise sur la tête (comme beaucoup) et ses trois enfants. Il affirma que c’était un risque élevé sur la route donc il est resté. Le juge lui demanda pourquoi il aurait eu besoin d’une autorisation entre le 21 mars et le 9 mai puisque c’était ses vacances. Il répondit que s’il partait, il fallait qu’il revienne à la fin de ses congés, et que là ce ne serait pas le cas donc il fallait les prévenir, et à partir du génocide c’était très dangereux. Le juge lui demanda pourquoi il n’était pas parti avant le génocide. Munyemana expliqua qu’avant le génocide il n’avait pas de raison de partir, sinon il serait directement aller en France avec sa femme en février. L’autre juge assesseur lui demanda si dans la mesure où il était dans le véhicule avec des médecins, ce n’est pas simplement pour cela que c’était facile de passer les barrières. Il expliqua que non chaque personne était quand même contrôlée personnellement.

12H42 : suspension

14h00 : reprise de l’audience

Léna Jaouen, Étudiante bénévole

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024