Fiche du document numéro 35585

Num
35585
Date
Dimanche 28 septembre 2025
Amj
Taille
122586
Titre
Procès en appel de Sosthène Munyemana à la Cour d’Assises de Paris - Jour 8 [Matin]
Sous titre
Compte rendu de l’audience du 25 septembre 2025 (matin)
Mot-clé
Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
L’audience s’ouvre à 9h. Pour la première audition le témoin comparaît par visioconférence. L’interprète et le témoin, Jean Damascène Munyaneza, détenu à la prison de Karubanda à HUYE, prêtent serment.
Le témoin se présente, il a 53 ans. Il confirme n’avoir aucun lien de parenté ou d’alliance avec l’accusé.

Dans un premier temps le président de la Cour lui demande de parler spontanément. Il déclare avoir organisé, avec ses collègues, des réunions ayant conduit au génocide. Il affirme également avoir participé à plusieurs attaques et avoir incité avec ses collègues à tuer les Tutsi. Le président de la Cour entame ensuite les questions.
Il commence par lui demander s’il a été condamné pour des faits en lien avec le génocide. Munyaneza confirme avoir été condamné pour génocide, participation à des attaques, meurtres de Tutsi et viols. Il a été condamné à perpétuité pour ces faits. Le président de la Cour fait ensuite référence à une audition du 16 mars 2010 au cours de laquelle Munyaneza avait reconnu avoir livré des membres de la famille de sa mère, à l’exception de sa mère, afin qu’ils soient tués. Invité à confirmer, le témoin répond qu’il n’a jamais livré des membres de sa famille puisqu’il est Hutu et que seuls les Tutsi étaient visés. Toutefois il ajoute qu’il a bien livré les membres de la famille de sa mère, à l’exception de sa mère, parce qu’il est Hutu seulement du côté paternel.

Le président de la Cour l’interroge sur les Interahamwe et lui demande s’il en a fait partie. Le témoin confirme avoir fait partie de cette milice et explique qu’un Interahamwe est une personne qui a été incitée à la haine contre les Tutsi. Il indique que les miliciens Interahamwe provenaient de différents partis politiques (MDR, PSD…). Selon lui, dès l’attaque du FPR contre le Rwanda, les chefs comme Munyemana ont commencé à recruter des interahamwe pour lutter contre les envahisseurs.
C’est la première fois qu’il évoque ce recrutement de miliciens par Munyemana, il n’en avait jamais parlé dans ses auditions précédentes. Le juge l’interroge sur la certitude de ses propos, ce à quoi Munyaneza répond : « je suis sûr de ça, je réponds aux questions qui me sont posées ».

Plusieurs questions lui sont ensuite posées sur son affiliation à un parti politique. Il affirme avoir adhéré en 1993 et pendant toute la période du génocide au MRND, sans avoir jamais basculé vers le MDR (mouvement démocratique républicain). Il confirme ensuite avoir été formé à l’utilisation des armes à feu par l’armée rwandaise notamment à l’utilisation de la Kalashnikov.

Le président de la Cour l’interroge ensuite sur sa première rencontre avec le docteur Munyemana. Munyaneza explique l’avoir rencontré chez lui, il devait lui préparer un placard, puis pendant des meetings politiques. S’il ne se souvient pas de la date exacte, il situe néanmoins cette rencontre pendant la guerre, avant le déclenchement du génocide. Selon ses précédentes auditions, elle aurait eu lieu en 1991. Toujours selon Munyaneza, à cette époque le docteur Sosthène Munyemana appartenait au parti MDR et jouait un rôle important dans ce parti : il distribuait notamment les chapeaux et les cartes du MDR. Il aurait également participé à plusieurs réunions préparant le génocide chez le président du parti.

Le président de la Cour questionne ensuite le témoin sur une réunion du 19 avril 1994 avec le président Théodore Sindikubwabo. Le témoin dit s’en souvenir et affirme que l’objet de cette réunion était la mise en place d’un « comité de crise » chargé d’organiser le remplacement des Tutsi par les Hutu. Il ajoute qu’au cours de cette réunion, Munyemana aurait fourni une liste de Tutsi influents à éliminer.

Enfin Munyaneza affirme que Munyemana était déjà en contact avec plusieurs membres du gouvernement intérimaire, notamment avec le président du PSD, le président de la CDR, avec quelques officiers militaires, ainsi qu’avec le représentant des commerçants chargé d’élaborer des listes de Tutsi commerçants à tuer.

Le président de la Cour demande ensuite au témoin de décrire le rôle que jouait Munyemana dans les différents comités (comités de crise, de sécurité et de ronde).
Selon Munyaneza, Munyemana était en charge de rédiger les règles de ces comités.
Le comité de crise était chargé de l’identification des dirigeants Tutsi tués afin de les remplacer par des Hutus. Le comité de ronde quant à lui désignait les responsables chargés de contrôler le fonctionnement des barrières mises en place dans tout le pays pour identifier les Tutsi et les exécuter.
Munyaneza affirme qu’il faisait partie de ceux qui gardaient les barrières, tandis que Munyemana surveillait le fonctionnement des rondes/ patrouilles.

Le président de la Cour demande s’il est envisageable que ces barrières aient d’abord été destinées à protéger la population plutôt qu’à tuer les Tutsi, mais Munyaneza réfute cette hypothèse et affirme qu’elles ont été mises en place précisément pour identifier les Tutsi et les exécuter. Il déclare avoir lui-même tué des Tutsi à ces barrières. Toujours selon lui, Munyemana a joué un rôle important dans ces massacres, il incitait les Hutu à se séparer des Tutsi, qualifiés d’ennemis du pays. Il ajoute avoir vu Munyemana tuer les domestiques ainsi que le chien de Deo Nkurikiyimana avec son pistolet.
Le président de la Cour rappelle toutefois que les témoignages sur cet événement diffèrent. D’après d’autres témoignages, notamment celui d’un autre génocidaire nommé Thomas, ce seraient des militaires, et non Munyemana, qui auraient tué les ouvriers.
Invité à réagir, Munyaneza affirme que ce témoin ne dit pas la vérité compte tenu des relations qu’il a avec la famille de Munyemana. Il soutient qu’un cousin de Munyemana aurait très récemment rendu visite à Thomas en prison, et aurait acheté une moto pour son fils. Les questions se poursuivent sur le bureau de secteur à Tumba dans lequel Munyemana est accusé d’avoir enfermé des Tutsi avant leur exécution. Le juge demande s’il pouvait s’agir d’une mesure destinée à protéger les Tutsi et non à les tuer. Munyaneza écarte catégoriquement cette version : selon lui les Tutsi n’ont pas été enfermés pour être protégés mais uniquement dans le but d’empêcher les Tutsi de s’échapper et de faciliter leur mise à mort, il affirme qu’ils étaient destinés à être tués. À la question de savoir qui ouvrait les portes de ce bureau pendant le génocide, le témoin répond que c’était Munyemana lui-même qui s’en chargeait, afin d’y enfermer les Tutsi capturés.

Le président de la Cour donne ensuite la parole aux deux autres magistrates.
Celles-ci interrogent le témoin sur la tuerie du 22 avril 1994 et sur la présence de Munyemana lors de cet événement. Munyaneza affirme que ce dernier était bien présent et que c’était le chef de cette attaque. L’une des magistrates lui demande également pourquoi les Tutsi capturés étaient conduits au bureau de secteur plutôt que tués immédiatement. Le témoin explique qu’une fosse se trouvait à proximité du bureau de secteur permettant d’y jeter les corps, et précise que c’est Munyemana qui avait donné l’instruction d’enfermer les Tutsi capturés dans ce bureau. L’audience est suspendue à 10h40 et reprend à 10h50.

La parole est alors donnée aux avocats des parties civiles.
Ceux-ci demandent des précisions sur les personnes enfermées dans le bureau de secteur. Munyaneza estime qu’il y avait entre 120 et 200 personnes enfermées et cite le nom de certaines d’entre elles. Il est ensuite interrogé sur la « période de pacification », qu’il décrit comme une stratégie consistant à annoncer une accalmie afin d’inciter les Tutsi cachés à sortir de leur cachette.

Un autre avocat demande à Munyaneza pourquoi les Hutus obéissaient à Munyemana alors qu’il n’occupait aucune fonction politique officielle. Il répond qu’au moment des faits les autorités administratives avaient perdu toute autorité effective et que le pouvoir avait été donné à certains membres des partis politiques par les Hutus. Des questions sont ensuite posées au témoin concernant les femmes Tutsi. Munyaneza affirme que les Hutus avaient libre accès à toutes les femmes Tutsi : « toute personne qui voulait violer une femme Tutsi y était autorisée ».

La parole est donnée à l’avocat général, qui commence par interroger le témoin sur les Gacaca. Munyaneza explique avoir témoigné contre Munyemana devant les Gacaca, mais que ce témoignage aurait été occulté par les amis et complices de Munyemana. Selon lui, la personne chargée de collecter les informations et les témoignages lors des Gacaca était un négationniste du génocide et se serait donc enfui avec l’ensemble des informations recueillies. L’avocat poursuit avec plusieurs questions précises :

Comment avez-vous su que la réunion du 19 avril 1994 chez le président Sindikubwabo était une réunion de préparation du génocide ? mon atelier de menuisier se trouvait juste à côté de la résidence du président. Le cousin de mon père participait à ces réunions et me disait ensuite ce qui y était dit.
En 1994 qu’est-ce que pouvait faire un Hutu qui ne voulait pas participer au génocide ? il devait être tué
Est-ce qu’il y avait une télévision dans la maison de Munyemana ? oui, elle diffusait des images en noir et blanc.
Pour finir la parole est donnée à la défense.

Le premier avocat demande au témoin s’il se souvient avoir rencontré Munyemana en 1988 pour boire des bières au café de Tumba. Munyaneza répond par l’affirmative.
L’avocat souligne qu’il est pourtant établi dans le dossier qu’en 1988 Munyemana et sa famille vivaient à Bordeaux. Le témoin conteste cette version, affirmant qu’à partir de 1988 la maison de Munyemana se trouvait à Tumba. Il précise toutefois qu’il n’a pas livré le placard chez Munyemana en 1988, mais plus tard, pendant la guerre. Il ajoute qu’en 1990 Munyemana habitait à Tumba. L’avocat de la défense indique qu’en réalité il n’habitait pas à Tumba mais dans une commune voisine.

S’agissant de son affiliation politique, Munyaneza affirme n’avoir jamais quitté le MRND. L’avocat de la défense rappelle pourtant qu’il avait précédemment déclaré avoir un temps rejoint le MDR et assisté à des meetings de ce parti. Le témoin confirme s’être rendu à ces meetings mais précise qu’il n’y participait que pour voir des amis. L’avocat de la défense revient ensuite sur le meurtre du domestique et du chien de Deo Nkurikiyimana, imputé par le témoin à Munyemana, qu’il accuse d’avoir commis les faits avec une arme de poing. L’avocat relève toutefois la récurrence d’une confusion dans les accusations contre Munyemana : elles sont rarement corroborées par d’autres témoignages et présentent souvent de nombreuses contradictions. En l’occurrence concernant le meurtre de l’ouvrier, plusieurs autres témoins indiquent qu’il aurait été tué uniquement par des militaires, en l’absence de Munyemana.

L’avocat souligne ensuite qu’au cours de sa carrière il n’a jamais rencontré une personne ayant témoigné dans autant d’affaires : Munyaneza est en effet intervenu comme témoin dans vingt dossiers différents. Il l’interroge alors : Qui vous demande de témoigner ? ce à quoi Munyaneza répond : « Si j’ai témoigné contre quelqu’un, c’est parce que des enquêteurs voulaient m’auditionner. » L’avocat poursuit : « Comment se fait-il que l’on vous choisisse systématiquement pour toutes ces enquêtes ? » — et le témoin rétorque : « C’est plutôt à moi de vous poser la question : qui vous donne des renseignements pour venir me chercher ? »

Pour conclure l’avocat de la défense relève que le témoin n’avait jamais évoqué le bureau de secteur lors de ses précédentes auditions et lui en demande la raison. Munyaneza répond alors : « je réponds strictement aux questions qui me sont posées ». La communication avec le témoin est coupée. L’audience est suspendue à 13h.

Jeanne Beaujean, Étudiante.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024