Fiche du document numéro 35093

Num
35093
Date
Mardi 20 mai 2025
Amj
Taille
1708900
Titre
Génocide des Tutsi au Rwanda : les juges ne donnent pas suite à la plainte déposée par deux Rémois contre Agathe Habyarimana
Sous titre
En 2007, le collectif des parties civiles pour le Rwanda fondé par les Rémois Dafroza et Alain Gauthier déposait plainte contre Agathe Kanziga-Habyarimana, épouse du président rwandais assassiné, pour "complicité de génocide et de crime contre l'humanité". Ce 21 mai 2025, une audience devait statuer sur sa possible mise en examen... mais les juges en ont décidé autrement.
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FR
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Alain Gauthier, co-fondateur du CPCR, a déposé plainte contre Agathe Habyarimana en 2007. • © Isabelle Forboteaux - France Télévisions

L'audience prévue ce mercredi 21 mai était attendue de longue date par Alain et Dafroza Gauthier, les fondateurs du collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR). "Etait" car la juge du pôle crimes contre l'humanité du tribunal judiciaire de Paris en charge du dossier, a rendu, vendredi 16 mai dernier ses conclusions, révélées ce 19 mai par l'AFP : "Les investigations visant Agathe Habyarimana pour son éventuel rôle lors du génocide des Tutsi en 1994 sont closes, sans que la veuve de l'ancien président rwandais n'ait été mise en examen (...) Placée depuis 2016 sous le statut intermédiaire de témoin assisté, Agathe Habyarimana échappe, à ce stade, à un procès".

Alain Gauthier, rencontré quelques heures avant la publication de la dépêche AFP, se voulait déjà très prudent : "Je suis pour l’instant très réservé. Je vis d’espoir mais le doute est bien inscrit au fond de moi". Des doutes qui se concrétisent.

Une attente longue de 17 ans



En février 2007, le collectif des parties civiles pour le Rwanda porte plainte pour complicité de génocide et de crime contre l'humanité à l'encontre d'Agathe Kanziga-Habyarimana, femme du président rwandais, Juvénal Habyarimana, assassiné le 6 avril 1994. Au lendemain de cette mort, le génocide des Tutsi débute.

"Je pense, avec beaucoup d’autres d’ailleurs, qu’elle a joué un rôle beaucoup plus important que celui qu’elle s’attribue elle-même, explique Alain Gauthier. Elle se présente comme une femme qui s’occupe de son ménage, de ses poules, de ses cochons. J’ai quand même rencontré un témoin qui m’a convoqué, un vieux commerçant Rwandais qui habite Dijon, et qui m’a dépeint Mme Habyarimana comme étant véritablement une femme de pouvoir. C’est elle qui dirigeait pratiquement son mari." Et de relater : "Il m’a laissé entendre que, pour rencontrer Juvénal Habyarimana, il fallait toujours passer par elle. Elle était d’une lignée et d’une famille très connue au Rwanda, qui avait la réputation de gouverner à la fois le système politique et financier".

La plainte déposée par le CPCR est étayée, le dossier épais. Mais depuis dix-sept ans, la justice est restée muette.

"Elle était très proche, comme certains de ses frères et cousins, des extrémistes Hutu, reprend Alain Gauthier. Ceux en particulier de la CDR, la coalition pour la défense de la République, qui défendaient les thèses les plus extrêmes et qui s’opposaient aux accords d’Arusha que son mari venait de signer. Le jour même de l’attentat, certains témoins ont décrit son comportement. Je pense en particulier à une des filles du docteur du président Habyarimana, qui parlait d'Agathe Habyarimana en disant qu’elle appelait aux crimes, aux meurtres. Elle se réjouissait en apprenant telle ou telle disparition. Elle a beaucoup travaillé en sous-main, en douce, mais elle était là, probablement dans la préparation du génocide. D’aucuns l’ont même accusé de s’être réjouie aussi de la mort de son mari. Ce sont des choses qui se disent, après il faut le prouver".

Trois jours après le début du génocide, Agathe Habyarimana arrive en France, accueillie par l'Etat français. Trente-et-un ans plus tard, elle vit toujours à Evry-Courcouronne avec un statut pour le moins particulier.

Agathe Habyarimana, en 2010, dans sa maison d'Evry-Courcouronnes • © JEROME Benjamin / MAXPPP

Une exilée sans papiers depuis 31 ans



Le 9 avril 1994, Agathe Habyarimana est évacuée par l'armée française et arrive en France. Quelques années plus tard, elle s'installe dans un pavillon à Evry-Courcouronnes. Comme toute personne étrangère, l'ex-première dame du Rwanda fait sa demande d'asile et est entendue par l'Ofpra (office Français de protection des réfugiés et apatrides) et la CRR (commission de recours des réfugiés).

En janvier 2007, cette dernière lui refuse le droit d'asile. Deux ans plus tard, le Conseil d'Etat émet le même refus, renouvelé plus tard par le préfet de l'Essonne. Un recours devant la Cour européenne des Droits de l'homme a été déposé par Agathe Habyarimana en décembre 2013, sans décision pour l'heure. A ce jour, elle vit toujours sans papiers en France.

De son côté, le Rwanda a lancé contre elle en 2009 un mandat d’arrêt international mais son extradition a été refusée par la France. Les autorités françaises, elles, l'ont bien interpellé en mars 2010... avant de la remettre en liberté.

"On peut supposer qu’elle a bénéficié de soutiens au niveau politique, avance Alain Gauthier. Elle a été accueillie par le président Mitterrand très rapidement après la mort de son mari, avec un chèque et des bouquets de fleurs. Elle a été manifestement protégée".

Enquêter sur Agathe Habyarimana, c'est inévitablement aussi enquêter sur le rôle de l'Etat français dans le génocide des Tutsi. "Le rapport Duclert a reconnu des responsabilités accablantes, reprend Alain Gauthier. Mais nous, on ne s’en contente pas. Si responsabilités accablantes il y a, quelle a été la responsabilité de l’Etat français ? La mise en examen d’Agathe Habyarimana pourrait nous apporter des éléments nouveaux que l’on a voulu nous cacher. Y a-t-il des raisons de ne pas trop révéler le rôle de la France entre 1990 et 1994 ?"

A 82 ans, Agathe Habyarimana échapperait pour l'heure à un procès. Mais l'audience de mercredi au tribunal judiciaire de Paris est bien maintenue. Que va-t-il s'y passer ? Est-ce pour prononcer un non-lieu ?

"Attendons mercredi pour y voir plus clair", temporise Alain Gauthier. A ceux qui parlent d'acharnement, il répond : "On s’est donné comme mission de poursuivre en justice ceux qui seraient soupçonnés d’avoir participé au génocide et Mme Habyarimana en fait partie. À chaque procès qui s’est déroulé aux assises de Paris, le CPCR est accusé de chasse aux Hutu, d’acharnement. C’est un moyen de se défendre, mais cela ne nous touche peu".

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024