Citation
L’ouverture du procès a commencé par un visionnage du documentaire « Rwanda : autopsie d’un génocide ». La marche du siècle:
https://francegenocidetutsi.org/1994-09-21MDSRwandaAutopsieDunGenocide.mp4
Suivi par la comparution du témoin : Johan Swinnen : Ex-ambassadeur de Belgique à Kigali
Le Président indique qu’il est possible pour le témoin de réaliser un propos introductif. Celui-ci étant présent en raison du pouvoir discrétionnaire du Président, il ne prêtera pas serment. En revanche il lui a demandé de s’exprimer « en toute franchise ». Après une brève présentation, de l’ex-Ambassadeur et Diplomate, une série de questions de la cour a suivi.
Avocat des parties civiles : Au début de votre exposé, vous avez indiqué que l’histoire du génocide des Tutsi manque d’objectivité. Qu’entendez-vous par cela ? Y’a-t-il un autre génocide que celui des Tutsi ? Avez-vu du mal à le reconnaitre ?
Ex-Ambassadeur : Il n’y en a eu qu’un seul celui des Tutsi. Je m’interdis de parler d’autre génocide. Pour qu’il y en ait d’autre il faudrait passer devant le juge. Je ne parle pas d’autre génocide que celui des Tutsi mais je me permets de parler d’autres crimes de guerre touchant les Hutu et les Tutsi, comme ceux du FPR. Je ne veux pas être considéré comme un négationniste je parle bien du génocide des Tutsis.
Avocat : Vous avez plusieurs fois parlé du million de déplacés. Êtes-vous plus porté sur les déplacés que les morts ? Est-ce plus important que le million de victimes ?
Ex-Ambassadeur : Je cherche à expliquer la montée de la radicalisation des positions de plus en plus polarisée, qui ont rendu l’entente des accords d’Arusha de plus en plus difficile. Je n’ai pas parlé de millions mais d’un million de personnes déplacées, chiffre reconnu, à la suite d’attaque contribuant à un sentiment de haine et la montée en radicalisation. Ce sont des ingrédients qui ont contribué à la haine mais ça n’enlève rien à mon combat pour la justice quand il s’agissait de massacres et du génocide des Tutsis qui a suivi.
Avocat : Pendant votre prise de poste au Rwanda, il y a eu deux forts massacres. Vous n’en avez pas fait état, ne pensez-vous pas que c’était un préalable au génocide ?
Ex-Ambassadeur : Ce n’est pas consciemment que j’ai voulu écarter cet épisode. Pendant une période, j’étais le seul diplomate sur place pour me rendre compte de ce qui était en train de se passer. Il y a eu tout près de Kigali un massacre qui était des représailles immédiates à l’attaque du FPR le 1er octobre 1990 qui a largement tué des Tutsi. Donc je n’ai pas d’indifférence loin de là, j’en étais très préoccupé. Président de la Cour.
L’avocat veut savoir si ces massacres n’étaient pas annonciateurs du génocide ? Il ne dit pas que vous y êtes indifférent. Que pouvez-vous en dire ?
Ex-Ambassadeur : absolument, là nos inquiétudes qu’un jour ça se rejette en une multitude de massacre. Et voilà notre démarche auprès de la cour internationale pour condamner ces agissements. Mais nous étions également là, pour les massacres commis où nous étions au courant par l’autre partie. Lors de ma visite des camps de déplacés avec le premier ministre lors de la paraphe des accords d’Arusha, j’apprenais par la radio et des personnes autour de moi que le FPR occupait et encerclait la ville de Byumba. Je me suis indigné de ces mauvaises annonces concernant l’avancement des accords d’Arusha alors que ceux-ci progressaient bien. Nous savons de cela que beaucoup de personnes ont été tuées par le FPR.
Autre avocat : Vous dites continuer de chercher des éléments justifiant d’un génocide préparé. Laissez-moi vous les énumérer et voir si cela vous fait changer d’avis. Énumération de plusieurs éléments dont les 10 commandements Hutu. Quand on réunit ces éléments, ne peut-on pas considérer que c’était un génocide préparé ?
Ex-Ambassadeur : Merci, bien sûr je continue de répéter que nous étions inquiets que ce soit à Kigali ou à Bruxelles, il y avait constamment un souci de voir dégénérer la situation et un souci de contribution par des démarches, par des accords fragiles qui doivent être appuyés et soutenus sachant que la population aspirait à la paix, la sécurité, le développement. Ces massacres étaient une invitation pour nous à continuer d’agir.
Avocat : Le premier ministre Jean Kambanda appartenait à l’aile power, que la première ministre Agathe Uwilingiyimana était de l’autre côté, que le premier ministre était plutôt modéré Faustin Twagiramungu selon vous. Est-ce qu’on peut dire que ceux qui ont participé à l’assassinat de la première ministre se sont opposés au premier ministre Twagiramungu ?
Ex-Ambassadeur : La scission du MDR était un ingrédient très important au dérapage. De notre côté entre cette scission et cette opposition, Twagiramungu modéré presque proche du FPR ayant une sympathie pour leur politique.
Le conflit était tellement grave qu’il y avait une difficile entente. Ils ne se parlaient qu’en présence de l’ambassadeur belge. On essayait de contribuer à un dialogue pour sauver la situation MDR, est-ce que ça veut dire que la première ministre a été assassinée par des gens qui étaient des gens opposés à Twagiramungu
C’était de militaires qui étaient opérationnels pour tuer. Je ne sais pas qu’elle était leur sympathie vis-à-vis de tel ou tel parti.
Autre avocat : Vous avez répété que le premier ministre s’était radicalisé et avait la haine contre les Tutsi. Saviez-vous que Jean Kambanda était ami avec l’accusé ?
Ex-Ambassadeur : Je ne les connais pas, je ne connaissais par leur relation. J’ai rencontré Jean Kambanda une fois au Rwanda.
Avocat : Donc vous ne le connaissiez pas ?
Ex-Ambassadeur : J’ai rencontré le docteur Munyemana une fois lors de la première instance.
Autre avocat : Vous nous avez signalé qu’il y a eu un simulacre de l’attaque la nuit du 4 octobre 1990 ? Qui a organisé ce simulacre selon vous ?
Ex-Ambassadeur : Ce n’était pas clair tout de suite. Nous avons cru un moment que l’ennemi attaquait et était arrivé depuis l’Uganda à Kigali. Cela était pour justifier les razias ce qui se sont passés le lendemain matin. Il y a eu une longue période détention, je partais dans des prisons pour intimider, pour sanctionner la population et propager le message que le pays était en danger.
Président de la Cour : Qui a organisé ce simulacre selon vous ?
Ex-Ambassadeur : Je pense qu’il faut une implication au plus haut niveau pour pouvoir organiser ce genre de chose. Le président voulait cela je pense.
Autre avocat : Dès le lendemain, vous avez dit qu’on arrête de 8000 personnes dans tout le pays, pour vous cela peut se faire sans préparation ?
Ex-Ambassadeur : Cela m’amène à parler du chef militaire Rwigema, mort deux jours après l’’attaque. Ceci n’était pas une rumeur fortement répandue mais des gens pensaient qu’il avait déjà un accord avec le président qui n’arrivait pas à convaincre ses ministres et d’autres autorités concernant les réfugiés qui voulaient rentrer au pays.
Habyarimana estimait qu’il fallait laisser rentrer les réfugiés, il ne parvient pas à sensibiliser.
Il y a une entente entre Rwigema, le FPR et Habyarimana à une attaque qui sera un avertissement, parce qu’ils avaient convenu ce que s’en suivrait un accord politique rapide avec partage du pouvoir.
Le 4 octobre, je pense qu’on savait que Rwigema n’y était plus et que Kagame avait pris la succession. Organiser des razias n’est peut-être pas si difficile que ça.
S’il y a eu un accord préalable entre Rwigema et Habyarimana, on peut soupçonner qu’au moindre dérapage le pouvoir politique militaire judiciaire était également prêt pour riposter face à la situation.
Avocat : Comment l’assassinat des casques belges a eu lieu ? Qui l’a fait ? On accuse les casques bleus d’avoir assassiné les deux présidents (Rwandais et Burundais). N’est-ce pas un autre montage ?
Ex-Ambassadeur : Dans la nuit du 6 au 7avril on disait qu’à Butare se rependait une rumeur selon laquelle les Belges auraient assassiné le président. Parmi la population, il y avait une frustration, animosité anti belge. Lorsque la première ministre escortée pour faire son appel au calme, je l’avais encouragée à faire l’appel au calme.
Avocat : Vous avez dit que le peuple a vengé son président, était-il tant aimé que tout le peuple s’est levé pour tuer les Tutsi ?
Ex-Ambassadeur : Oui, cet attentat a déclenché le génocide, il en faut un attentat pour déclencher une hystérie et une terreur de ce genre. Le peuple s’est donc vengé en quelque sorte.
Autre avocat : Je suis confus car j’avais cru comprendre à vos réponses qui tendaient à dire que vous croyez au génocide. D’autre part, vous avez dit que vous disposiez d’assez d’éléments démontrant que le génocide était en cours de préparation. Vous ai-je bien compris ? Ex-Ambassadeur : Les éléments concordant pour avoir peur d’une déstabilisation tragique, multiplication de massacre. Génocide avec une intention oui mais avec un plan je ne sais pas. Ne signifie pas que les victimes seront celles d’un génocide. Organisation avec structure et tout le bazar pour ça il faut des preuves et jusqu’à présent le TPIR n’a pas réussi à prouver qu’il y avait un plan avec pré détermination. Le colonel Bagosora n’a été condamné pour l’organisation d’un génocide.
Avocat : Quand vous dites ça vous n’êtes donc plus d’accord avec votre discours d’hier ? Le rapport du Sénat belge de la commission d’enquête sur le gouvernement du Rwanda se base sur les documents que vous avez signés, les éléments dont disposait la Belgique concernant la planification du génocide. Ont été identifiés19 documents avec plan machiavélique. On arrive à la conclusion d’assez d’éléments pour un génocide. Vous dites recevoir de l’état-major d’extermination des Tutsi. Comment aujourd’hui vous doutez de cette planification alors que vous avez un document d’état-major qui en parle ?
Ex-Ambassadeur : C’est ce à quoi j’ai fait allusion ce matin, ce document a donné lieu à un grave incident au Sénat belge. Un sénateur a glissé ce tract qui était l’annexe d’un fax. Ce texte n’est pas mon texte il a été glissé dans mon explication par un des membres sénatoriaux.
Avocat : Sénateur a glissé un tract étant l’annexe d’un fax envoyé à la première ministre ?
Ex-Ambassadeur : Je reçois ce tract qui parle d’extermination, ce n’est pas mon texte mais un texte de ce sénateur, un tract unanime parlant d’état-major qui prépare un plan d’extermination disant qui pourrait éventuellement être responsable ou visé. Le sénateur a coupé ma page de couverture et y a collé ce tract
Président de la Cour : Vous niez en être l’auteur ?
Ex-Ambassadeur : Oui, le sénateur de l’opposition voulait incriminer ce gouvernement en disant qu’il ne suivait pas son ambassadeur.
Avocat : Votre vérité différente de la vérité de votre pays m’étonne, j’ai un document de votre commentaire. Expliquez-nous comment ce document est faux ?
Président de la Cour : Donnez-lui la pièce, Est-ce le même document que votre commentaire ?
Ex-Ambassadeur : Oui, c’est le même.
Président de la Cour : Pourquoi vous l’appeler un tract ?
Ex-Ambassadeur : La première page est un fax diplomatique mais la deuxième page est le tract. Birara a donné ce tract mais je ne sais pas qui a rédigé ce tract.
Président de la Cour : Quand on ouvre la première page c’est un fax diplomatique de l’ambassade mais quand on tourne sur la deuxième page c’est le tract, ce n’est pas vous ?
Ex-Ambassadeur : Oui.
Avocat : Vous interrogez sur l’attentat du président Habyarimana, sur le crash de l’avion. Vous avez dit que vous aimeriez que le président du Rwanda accepte une enquête internationale. Vous devez savoir que la justice française a déjà enquêté là-dessus. Doutez-vous de la justice française ? Pensez-vous qu’il y a besoin d’une autre enquête ?
Ex-Ambassadeur : Dans d’autre circonstance généralement il y a une enquête internationale. Je ne conteste pas, ce que je dis est qu’il y a moins de contestation lorsqu’il y a une enquête internationale.
Avocat : En 2000, le premier ministre belge a prononcé discours officiel où il a reconnu la responsabilité de la Belgique dans le génocide et a présenté des excuses. Reconnaissez-vous la responsabilité ?
Ex-Ambassadeur : Oui, il y a de la responsabilité de part et d’autre. Il y a aussi d’autres responsables. En effet, il y a eu des défaillances, je dis qu’il faut assumer. Oui, if faut assumer et regretter mais présenter des excuses en se limitant à des excuses, parce que nous sommes partis comme des lâches. Il faut le dire, la Belgique n’a pas à rougir, elle peut assumer qu’elle n’a pas été à la hauteur. Mais la Belgique a déployé, manifesté de à plusieurs reprises son engagement pour la paix et contre les forces négatives qui allait peut-être déclencher une déstabilisation tragique.
Avocat : Vous avez dit qu’on vous accuse de négationnisme, vous avez été témoin l’année dernière dans un procès de Charles Onana, j’aimerai vous lire un passage du livre de Charles Onana qui indique » que personne ne nie la réalité des millions de victimes Tutsi, hutu et Twa du Rwanda mais celle du génocide l’unique tentative d’explication est une aberration »
Ex-Ambassadeur : J’ai été appelé en témoin de la défense, je ne défends pas l’ensemble de sa position sur le génocide. Je ne l’aurai pas dit de façon aussi directe mais plutôt sous la forme interrogative.
Avocat : Vous avez, il y a une semaine un article sur le Rwanda en résumé, un blog apporte sa réponse et dit que votre article est un prolongement du colonialisme.
Ex-Ambassadeur : Je n’ai aucune volonté de perpétuer le colonialisme. J’ai dit que si on voulait vraiment faire une grande fête du sport au Rwanda, il faudrait que ce soit à un moment où les conditions s’y prêtent, qui ne servent pas uniquement à camoufler ce qui se passe avec le pays voisin le Congo. C’est une manifestation de la souveraineté des pays qui sont épris d’ambition.
Procureur général : Décririez-vous le Rwanda comme un pays organisé ?
Ex-Ambassadeur : Oui, c’est un pays discipliné, avec des fonctionnaires dévoués. Possédant une infrastructure déjà existante au 6 avril 94.
Procureur général : il existe des décisions qui prennent la forme d’arrêté. Pour vous manque-t-il un décret organisant le génocide des Tutsi ? Est-ce la preuve d’un génocide organisé ? Est-ce ce qui empêche la reconnaissance de ce génocide ?
Ex-Ambassadeur : Un jour on trouvera peut–être ce type de preuve ou de contre preuve
Procureur général : Est-ce forcément un planning ? Un plan concerté mis sur papier ?
Ex-Ambassadeur : Pas forcément couché sur papier. L’Afrique peut s’organiser sans coucher les choses sur papier.
Procureur général : Au vu du discours du président, j’imagine que la parole du pays a une importance capitale pour un ambassadeur ? Ex-Ambassadeur : Oui
Procureur général : Alors comment vous sentez-vous d’entendre le président dire que les accords d’Arusha étaient qu’un bout de papier ?
Ex-Ambassadeur : J’ai interrogé le président qui m’a dit que de temps en temps il faut amadouer l’entourage, dire des choses qui les calme et de ne pas de malinterpréterce qu’il a voulu dire, qu’aussi longtemps que c’est du parier et pas de la mise en pratique, il ne faut pas se contenter d’un morceau de papier.
Avocat de la défense : Selon vous, le premier problème est celui des réfugiés ? Était-ce une pierre d’achoppement ?
Ex-Ambassadeur : Oui c’était le problème majeur, il y avait une attente importante de voir ce problème se débloquer. Le retour des réfugiés était un des protocoles les plus importants des accords d’Arusha.
Avocat : Quand se sont arrêtées les négociations sur les réfugiés ?
Ex-Ambassadeur : Le chapitre s’est clôturé début printemps 93
Avocat : Croyez-vous que si ces accords avaient été conclus on aurait pu éviter le génocide ?
Ex-Ambassadeur : Oui cela aurait pu atténuer, soulager l’atmosphère. Cela va parfois va de pair avec un massacre. Protocole qui aurait libéré les esprits mais ne peut dire que ça aurait été libérateur.
Avocat : Pouvez-vous nous parler des partis et de leur particularité lorsque le multipartisme s’instaure ? Explication par l’Ex-Ambassadeur des différents partis créés à la suite du multipartisme ainsi que leur particularité : MRND, MDR, MDR: [PARMEHUTU], PSD, PL, PDC, CDR, d’autres partis.
Avocat : Ce multipartisme a-t-il causé des violences, des troubles ?
Ex-Ambassadeur : Oui ça en a causé notamment du harcèlement.
Avocat : Sans cette mort du président dans le crash d’avion le génocide aurait-il été évité ?
Ex-Ambassadeur : Possiblement.
Carla-Ylan Doualla-Esso, Étudiante en droit