Michel Bussi revient avec un nouveau livre.
Les ombres du monde, sorti le 14 août, place l’action de son roman au sein du Rwanda, notamment au moment du génocide de la minorité Tutsi en 1994.
L’histoire se déroule sur plusieurs temporalités, entre octobre 1990 et fin 2024, et raconte le destin tragique d’un capitaine de l’armée française qui rencontre une jeune femme rwandaise. Ils auront une fille ensemble mais le génocide viendra obscurcir leur horizon, comme celui de millions de personnes. Près de 30 ans plus tard, la fille, le père et la petite fille retournent au Rwanda et se font rattraper par l’histoire.
Né le 29 avril 1965 à Louviers, Michel Bussi conserve avec la cité drapière un lien fort. Il revient toujours avec plaisir dans cette ville et sera d’ailleurs présent pour une séance de dédicaces à la librairie
Quai des mots ce mercredi 17 septembre 2025 à 18 h.
Il accorde cette interview à
La Dépêche de Louviers, l’occasion de parler des
Ombres du monde et des conditions d’écriture de son 27
e roman, nettement plus politique que les autres…
Notre avis sur le livre
Les ombres du monde est un roman addictif. Ouvrez-le, et vous ne le lâcherez plus ! La petite histoire de ses personnages, pleins d’humanité, percute la grande et dramatique histoire du Rwanda avant, pendant et après le génocide qui a duré du 7 avril au 17 juillet 1994. Il s’agit de l’un des trois génocides reconnus par l’ONU, après celui des Arméniens commis par l’Empire ottoman en 1915 et 1916 et celui contre les Juifs commis par les nazis entre de 1941 et 1945.
Dans son livre, Michel Bussi manie le suspense, ajoute des touches de romans d’espionnage et de complot d’État, tout en racontant, via ses personnages, le contexte de ce génocide, les raisons qui ont conduit à ce drame, les relations entre la minorité Tutsi et la majorité Hutu, l’implication du gouvernement français de l’époque, sous la présidence de François Mitterrand. Le livre est tout autant pédagogique que divertissant.
On y plonge en (re)découvrant atterré l’étendue des massacres et de l’horreur qui a commencé en ce maudit mois d’avril. Puis on s’y laisse porter en mesurant au fil des pages la compromission de l’État français dans ce drame.
On referme ce livre avec un sentiment d’injustice profond vis-à-vis des événements de l’histoire, mais aussi avec l’impression d’avoir vécu ce drame avec ses personnages. Ça ne laisse pas indifférent.
Attention toutefois : ce n’est pas un roman léger, que l’on lit que pour se détendre. Âmes sensibles, soyez prévenues ! L’horreur de la fiction ne dépasse pas celle de la réalité, mais elle s’en rapproche.
Comment vous est venue l’idée, ou l’envie, d’écrire un livre sur le Rwanda ?
Tout a commencé en 1994, l’année du génocide au Rwanda. J’étais alors professeur de géographie politique à l’université de Rouen. J’ai commencé à m’intéresser à ce sujet dès ce moment. J’ai notamment fait des recherches sur la démocratie en Afrique. Ce drame était assez mal traité en France. Et l’idée s’est imposée de raconter l’histoire du Rwanda, au moment du génocide, à travers l’histoire d’amour d’un militaire français et d’une femme militante rwandaise. C’était quand je suis devenu écrivain, il y a une vingtaine d’années. J’ai d’abord construit la trame scénaristique dans ma tête, puis je suis allé au Rwanda il y a deux ans. J’ai demandé au journaliste Patrick de Saint-Exupéry, qui avait couvert le génocide, de m’accompagner. Il a gentiment accepté et j’ai pu rencontrer des rescapés, visiter les lieux de mémoire avec lui, ce qui m’a permis de faire ce roman.
Pourquoi avoir construit ce récit comme un thriller ?
Très tôt, j’ai eu cette idée du thriller, car c’est ce que j’aime faire. Un peu comme il y a des thrillers ou des romans très forts sur la Shoah, je voulais creuser le sujet du Rwanda en y mettant du suspense. Mon souhait était de mélanger le thriller, pour que les gens qui aiment les « page-turner » avec des rebondissements permanents s’y retrouvent et ne s’ennuient pas, mais de le structurer sur un fond historique réel. Je n’invente rien dans ce livre. Il y avait un autre aspect que je voulais explorer. Celui du mystère qui existe encore autour des missiles lancés contre l’avion du président rwandais [N.D.L.R. : le 6 avril 1994, un missile abat l’avion qui transportait notamment les présidents du Rwanda et du Burundi, Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira. Cet attentat, jamais élucidé, a été le déclenchement du génocide.]. À force de me documenter sur ce sujet, j’ai découvert qu’il y avait largement matière à en tirer des éléments de roman d’espionnage, qui est un autre volet des
Ombres du monde. Autant, le génocide est relativement connu par les gens, autant l’histoire qui entoure cet attentat et la boîte noire de cet avion reste un mystère. La responsabilité de la France dans ce génocide est aujourd’hui établie, mais à mon avis l’affaire de l’attentat relève d’un scandale d’État. J’assume donc d’avoir écrit ce roman comme un thriller, même s’il aurait été plus simple d’en faire une fresque historique.
30 années nous séparent de ce génocide. Était-ce un livre que vous auriez aimé écrire avant ?
Non, je pense que ce n’était pas possible. Il fallait le temps de la mémoire. Je pense que ce livre peut être aujourd’hui reçu en France car 30 années ont passé. Les premières fictions sur les camps de concentration sont arrivées dans les années 1970. Avant, c’était le temps des témoignages, comme cela a été le cas pour le Rwanda. Il était nécessaire d’avoir ce processus, notamment parce que les acteurs de ce drame ne sont aujourd’hui plus aux affaires.
Au fil des années, il y a eu aussi un brouillage très fort, notamment autour de l’idée du double génocide [N.D.L.R. : théorie jugée révisionniste qui prétend, comme le soutien notamment Hubert Védrine, ancien proche du président François Mitterrand, que le Rwanda aurait connu un « double génocide » en 1994, l’un envers les Tutsis, l’autre envers les Hutus réfugiés en République démocratique du Congo]. Aujourd’hui, le travail des historiens a permis d’établir les choses, même s’il reste ici ou là des résistances. C’est aussi pour ces raisons que j’ai fait ce livre comme un thriller. Je fais souvent la comparaison avec le film
La vie est belle, de Roberto Benigni. Il a décidé de traiter les camps de concentration avec une comédie. Moi, je fais un peu la même chose, mais avec mes propres armes : le twist, le thriller, les révélations, etc. Je suis convaincu que la fiction permet d’éclairer le réel, de faire un devoir de mémoire, avec toute la pudeur nécessaire et l’exigence historique qui s’impose. Et en tant qu’auteur français, je me sentais légitime à écrire sur l’implication de la France dans ce génocide.
Le roman parle d’un sujet lourd. Ce n’est donc pas un livre léger d’été…
C’est aussi pour ça que
Les ombres du monde est sorti pour la rentrée littéraire. Mon dernier roman datait d’octobre 2024 [N.D.L.R. :
Les Assassins de l’aube], celui-ci aurait donc dû sortir au printemps. Mais quand mon éditeur l’a lu, il m’a dit qu’il avait plus sa place à la rentrée littéraire. Néanmoins, je crois que la littérature populaire passe outre ce genre de considération. Les gens qui lisent ont autant envie de lire des choses légères que de grands récits qui les font frissonner. Je ne pense pas que mon lectorat populaire ait des réticences à lire des choses dramatiques.
On sent dans ce livre, notamment dans ses descriptions, un amour pour le pays des mille collines. Qu’avez-vous pensé du Rwanda lors de votre visite ?
C’est un pays absolument magnifique. On m’avait prévenu, mais c’est un pays follement attachant. Il est très petit, environ la taille d’un département français. On peut aller voir les gorilles dans les montagnes et deux heures après on est à Kigali. On y circule très facilement. Ce pays des mille collines, au relief et au climat très doux, est surpeuplé. On y voit des champs verts de thé ou de café avec des gens qui travaillent partout. Avant les années 1990, c’était un peu le pays modèle de l’Afrique. Ma visite du Rwanda a été une expérience assez incroyable, de beauté, de joie, et de ce drame. Il y a aussi un côté un peu voyeuriste d’avoir ces ossuaires un peu partout, comme sites mémoriaux du génocide. En le visitant et en connaissant son histoire, on a beaucoup de mal à comprendre comment un pays si joyeux, qui semble aussi résilient, a pu vivre un tel drame.
Quelles ont été les autres œuvres sur le Rwanda qui vous ont inspiré ?
Il y a évidemment Gaël Faye, que j’ai rencontré [N.D.L.R. : c’est un rappeur, chanteur, auteur-compositeur-interprète et écrivain franco-rwandais, né le 6 août 1982 au Burundi, qui a notamment signé deux livres acclamés par la critique,
Petit Pays (en 2016) et
Jacaranda (en 2024)]. Je pense aussi à Scholastique Mukasonga, écrivaine franco-rwandaise qui vit en Normandie, avec ses livres
Inyenzi ou les Cafards ainsi que
Notre-Dame du Nil. Jean Hatzfeld m’a également beaucoup inspiré. Et l’historienne-chercheuse Hélène Dumas, qui a beaucoup travaillé sur les tribunaux populaires au Rwanda, a relu mon roman pour s’assurer que les faits qui y sont décrits sont justes sur le plan historique. Je dirais qu’il y a aussi le documentaire
J’ai serré la main du diable – Le Retour de Roméo Dallaire au Rwanda.
Envisagez-vous de vous emparer d’autres faits historiques marquants pour les utiliser comme cadre de prochains livres ?
Pour l’instant, je ne me pose pas de question comme ça. J’ai toujours eu envie d’explorer des genres littéraires différents. J’ai fait une saga pour ado [N.E.O], des thrillers policiers, et là j’avais envie d’écrire un récit plus engagé.
Les ombres du monde, c’est le roman que je rêvais d’écrire un jour. Là, j’ai d’autres manuscrits en attente, complètement différents, toujours dans un genre de policier, de suspense. Je m’ennuierais prodigieusement si je devais reproduire constamment les mêmes schémas. Donc, non, je n’ai pas dans mon tiroir des romans sur l’Algérie ou l’Indochine.
Quels sont les premiers retours sur ce dernier livre ?
Les retours que j’ai pour le moment sont extraordinaires. Cela n’avait jamais été aussi fort, aussi enthousiaste. Sur le site Babelio, les gens disent qu’ils ressortent bouleversés de ce roman. C’est ce que j’espérais. Je voulais embarquer mes lecteurs dans ce récit à travers une histoire récente méconnue. D’ailleurs, beaucoup de lecteurs et lectrices disent qu’après
Les ombres du monde, ils se sont aperçus qu’ils ne connaissaient rien au Rwanda.
Avez-vous eu des retours de Rwandais au sujet du livre ?
Pas encore sur la version finale. Je les ai eus quand j’ai travaillé le roman. Scholastique Mukasonga m’a contacté, et on doit s’appeler. Mais j’attends avec impatience les retours et avis des Rwandais ou franco-rwandais. Et comme le pays est aujourd’hui majoritairement anglophone, j’ai peu de doute sur le fait que mon livre sera traduit pour qu’il puisse être diffusé aussi au Rwanda.
Séance de dédicace de Michel Bussi à l’occasion de la sortie récente de son dernier roman, « Les ombres du monde ». Rendez-vous à la librairie Quai des Mots (16, rue du Matrey, à Louviers) le mercredi 17 septembre 2025.