Fiche du document numéro 35229

Num
35229
Date
Jeudi 17 juillet 2025
Amj
Taille
103239
Titre
Jugement n° 209414/5-1, M. Marc Bouchage [Rejet du recours de Marc Bouchage visant à faire annuler la décision par laquelle le ministre des Armées lui a refusé l'autorisation de consulter de manière anticipée 14 cotes d'archives publiques appartenant au fonds d'archives militaires sur le Rwanda et le génocide des Tutsi et conservées au Service historique de la défense]
Nom cité
Source
Type
Jugement d'un tribunal
Langue
FR
Citation
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PARIS
N° 2209414/5-1
___________
M. Marc BOUCHAGE
___________
Mme Lamarche
Rapporteure
___________

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le tribunal administratif de Paris
(5ème section – 1ère chambre)

Mme Kanté
Rapporteure public
___________
Audience du 3 juillet 2025
Décision du 17 juillet 2025
___________
C
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 24 avril 2022 et les 23 octobre et
28 novembre 2024, M. Marc Bouchage demande au tribunal :
1°) d’annuler les décisions des 4 et 5 août 2021 par lesquelles le ministre des armées a
rejeté sa demande d’accès à quatorze (14) cotes d’archives publiques appartenant au fonds
d’archives militaires sur le Rwanda et le génocide des Tutsis, conservées au service historique de
la défense (SHD) ;
2°) d’enjoindre au ministre des armées de faire droit à sa demande, à l’exception de la
cote numérotée AI G32453 et de mettre en place une procédure concrète permettant une
utilisation réelle de ces cotes aux fins de recherche et de documentation.
Il soutient que :
- les refus opposés par le ministre des armées méconnaissent l’article 15 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et portent une atteinte disproportionnée à sa
liberté d’expression telle que protégée par les stipulations de l’article 10 de la convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
- ils entrent en contradiction avec les conclusions prononcées par la rapporteure
publique dans la décision rendue par l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat le 12 juin
2020 sous les numéros n° 422327 et 4301026 ;
- la commission d'accès aux documents administratifs (CADA) a reconnu l’intérêt
légitime de sa demande de consultation anticipée mais n’a pas pris la mesure de l’intérêt de sa
demande ;
- le ministre des armées oppose de manière abusive le motif tiré de l’ « atteinte
excessive aux intérêts protégés par la loi ».

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Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 octobre et 14 novembre 2024, le
ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés ;
- la demande de consultation anticipée du requérant présente un caractère abusif au sens
des dispositions de l’article L. 311-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales ;
- le code du patrimoine ;
- le code des relations entre le public et l’administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de Mme Lamarche, première conseillère,
- les conclusions de Mme Kanté, rapporteure publique,
- les observations orales de M. Bouchage,
- et les observations de Mme Potin, pour le ministre des armées.
Une note en délibéré, présentée par M. Bouchage, a été enregistrée le 3 juillet 2025.
Considérant ce qui suit :
1. M. Marc Bouchage a sollicité, le 22 février 2021, l’autorisation de consulter de
manière anticipée quatorze (14) cotes d’archives publiques appartenant au fonds d’archives
militaires sur le Rwanda et le génocide des Tutsis auprès du service historique de la défense
(SHD). Le silence gardé par le ministre des armées sur cette demande à fait naître une décision
implicite de rejet le 22 mars suivant. Par deux courriers datés des 4 et 5 août 2021, le ministre
des armées a expressément confirmé son refus. M. Bouchage a saisi la commission d’accès aux
documents administratifs (CADA) par un courrier enregistré à son secrétariat le 28 septembre
2021. La commission a émis un avis défavorable à la demande de consultation anticipée
présentée par le requérant le 17 février 2022. Le silence gardé par l’administration pendant deux
mois à compter de l’enregistrement de la demande de M. Bouchage par la CADA a fait naître
une nouvelle décision implicite de refus en application des dispositions de l’article R. 343-5 du
code des relations entre le public et l’administration. Par sa requête, M. Bouchage doit être
regardé comme sollicitant l’annulation de cette dernière décision.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
2. Aux termes de l’article L. 213-1 du code du patrimoine : « Les archives publiques
sont, sous réserve des dispositions de l'article L. 213-2, communicables de plein droit. ».

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L’article L. 213-2 du même code précise : « Par dérogation aux dispositions de l'article
L. 213-1 : / I. Les archives publiques sont communicables de plein droit à l'expiration d'un délai
de : / (…) 3° Cinquante ans à compter de la date du document ou du document le plus récent
inclus dans le dossier, pour les documents dont la communication porte atteinte au secret de la
défense nationale, et qui ont pour ce motif fait l'objet d'une mesure de classification mentionnée
à l'article 413-9 du code pénal, ou porte atteinte (…) à la sécurité des personnes ou à la
protection de la vie privée, à l'exception des documents mentionnés aux 4° et 5° du présent I.
(…) / 5° Cent ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le
dossier, (…) / Les mêmes délais s'appliquent aux documents dont la communication est de nature
à porter atteinte à la sécurité de personnes nommément désignées ou facilement identifiables
impliquées dans des activités de renseignement, que ces documents aient fait ou ne fassent pas
l'objet d'une mesure de classification. (…) ». Aux termes de l’article L. 213-3 de ce code :
« I. L'autorisation de consultation de documents d'archives publiques avant l'expiration des
délais fixés au I de l'article L. 213-2 peut être accordée aux personnes qui en font la demande
dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à
porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. (…) l'autorisation est
accordée par l'administration des archives aux personnes qui en font la demande après accord
de l'autorité dont émanent les documents. (…) ». Enfin, l’article R. 213-11 du code du
patrimoine prévoit que : « Toute demande de dérogation aux conditions de communication des
archives de la défense est soumise : / 1° Au Premier ministre, en ce qui concerne les archives
provenant du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale ; / 2° Au ministre de la
défense, en ce qui concerne les autres archives. / (…). / L'accord de l'autorité dont émanent les
documents, mentionné à l'article L. 213-3, est donné par le Premier ministre en ce qui concerne
les fonds d'archives publiques provenant du secrétariat général de la défense et de la sécurité
nationale, par le ministre de la défense en ce qui concerne les autres fonds. »
3. En application de ces dispositions, l'autorisation de consultation anticipée des
documents d'archives publiques est accordée aux personnes qui en font la demande dans la
mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une
atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Il appartient au juge de l’excès de
pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de contrôler la régularité et le bien-fondé d’une décision de
refus de consultation anticipée d’archives de la défense prise par le ministre des armées. Il lui
revient, en particulier, d’exercer un entier contrôle sur l’appréciation portée, dans le cadre de la
mise en œuvre des dispositions de l’article L. 213-3 du code du patrimoine, sur la
proportionnalité de la limitation qu’apporte à l’exercice du droit d’accès aux documents
d’archives publiques le refus opposé à une demande de consultation anticipée, par dérogation
aux délais fixés par la loi. Pour ce faire, par exception au principe selon lequel le juge de l’excès
de pouvoir apprécie la légalité d'un acte administratif à la date de son édiction, il appartient au
juge, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l’écoulement
du temps et l’évolution des circonstances de droit et de fait afin de conférer un effet pleinement
utile à son intervention, de se placer à la date à laquelle il statue.
4. L’intérêt légitime du demandeur doit être apprécié au vu de la démarche qu’il
entreprend et du but qu’il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d’archives publiques,
de la nature des documents en cause et des informations qu’ils comportent. Les risques qui
doivent être mis en balance sont ceux d’une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi, en
particulier le secret de la défense nationale, la sûreté de l'Etat, la sécurité publique, la sécurité des
personnes et la protection de la vie privée. La pesée de l’un et des autres s’effectue en tenant
compte notamment de l’effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l’écoulement du
temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l’objet d’une
autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics.

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5. En l’espèce, la demande de consultation anticipée formulée par M. Bouchage porte sur
quatorze (14) cotes d’archives publiques appartenant au fonds d’archives militaires sur le
Rwanda et le génocide des Tutsis conservées au service historique de la défense (SHD).
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. Bouchage est un journaliste
indépendant qui collabore avec plusieurs médias tels qu’Euronews, France 24, France
Télévisions ou encore Mediapart. En 2014, il a notamment co-réalisé une enquête intitulée
« L’Orphelinat Sainte-Agathe et son chauffeur. Une évacuation française » pour le magazine
Causette. La demande de consultation anticipée d’archives publiques qu’il a présentée s’inscrit
dans la préparation d’un article retraçant l’histoire de l’évacuation, par les forces militaires
françaises, de l’orphelinat Saint-Agathe de Masaka (Rwanda) dans le cadre de l’opération
« Amaryllis » du 8 au 14 avril 1994.
7. En second lieu, il ressort tant des écritures du ministre des armées en défense que de
l’inventaire des différents fonds d’archives relatifs au Rwanda et au génocide des Tutsis,
notamment rendu public le 7 avril 2021 par la Commission de recherche sur les archives
françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi (1990-1994) présidée par M. Vincent
Duclert sous la forme d’un « État des sources dans les fonds d’archives français pour la
recherche sur la France au Rwanda et le génocide des Tutsis (1990-1994) » librement accessible
sur le site internet vie-publique.fr, que l’intégralité des cotes sollicitées par M. Bouchage
comprennent des documents couverts par le secret de la défense nationale, alors classifiés au
niveau « confidentiel défense ». Par ailleurs, il ressort du libellé des dossiers contenus dans ces
cotes que les documents en cause sont susceptibles de comporter des informations sensibles se
rapportant à la vie privée de personnels toujours en vie ou de nature à compromettre leur
sécurité.
8. Eu égard, d’une part, aux informations contenues dans les documents en litige et,
d’autre part, au but poursuivi par M. Bouchage dont les travaux s’inscrivent, à la suite de
plusieurs articles documentés qu’il a déjà rédigés sur le rôle exact de la France au Rwanda, dans
une finalité de recherche journalistique et d’information du public, sa demande présente, au
regard de la liberté de recevoir et de communiquer des informations et des idées pour nourrir les
recherches historiques et le débat sur un événement se rapportant à une période de l’histoire dont
l’étude est encouragée par les pouvoirs publics, un intérêt légitime alors même qu’il n’est ni
historien ni chercheur.
9. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point 7 que les archives en litige sont
majoritairement classifiées et susceptibles de comporter des informations de nature à
compromettre la sécurité ou la vie privée de personnes. En outre, d’une part, le ministre des
armées indique que de nombreux documents comportent des informations relatives aux
procédures opérationnelles ou aux capacités techniques des forces armées françaises ou des
services de renseignement toujours en vigueur aujourd’hui ainsi que des informations sensibles
susceptibles de compromettre la sécurité d’agents encore en vie. D’autre part, il ne ressort
d’aucune des pièces du dossier que la consultation anticipée des archives en litige ait déjà été
autorisée ni que tout ou partie des informations qu’elles contiennent aient été rendues publiques.
S’il est constant que les membres de la commission dite « Duclert » ont pu y accéder dans leur
cadre de la mission qui leur avait été confiée par le Président de la République le 5 avril 2019, ce
n’est qu’après avoir bénéficié d’une décision d’habilitation à connaître des informations et
supports classifiés.

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10. Ainsi, au terme de la mise en balance des intérêts en présence, il apparaît, à la date de
la présente décision, eu égard à la nature et à l’objet des documents litigieux et aux informations
qu’ils comportent, que l’intérêt qui s'attache à la consultation de ces documents, qui concernent
une intervention militaire française précise de la guerre civile au Rwanda, conduirait à porter une
atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Par suite, le ministre des armées était
fondé à refuser de faire droit à la demande de consultation anticipée des quatorze (14) cotes
d’archives présentée par le requérant. Les moyens tirés de la méconnaissance de l’article 15 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de l’article 10 de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article L.213-3 du code
du patrimoine ne peuvent, dès lors, qu’être écartés.
11. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que les conclusions à fin d’annulation
présentées par M. Bouchage doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
12. Le présent jugement, qui rejette les conclusions à fin d’annulation présentées par le
requérant, n’appelle, par lui-même, aucune mesure d’exécution. Par suite, les conclusions à fin
d’injonction doivent être rejetées.

DECIDE:

Article 1er : La requête de M. Bouchage est rejetée.

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Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. Marc Bouchage et au ministre des
armées.
Délibéré après l'audience du 3 juillet 2025 à laquelle siégeaient :
M. Davesne, président,
Mme Lamarche, première conseillère,
M. Tanzarella Hartmann, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juillet 2025.
La rapporteure,

Le président,

M. Lamarche

S. Davesne

La greffière,

V. Lagrède
La République mande et ordonne au ministre des armées, en ce qui le concerne ou à tous
commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les
parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024