Citation
Ce mardi 23 mardi 2025 matin, nous avons assisté à la comparution du témoin Florent Piton : Enseignant et, auteur de « Le génocide des Tutsi au Rwanda » Éd. La Découverte, 2018.
Il n’intervient pas dans le cadre du pouvoir discrétionnaire du juge donc il prête sermon. Après une présentation de ses recherches, s’en est suivi une série de questions.
Enseignant-chercheur : Je suis historien, j’étudie l’histoire du Rwanda concernant la période du 20ème siècle : depuis la période coloniale jusqu’au génocide, je travaille à l’échelle locale qui s’articule dans l’histoire nationale. Il y a deux temps : l’articulation entre temps court du génocide et temps long. Mes recherches pour ma thèse de doctorat portaient sur une commune du Nord préfecture de Ruhengeri dans les communes de Kiningi et Mukingo.
Le génocide a commencé très tôt dans ces communes et s’est achevé rapidement, l’essentiel des Tutsi de ces communes sont tués le 7 avril 1994 du matin au soir.
Le Bourgmestre Kajelijeli, jugé au TPIR, explique que c’est les Tutsi du FPR qui ont causé l’accident et la mort du président et que si on ne s’en débarrassait pas on continuerait à tuer des autorités. Il a appelé un camp militaire voisin pour demander la livraison d’armes au petit matin sur une barrière qui relie les deux principales villes du Nord. Ça permet de souligner le rôle fondamental des politiques et des militaires qui organisent le génocide des Tutsi en1994 qui n’est pas spontané, c’est-à-dire la volonté du peuple en colère de venger le président, mais bien un processus impulsé par de autorités politiques administratives. Ce qui m’a poussé à choisir ce sujet et que ces communes ont été le sujet de massacres avant même le génocide. Une partie des Tutsi de cette région qui sont appelés les Bagogwe qui dès janvier 1991 ont fait l’objet de massacres importants menés par les FAR. Ce fut un prétexte pour cibler ces Bagogwe. Je me suis demandé : Comment ce ciblage des Bagogwe ? Il existe des documents qui qualifient ces massacres de génocide. D’après mon enquête et des archives, une partie des Bagogwe ne sont pas visés tout de suite dans le contexte des élections communales.
Ce ciblage est une instrumentalisation de l’assignation ethnoraciale.
La manipulation des identités ethnoraciales procède aussi d’un projet politique.
Apparition d’une nouvelle génération plus ambigüe sur cet héritage du MRND qui est clivée entre deux positions qui ne sont pas les mêmes. À la suite des attaques de février 1993 du FP, cette nouvelle génération considère que l’ennemi politique principal est le Tutsi. La nomination au poste de la première ministre qui représentait la partie la plus modérée du MDR PARME HUTU remet au centre la question raciale. Le président nouvellement élu du Burundi fait une rencontre où un des principaux cadres fait un discours où il théorise le Hutu Power disant qu’il faut faire front commun pour lutter contre le FPR. C’est un moment de cristallisation. Il se réapproprie des thèses coloniales qui vont justifier un principe d’auto-défense justifiant de se débarrasser des Tutsi. Le projet sur temps long est l’identification ethnique sur les cartes d’identité, l’instauration de quotas dans l’administration. Sur le temps court, à toutes les échelles locales et nationales, des acteurs politiques et militaires organisent la mise en œuvre du massacre.
Président de la Cour : Qu’est-ce qui vous qualifie ? Quel travail avez-vous effectué qui vous qualifie ?
Enseignant-chercheur : J’ai fait une thèse de sept ans ainsi que la rédaction d’un ouvrage m’ouvrant de nouvelles perspectives. Je suis historien des archives notamment administratives collectées dans différents contextes et lieu tout d’abord au Rwanda. Beaucoup de documents dans les archives permettent de montrer qu’il y a eu un génocide.
Président de la Cour : Avez-vous déjà vu un document de la cour pénale internationale qui parle de l’exécution planifiée du génocide ? Enseignant-chercheur : Concernant la notion d’entente en vue de commettre le génocide, peu ont été condamnés. Un historien explique que la manière dont le TPIR a été mis en place fait que le TPIR ne pouvait se fonder que sur des documents de 1994, de la période du génocide et pas ceux antérieurs.
Des juges ont soulevé de possibles examens des faits antérieurs dans le but de condamner.
Président de la Cour : Vous avez travaillé sur une zone précise au Rwanda. Pensez-vous que votre travail peut s’appliquer dans toutes les zones ou sont-elles particulières ?
Enseignant-chercheur : Toutes les zones sont particulières mais on y retrouve les mêmes dynamiques malgré la temporalité qui peut différer.
Président de la Cour : Dans votre propos introductif vous parlez des Tutsi. Y a-t-il une distinction des Tutsi ? Ou est-ce tous les Tutsi qui sont visés ?
Enseignant-chercheur : Je peux vous parler d’un cas que je connais d’un pasteur (de vaches) Tutsi qui s’est engagé dans un parti dit modéré.
Au début de la guerre octobre 1990, il fait partie des personnes incarcérées. Il sera assassiné après avoir été relâché dans le massacre des Bagogwe alors qu’il ne prenait plus part à des activités politiques.
Président de la Cour : Il apparaissait qu’il y avait toujours deux branches au MDR. Pouvait-on à l’époque être partisan au MDR sans être extrémiste.
Enseignant-chercheur : En été 1993, sont exclus les modérés et les personnages cadres mis en avant sont les extrémistes. Au niveau local, il faut une enquête pour pouvoir le dire mais au niveau national il n’y a pas de doutes.
Président de la Cour : Une lettre d’intellectuels envoyée à Habyarimana a été signée par l’accusé. Peut-on avoir été signataire de cette lettre et ne pas faire partie de cette branche extrémiste ?
Enseignant-chercheur : De ce que je comprends, cette lettre évoque le renvoi de Faustin Twagiramungu, les accords d’Arusha et la répartition de pouvoir dans ces accords. Les références récurrentes à la notion de démocratie qui en 90 à cette époque est une lecture ethnoraciale de la démocratie qui dịt que le pouvoir doit revenir au peuple majoritaire qui est le peuple Hutu. C’est une couverture pour cette politique ethnoraciale.
Président de la Cour : Êtes- vous déjà allé à Butare ?
Enseignant-chercheur : Oui mais je n’y ai pas fait mes recherches
Président de la Cour : Est-il possible que des faits génocidaires aient été faits sans l’intervention de tous les échelons ?
Enseignant-chercheur : Habyarimana essaie de freiner les tueries puis est assassiné puis remplacé par le Président intérimaire Sindikubwabo
Il parait à minima que ses changements administratifs ont une corrélation avec la généralisation du génocide. Il me parait difficile de dire que les massacres ont eu lieu sans faire jouer les autorités
Président de la Cour : Est reproché à l’accusé d’avoir détenu la clé du bureau de secteur pour enfermer des Tutsi mais lui soutient que c’était pour les mettre à l’abri. Peut-on penser qu’à ce stade un bourgmestre puisse mettre à l’abri des Tutsi ?
Enseignant-chercheur : Ces bourgmestres qui essaient de protéger les Tutsi sont virés donc pour ceux qui restent en poste il serait difficile de dire qu’ils n’ont pas participé. Ceux qui veulent protéger les Tutsis sont destitués et pour la plupart assassinés.
Président de la Cour : Comment expliquez-vous qu’il y ait toujours cet engouement autour du Rwanda ?
Enseignant-chercheur : Moi ce qui m’a amené à travailler dessus est une dimension universelle de ce que l’on peut retirer de ce pan de l’histoire, des dynamiques et logiques.
Avocat des parties civiles : Comment vous articulez ce génocide militaire (génocide vertical), politique mais aussi un génocide horizontal où la population participe ?
Enseignant-chercheur : Très vite, lorsque tout commence, il y a l’idée que la population doit être partie prenante d’un pays menacé. Il s’organise l’auto-défense civile qui va être un élément essentiel des massacres.
Il y a un front militaire et un front intérieur où les plus à même d’identifier les ennemis potentiels sont les locaux. Une lecture pauvre de la situation est celle de dire que c’est par obéissance au Rwanda que la population intervient. Mais une lecture plus intéressante est l’idée d’insécurité croissante qui va être l’origine d’une mobilisation des habitants pour faire des rondes. Ce mécanisme et ces structures sont réinvestis, transformés pour la guerre.
Avocat : Oui mais comment on peut y arriver même dans la famille ?
Enseignant-chercheur : La notion ethnoraciale devient une frontière ce qui explique qu’au sein des familles cette frontière prenne également le pas.
Avocat : Pensez-vous que sans le cercle de notables le génocide aurait pu avoir lieu ?
Enseignant-chercheur : Non, il semble difficile d’imaginer que le génocide ait pu être mis en place sans ce cercle. Ces notables sont ceux à qui on donne les armes, c’est cette notion que les notables qui s’arment pour protéger soi-disant leur famille ce qui permet une extension au peuple.Un rapport explique que les premières semaines, les Bagogwe sont protégés par les voisins comme étant des autochtones. Puis des semaines après il y a une tutsification des Bagogwe qui sont par la suite massacrés.
Avocat : Est-ce que quand il y a une décision de radicaliser des partis, on ne tue pas les Hutus qui s’y opposent ?
Enseignant-chercheur : Des Tutsi sont ciblés dès le petit matin du 7 avril qui s’accompagne de l’assassinat des politiciens de modérés dans le but d’une clarification du paysage politique. La seule voie politique est celle de Hutu Power.
Autre avocat : Vous avez dit que vous faites des études comparées. Est-ce qu’on peut imaginer qu’un génocide ne soit pas préparé ?
Enseignant-chercheur : C’est impossible il faut du matériel. Le rôle de l’État est une constante dans les génocides.
Avocat : Vous avez abordé la question de la démocratie utilisée comme un dévoiement de la notion de démocratie pouvez- vous le réexpliquer ?
Enseignant-chercheur : La notion de démocratie repose sur l’idée de majorité, les Hutu est le peuple majoritaire qui représente à l’époque 85% de la population donc les plus à même d’avoir un gouvernement démocratique (selon ce dévoiement).
Avocat : Est-ce que vous avez pu travailler en toute liberté ?
Enseignant-chercheur : Absolument, les procédures n’étaient pas les mêmes qu’en
France mais j’ai fait les demandes nécessaires qui m’ont été accordées sans pression politique.
Autre avocat : « PARME HUTU n’évoque pas une ethnie mais une échelle sociale la plus basse » ce que dit l’épouse de l’accusé en expliquant que lui et elle ont rejoint le parti puis ont pris la carte en 1993 quand le MDR s’est radicalisé. Est-il possible d’ignorer la radicalisation du parti quand on s’y engage à cette période ?
Enseignant-chercheur : Cela me parait impossible difficile.
Procureur général : Dans une administration avec des rouages et des écrits, pour vous faut-il la publication d’un décret intitulé « préparation du génocide » ?
Enseignant-chercheur : Un plan concerté ne se lira jamais dans un document. Par exemple, la Shoah n’a pas de documents pourtant personne ne considère qu’il n’y avait pas de planification du génocide.
Procureur général : Comment est-il possible qu’un pays engagé dans les accords d’Arusha puisse participer à la définition du Tutsi comme étant l’ennemi. ?
Enseignant-chercheur : Tout le monde n’est pas pour les accords.
Procureur général : À l’époque quand on s’inscrit dans un parti est-ce qu’on en connait tous les aboutissants ?
Enseignant-chercheur : Oui, on sait dans quoi on s’engage.
Avocat de La Défense : Comment fonctionne la violence politique dans le contexte du génocide ?
Enseignant-chercheur : Il y a une différence entre la violence et la cruauté. Il y a toujours de la violence mais la cruauté est la spécificité du génocide. Ces violences visent à humilier, détruire les appartenances, l’humanité et tout ce qui est sacré à la personne.
Comparution du témoin : Madame Diana Kolnikoff : Psychologue clinicienne et psychanalyste
Psychologue : Je suis depuis 35 ans dans le domaine de la prise en charge des victimes de violences politiques. Je participe à des procès de crimes, de violences politiques et de génocide. Après s’être présentée, elle a traité de la compréhension du fonctionnement de la violence, de son effet sur les victimes.
Président de la Cour : Concernant l’influençabilité et la crédibilité des témoins. Il y eu une évolution juridique par rapport à cela. On entend de nombreux témoins. Quels critères qui permettent d’influencer sur le témoignage ? Est-ce qu’une personne qui a un témoignage entendu proche des faits prévalant sur le témoignage plus lointain écouté au cours du procès ?
Psychologue : Il y a toujours des défaillances dans le témoignage dû à l’important traumatisme qu’ils n’oublieront jamais. Parfois ils ont la capacité d’en parler tout de suite mais parfois ce n’est pas le cas. Raison pour laquelle le témoignage peut varier. Mais le fond du témoignage reste le même.
Président de la Cour : Comment distinguer : mensonge, règlement de compte, vengeance et soif de justice ? Y’a-t-il des outils ?
Psychologue : Témoigner dans un esprit de vengeance ne tient pas compte longtemps et se ressent. Les jurés doivent user de leur sentiment et de leur conviction.
Magistrate : Vous avez évoqué deux cas mensongers dans votre pratique. Quels sont les indices qui vous ont permis de le voir ?
Psychologue : Le premier cas, une femme a menti pour aider son mari. Le deuxième cas, plus insolite, la traductrice et le thérapeute ont senti quelque chose d’étrange. Il était en réalité un bourreau qui essayait de se faire passer pour ses victimes.
Président de la Cour : Peut-il y avoir une reconstruction de l’histoire ou elle reste intacte ?
Psychologue : Elle reste intacte, il peut y avoir des changements mais pas sur le fond du témoignage.
Président de la Cour : Avez-vous déjà pris en charge des victimes plaignantes ayant eu le statut à la fois de victime et de perpétrer contre leur propre famille ?
Psychologue : C’est arrivé avec les enfants soldats.
Président de la Cour : Avez-vous reçu des victimes du génocide des Tutsi du Rwanda ?
Psychologue : Oui, bien sûr.
Avocat des Parties Civiles : Concernant la question de la remise en cause des paroles des témoins. Quel impact la remise en cause du témoignage peut avoir sur les victimes ?
Psychologue : Ça les impacte énormément, ça leur fait du mal. C’est la raison pour laquelle on les prépare à ce qu’il va se passer. Quand ils acceptent de témoigner à un procès quand même c’est qu’ils sont engagés.
Avocat : Quel est l’impact sur les auteurs des violences ?
Psychologue : Jamais des auteurs ne sont venus pour en parler, ils ne viennent pas chercher l’aide des psychologues.
Autre avocat : Pouvez-vous réagir aux propos de mise en garde concernant des témoignages ?
Psychologue : Ça ne relève pas de ma compétence mais ça détruit l’idée même de témoigner au procès.
Autre avocat : Pour les victimes du génocide au Rwanda beaucoup n’ont pas eu de soutien psychologique après le génocide. Pensez-vous que ça a créé un soutien pour les victimes de se regrouper ?
Psychologue : Oui, c’est toujours positif, à défaut de soutien psychologique.
Avocat : Le souvenir de chaque victime peut-il être altéré par le souvenir collectif ?
Psychologue : Non chacun a vécu son histoire et y tient.
Autre avocat : Y a-t-il corrélation entre violence et intentionnalité ?
Psychologue : Vouloir éliminer tout un pan de la société va au-delà de la violence. La cruauté est un outil de cette intentionnalité.
Procureur général : Concernant le recours à l’émotion. Pouvez-vous trouver une alternative à ces émotions ? Car les acteurs créent de l’émotion.
Psychologue : L’évaluation du témoignage ne repose pas sur les émotions mais peuvent être un indicateur. Certaines victimes ont plein d’émotion et d’autre non.
Procureur général : Faut-il avoir de l’empathie pour juger ?
Psychologue : Oui si on en a c’est bien mais ce n’est pas essentiel.
Avocat de la défense : Notre positionnement est difficile.
Il y a des victimes de génocides qu’on ne remet pas en doute mais on défend un homme donc on doit poser des questions précises. Comment face à des situations incontestables peut-on arriver à avoir un récit objectif ? Peut-il être objectif ?
Psychologue : Je ne sais pas c’est votre travail. Vous essayez d’arriver à la vérité. On ne peut éviter les émotions mais ça n’empêche pas de trouver la vérité.
Avocat : Ce sont des faits d’il y a 30 ans et ce problème se pose le problème de la mémoire collective. On a des Tribunaux de Gacaca. Il y a toute une mémoire collective que se construit. Est-ce que l’entendu dire peut devenir un souvenir personnel ?
Psychologue : Dans mon expérience, on ne prend pas pour soit des éléments vécus par un autre.
L’interrogatoire se termine et l’audience est suspendue et reprendra à 14h30.
Comparution du témoin, de monsieur Jean-Philippe REILAND Général de Brigade, enquêteur de l’OCLCH
Il est général de Brigade dans une office centrale de police judiciaire spécialisée dans la lutte contre les crimes contre l’humanité à Paris.
Il dirige une OCP créée en 2013 dans laquelle il fait des investigations, il coordonne des actions policières, ces offices appuient et soutiennent les contentieux. Il témoigne d’un personnel expérimenté en police judiciaire formé jusqu’au plus haut niveau des enquêteurs, ils se déplacent pour répondre aux besoins des enquêtes. Ils travaillent sur des affaires hors de France, rendant parfois impossible le recueil de documents.
Pour avoir accès aux témoins, aux victimes il faut faire une demande d’entraide internationale sinon il ne peut agir sans l’aval du pays en question. Le Rwanda accorde les investigations conduites par des enquêteurs, des magistrats mais seulement pour les auditions le reste est conduit les enquêteurs rwandais avec parfois l’assistance de ceux français. Sur place les auditions se font au plus près des lieux de résidence des témoins avec si nécessaires des interprètes.
Président de la Cour : Vous n’avez pas enquêté sur cette affaire (celle de Sosthène .Munyemana) ?
Général : Non.
Président de la Cour : Vous n’avez pas connu les enquêteurs qui ont travaillé sur cette affaire ?
Général : Un seul, qui était en service à l’époque mais qui n’a pas travaillé sur ce dossier
Président de la Cour : Dans ce pays, quels sont les enjeux, les défis ?
Général : Ce qui m’a frappé, ce pays vit encore dans l’histoire du génocide, la commémoration du génocide est un évènement très fort.
Pays civilisé même si les faits sont lointains, on doit tout faire pour émerger la vérité dans les témoignages et essayer de les conjoindre pour leur donner la plus grande valeur probante.
Président de la Cour : Avez-vous entendu parler d’une critique de la célérité de la France ?
Général : Il y a une volonté politique forte d’empêcher que quiconque passe entre les mailles du filet ainsi que des attentes fortes mais il n’y a pas de pression sur les épaules des enquêteurs.
Président de la Cour : Avez-vous constaté des positions de frein sur vos enquêtes ? Des difficultés de localiser des témoins à décharge ?
Général : Non, de tous les témoins on ne peut savoir si les témoins sont à charge ou à décharge.
Président de la Cour : Mais ça peut se savoir ?
Général : Oui. Il n’y a pas de difficultés particulières en général, pas plus parmi les témoins à décharge.
Président de la Cour : Êtes-vous allé à Butare ? Avez-vous déjà enquêté là-bas ?
Général : Oui, je suis déjà allé sur place mais je n’ai jamais enquêté.
Président de la Cour : Qu’est-ce qui rend l’enquêteur légitime ? Font-ils des études d’ethnoraciales ?
Général : Premièrement, ils sont tous volontaire donc il y a une volonté individuelle de s’y rendre. La plupart de l’effectif est des femmes. J’ai tout fait pour qu’elles fassent des formations sur ces aspects.
Président de la Cour : Seriez-vous en mesure de nous donner des statistiques d’affaire qui sont instruites ?
Général : sur 150 dossiers internationaux sont ouverts à l’instruction, 50% des dossiers ne vont pas au stade du jugement.
Président de la Cour : C’est assez élevé. Avez-vous eu des informations sur cette affaire (celle de Sosthène Munyemana) ? Est-ce une affaire qui a marqué l’office ?
Général : Non
Président de la Cour : Que pensez-vous du fait que le jugement en appel ait lieu trente ans plus tard ?
Général : Doit agir le plus vite possible mais il y a des difficultés matérielles. Deux fois par an, on se déplace au Rwanda ce qui est déjà important pour cet office. L’instruction n’est pas qu’en office ; doit entendre office, on doit entendre d’autres personnes.
Président de la Cour : L’accusé depuis toujours proclame son innocence. Dans le cadre de votre office combien de personnes mises en cause reconnaissent être coupables ?
Général : Je n’en ai pas de souvenir.
Président de la Cour : Vous diriez zéro ? Vous n’avez jamais eu quelqu’un qui se dit non coupable ?
Général : Non, aucun souvenir.
Avocat des Parties Civiles : Quel est votre ressenti par rapport à vos passages au Rwanda ? Avez-vous eu l’impression d’être sous une dictature ?
Général : Je n’ai pas vu une présence policière forte, en tout cas pas plus qu’à Paris. Je n’ai pas eu d’impression de dictature.
Avocat : Il y a eu prévention sur les témoins au Rwanda qui aurait une relation particulière avec la vérité. Avez-vous entendu qu’ils sont du genre à mentir ?
Général : Non, pas plus que le reste du monde.
Autre avocat : Vous avez l’habitude d’intervenir sur des terrains où des associations, des ONG, qui sont déjà passées. Est-ce que ça ne pose pas des difficultés ?
Général : Ça peut être le cas quand on arrive trop tardivement. C’est parfois difficile d’entendre un témoin quand il a été entendu plein de fois, il y a donc parfois une certaine lassitude du témoin ou alors une extrême douleur de supporter une charge émotionnelle qui rejaillit.
Procureur général : Ce dossier a pris du temps, aujourd’hui ça fait 31 ans après les faits. Pouvez-vous développer ce qui peut causer un tel délai ?
Général : Il faut prendre en compte la complexité des faits, l’éloignement national, la méconnaissance du contentieux. Il a fallu attendre l’année 2010/2011 pour avoir un pôle spécialisé sur les crimes contre l’humanité, qui était une invitation de l’UE à avoir un pôle. Il y a la nécessité de se déplacer et localiser des témoins dans un pays qui se reconstruit, se remet en place.
Avocat de la défense : Les auditions se déroulent au parquet général de Kigali ?
Général : Oui si c’est dans leur localité.
Avocat : La France peut-elle s’assurer de la confidentialité des localités rwandaises ?
Général : Oui.
Avocat : Avez-vous été informé d’incidents ? Vous en a-t-on rapportés ?
Général : Non.
Comparution du témoin Monsieur Alain Gauthier : Président du CPCR
Il commence par parler de son service militaire coopératif effectué au Rwanda, qu’il a enseigné pendant deux ans à Save au nord de Butare. Il parle des rencontres qu’il a faites au Rwanda qui était dans une période calme. Puis il rentre en France et par l’intermédiaire du curé Blanchard, il rencontre celle qui deviendra sa femme. Leur dernier voyage au Rwanda avant la période du génocide se fit en août 1989. En janvier 1993, il envoie un courrier au Président de la République de France pour connaitre le rôle joué au Rwanda ce à quoi il lui reçoit comme réponse qu’ils font leur maximum.
En 2001, se déroule le premier procès en Belgique. N’ayant pas de dossiers, lui et sa femme, décident de se constituer parties civiles aux plaintes déjà déposées, en ayant pour but de réveiller ces plaintes dormantes. Par la suite, ils décident de se constituer un dossier et commencent à porter plainte, une quarantaine de plainte. Leur méthode de travail est la suivante : lorsqu’ils apprennent qu’une personne en France a été accusée du génocide alors ils se rendent au Rwanda pour parler aux connaissances, aux rescapés, aux tueurs condamnés aux Gacaca qui sont sortis de prison ou ceux qui sont encore en prison. Son épouse traduit les témoignages puis ils déposent les plaintes au TGI de Paris. Ils laissent les témoignages à décharge, ne désirant pas faire le travail de l’instruction. Ils rencontrent les témoins dont un qui leur montre une lettre qui lui a été envoyé l’informant qu’il serait entendu par des juges et lui intimant quoi dire à ces juges. Cette lettre qu’ils vont transmettre au juge d’instruction. Deux jours plus tard, ce témoin sera retrouvé mort brutalement.
Possède une lettre dans laquelle l’auteur lui disait qu’il serait entendu par des juges.
Président de la Cour : Quel est votre objectif ?
Président du CPCR : Nous avons un site internet dans lequel nous publions les audiences, notre but est de poursuivre les personnes sur le territoire français accusées d’actes contre l’humanité lors du génocide du Rwanda.
Président de la Cour : Avez-vous déjà eu en refus de dossier ?
Président du CPCR : Non jamais.
Président de la Cour : Avez-vous l’impression parfois de ne pas faciliter l’affaire ? D’interférer dans l’affaire ?
Président du CPCR : Les premiers témoins entendus sont ceux qu’on a déjà mentionnés dans le dossier. Une personne s’en est plaint mais sans ce travail fourni, il n’y aurait pas eu d’instruction.
Président de la Cour : Comment vous sentez-vous de savoir que 50% des dossiers, tous confondus pas que du Rwanda, ne sont pas instruits ?
Président du CPCR : Il y a des non-lieux prononcés. Quelquefois on fait appel. Mais c’est la justice qui décide. C’est regrettable au vu du travail qu’on a fourni. Trois accusés sont morts avant d’être jugés, un pendant l’instruction et deux autres avant même l’instruction.
Président de la Cour : Avez-vous parfois envie d’abandonner ?
Président du CPCR : Oui le découragement peut s’installer mais on continue.
Président de la Cour : Quelles sont vos relations avec les autorités ?
Président du CPCR : La défense se plaint de cette proximité qui permet d’avoir des documents du parquet. Le Rwanda agit en notre faveur car il a reconnu que si nous n’étions pas là il n’y aurait pas eu tout ça.
Président de la Cour : Gardez-vous contact avec les témoins ?
Président du CPCR : Oui. Il y a des personnes qui ont peur car ceux qui étaient en prison sortent et recommencent à tuer des rescapés. On garde contact et on les tient au courant de ce qu’il se passe.
Procureur général : Le dossier ici correspond-il à celui que vous avez déposé ou y a-t-il d’autre chose ajoutée ?
Président du CPCR : L’essentiel des documents dans le dossier émane de la justice elle-même qui se rend au Rwanda pour faire son instruction.
Avocat de la défense : Trouvez-vous normale votre proximité avec le paquet ? Diriez-vous que vous êtes en collaboration ?
Président du CPCR : Nous ne sommes pas en collaboration. Nous avons des liens.
Avocat de la défense : Le parquet rwandais vous donne-t-il des tuyaux ?`
Président du CPCR : Non, la plupart du temps nous sommes bien plus informés qu’eux.
Avocat : Vous allez dans les prisons. Comment se fait-il que vous puissiez y entrer ? Ce qui est difficile pour la défense ?
Président du CPCR : Nous avons des autorisations du président de la prison qui nous le permettent.
Carla-Ylan Doualla-Esso, Étudiante en droit