Fiche du document numéro 35047

Num
35047
Date
Vendredi 2 mai 2025
Amj
Taille
501677
Titre
« François Mitterrand, le dernier empereur » : les ambivalences d’un président face à la « Françafrique »
Sous titre
L’ouvrage dirigé par les historiens Pascal Blanchard et Nicolas Bancel revient sur le passé colonial de cet homme politique majeur du XXᵉ siècle, partisan de l’empire lorsqu’il était ministre de la IVᵉ République et défenseur du pré carré africain de la France en tant que président
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Livre. Le prince de l’ambivalence ou le roi de l’ambiguïté, voilà comment aurait pu s’intituler l’ouvrage François Mitterrand, le dernier empereur. De la colonisation à la Françafrique (éditions Philippe Rey, 928 pages, 29,50 euros), tant reviennent ces caractères dès lors qu’il s’agit de décrire les rapports de l’ancien président (1981-1995) avec l’Afrique tout au long de sa vie. C’est ce qui ressort de la lecture de cet essai biographique, premier ouvrage de ce genre qui lui est consacré sous l’angle colonial et de sa vision de l’Afrique.

Une trajectoire décortiquée depuis ses engagements de jeunesse dans les années 1930 en faveur de la conquête italienne et fasciste de l’Ethiopie en 1935 puis à Vichy durant les premières années de la guerre jusqu’au génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 en passant bien évidemment par la guerre d’Algérie. Autant d’ambivalences que les auteurs prennent le soin de remettre dans leur contexte historique et politique.

Il y a quelques mois, un autre essai, de Thomas Deltombe (L’Afrique d’abord !, éd. La découverte, 2024), avait déjà tordu le cou au mythe de Mitterrand homme de gauche « forcément anticolonialiste » en retraçant son parcours ministériel sous la IVe République. Onze fois ministre de 1947 jusqu’à la prise de pouvoir du général de Gaulle en 1958, cet ambitieux y avait alors détenu, notamment, les portefeuilles, très exposés, de la France d’outre-mer, de l’intérieur (1954-1955) puis de garde des sceaux (1956-1957) pendant les guerres d’Indochine, d’Algérie ainsi que pendant les événements de Tunisie et du Maroc.

En faveur de la guerre d’Algérie



Le dernier empereur, œuvre collective rédigée, à l’aune d’archives inédites, par une quarantaine de contributeurs, spécialistes de l’ancien président, de la colonisation ou des relations France-Afrique réunis sous la direction des historiens Pascal Blanchard et Nicolas Bancel, revient évidemment sur cette période centrale dans la vie politique de François Mitterrand. Période durant laquelle il s’était convaincu qu’il valait mieux lâcher l’Indochine pour mieux se concentrer sur une refonte de l’architecture coloniale en Afrique.

Réformer, donc, afin de tenter de sauver l’empire secoué par les aspirations indépendantistes. Cela au prix des exactions de l’armée, de la torture ou de la répression infligée à la population civile. Quarante-cinq condamnés à mort algériens seront exécutés durant son passage à la chancellerie.

En épousant toute la carrière politique de François Mitterrand, les auteurs vont donc plus loin que l’ouvrage précité. Ils démontrent que son positionnement en faveur de la guerre d’Algérie, pour ne prendre que l’exemple le plus dérangeant, n’était pas une erreur de parcours mais que sa trajectoire coloniale et postcoloniale est cohérente.

« Ce livre, écrivent-ils, n’est pas une thèse pour ou contre François Mitterrand : c’est à l’épreuve des faits, une biographie, l’histoire d’un cheminement, pour comprendre à travers ces focales que sont l’Afrique, le domaine colonial, la “Françafrique”, les outre-mer, mais aussi les enjeux idéologiques fondateurs tels que le déclin de l’Occident ou le silence de la gauche sur le passé colonial, le parcours d’une vie. » Cet ouvrage, qui a l’intelligence de ne pas être un livre à charge, égratigne sérieusement l’image que cet homme politique majeur du XXe siècle s’était en partie façonnée lui-même.


Car durant ces longues années de 1958 à 1981 passées, sous les présidences gaullienne, pompidolienne et giscardienne, à rassembler une gauche disparate pour conquérir le pouvoir, François Mitterrand a réécrit son récit personnel sous un nouveau jour. C’est alors que ce magicien de la politique parvint à effacer la tache de la compromission qui lui fit légitimer l’usage de la force en Algérie ; à faire oublier son passé de conservateur nationaliste de l’empire au profit d’une stature d’homme de gauche. Un tour de passe-passe servi par le contexte de l’époque marqué par le refoulement généralisé de la guerre d’Algérie après les accords d’Evian.

L’armée française, « gendarme » du continent



Ses deux septennats reproduiront le même grand écart. Dans l’élan de la chute du mur de Berlin, il fut tout à la fois l’homme du discours de La Baule, en 1990, appelant à la démocratisation de l’Afrique, celui de l’antiracisme. Au revers de cette médaille, il n’a cessé de défendre le pré carré africain, toujours convaincu que le rayonnement de la France – et de l’Europe – dépend étroitement de l’influence paternaliste française en direction de l’Afrique. C’est l’époque où l’armée française s’érige comme jamais en « gendarme » du continent.



Finalement, la politique que lègue François Mitterrand à ses successeurs, de Jacques Chirac à Emmanuel Macron en passant par Nicolas Sarkozy et François Hollande, est celle de la continuité. Et il convient de se demander si le reflux brutal de l’influence française sur le continent africain, observé ces dernières années, n’est pas un legs mitterrandien. Comme si nous faisions face aux conséquences d’un examen raté du passé colonial et d’une rupture définitive avec le système dévoyé de la « Françafrique » souvent proclamée par les dirigeants français, mais jamais aboutie. Jusqu’à ce que les nouvelles générations d’Afrique ne décident de le faire à la place de l’ancien colonisateur. « Ses héritiers ont tous considéré l’Afrique et l’Empire comme des éléments du domaine réservé et des politiques parallèles. Le bilan est sur ce point désastreux et (…) les relations France-Afrique sont un champ de ruines. »

François Mitterrand, le dernier empereur. De la colonisation à la Françafrique, sous la direction de Pascal Blanchard et Nicolas Bancel, éditions Philippe Rey, 928 p., 29,50 €.



Christophe Châtelot

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024