Fiche du document numéro 35001

Num
35001
Date
Jeudi 10 avril 2025
Amj
Taille
2183224
Titre
Rwanda : les tensions avec la RDC et la Belgique s’invitent aux commémorations du génocide perpétré contre les Tutsi en 1994
Sous titre
REPORTAGE. Alors que le Rwanda ouvrait ce lundi 7 avril une 31ème période de 100 jours pour commémorer le génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda en 1994, les tensions avec Kinshasa et Bruxelles se sont invitées dans les discours officiels.
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
De notre correspondant à Kigali (Rwanda), Vivien Latour

Le président rwandais Paul Kagame et la première dame Jeannette Kagame allument la Flamme du Souvenir au mémorial de Gisozi, à Kigali ce 7 avril, pour le lancement des 31es commémorations du génocide perpétré contre les Tutsis du Rwanda en 1994. © Vivien Latour

Ce lundi 7 avril, le Rwanda a entamé Kwibuka 31, la 31e commémoration annuelle du génocide perpétré contre les Tutsis en 1994. Pendant 100 jours, le pays se souviendra de plus d'un million d'hommes, de femmes et d'enfants – principalement tutsis, bien que quelques Hutus et Twas aient aussi été tués –, exterminés en trois mois dans le dernier génocide du XXe siècle. Mais alors que la Flamme du Souvenir, allumée ce 7 avril par le président rwandais Paul Kagame et sa femme Jeannette, brûle au Mémorial de Gisozi à Kigali, symbole de résilience, cette période de recueillement est assombrie par une crise diplomatique d'une intensité sans précédent, culminant avec la rupture récente des relations entre le Rwanda et la Belgique, et des tensions persistantes avec la République démocratique du Congo (RDC).

« Allez au diable » : la défiance rwandaise face aux sanctions



Le ton a été donné dès le premier jour des commémorations par le président Paul Kagame. Dans un discours au vitriol, il a violemment rejeté les pressions internationales et les sanctions récentes imposées à son pays en lien avec le conflit en RDC. « Ces gens à l'ONU, dans ces capitales occidentales [...] qui s'allient contre le Rwanda... j'imagine juste que le monde est devenu fou », a-t-il lancé, avant d'étriller sans les nommer Belges et certains membres de l'Union européenne porteurs de ces récentes sanctions à l'encontre du Rwanda : « Si quelqu'un vient [...] et dit : Hey, nous allons vous sanctionner. Quoi ? Allez au diable ! » Il a poursuivi sur le même ton : « Vous avez vos propres problèmes à régler, allez régler vos propres problèmes, laissez-moi m'occuper des miens. »

Cette rhétorique de défi s'inscrit dans une affirmation constante de la souveraineté rwandaise. « Rwandais, [...] ne devez votre vie à personne d'autre », a-t-il exhorté dans l'auditorium du Mémorial devant des rescapés, des journalistes et des diplomates. « Ayez le courage d'affronter la situation [...], ne laissez personne vous dicter comment vivre votre vie, car au moment où vous l'acceptez, c'est le jour où vous avez perdu votre vie. » Dans une diatribe belliciste, il a également appelé le peuple rwandais à la lutte : « Je ne peux pas supplier pour vivre. [...] Nous nous battrons. Si je perds, je perds. Mais il y a une chance [...] que si vous vous levez et vous battez, vous vivrez. Et vous aurez vécu une vie digne. » Questionnant crûment : « Alors, vous Rwandais, pourquoi ne pas mourir en combattant ? Au lieu de mourir de toute façon. Juste mourir comme des mouches. Pourquoi ? » Le président Kagame a lié cette posture aux leçons tirées de l'histoire tragique du pays : « Dès le début, nous n'avons jamais eu l'illusion que les deux – notre passé sombre et notre présent cruel – sont séparés. Ils sont frères. Et nous devons les traiter comme tels. » Tout en affichant cette fermeté, il a rappelé que le Rwanda restait ouvert aux partenariats, mais uniquement « sur la base du respect mutuel ».

Kigali-Bruxelles : un divorce diplomatique sur fond de passé colonial et de guerre régionale



Les déclarations présidentielles font directement écho à l'escalade rapide des tensions avec Bruxelles ces derniers mois. Début 2025, la Belgique, identifiée par Kigali comme menant la charge pour une action internationale à son encontre, a suspendu une partie de son aide au Rwanda. L'Union européenne lui a emboîté le pas en mars, sanctionnant trois hauts gradés militaires rwandais et le chef de l'agence minière d'État pour leur rôle présumé dans le soutien au M23, après des mesures similaires des États-Unis, du Royaume-Uni et de l'Allemagne. La réaction rwandaise fut immédiate et radicale.

Kigali a d'abord suspendu un accord d'aide bilatéral de 95 millions d'euros avec la Belgique en février et imposé des restrictions aux ONG financées par Bruxelles. Puis, en mars 2025, accusant la Belgique de « lobbying » actif pour les sanctions – la position de Bruxelles est pourtant fondée sur les rapports onusiens dénonçant l'implication rwandaise en RDC et sur des préoccupations concernant la stabilité régionale et les droits humains, justifiant à ses yeux les sanctions et sa fermeté diplomatique –, le Rwanda a pris la décision sans précédent de suspendre toutes relations diplomatiques avec son ancienne puissance coloniale. La Belgique a répliqué peu après en expulsant les diplomates rwandais présents sur son sol. Pour comprendre la véhémence de la réaction rwandaise face à la Belgique, il faut remonter dans l'histoire coloniale du pays. Le ministre Bizimana a ainsi rappelé que « l'histoire de la colonisation a conduit à la division ethnique parmi les Rwandais ».

L'introduction des cartes d'identité ethniques par l'administration belge en 1933 est vue comme un facteur clé dans la cristallisation des haines. Surtout, le traumatisme de l'abandon de 1994, lorsque les troupes belges de l'ONU se sont retirées précipitamment après la mort de dix des leurs, laissant les massacres se dérouler sans opposition majeure, a créé une méfiance indélébile au sein du régime issu du Front patriotique rwandais (FPR). Les excuses belges de 2000 n'ont jamais été jugées suffisantes à Kigali pour solder ce lourd passif.

En toile de fond, le conflit dans l'est de la RDC. Cette crise rwando-belge se greffe sur le conflit non résolu dans l'est de la RDC. Les accusations de soutien rwandais au M23 persistent, malgré les démentis de Kigali qui pointe la menace des FDLR et l'échec des récentes tentatives de médiation qatarie pour obtenir un cessez-le-feu durable.

Le ministre rwandais de l'Unité nationale et de l'Engagement civique, Jean Damascène Bizimana, a ainsi exprimé l'exaspération de Kigali face à ce qu'il considère comme une indifférence internationale coupable : « Trente et un ans ont passé sans que la même communauté internationale, autrefois coupable d'avoir abandonné le Rwanda, ne dise un mot sur le sort des réfugiés congolais [tutsis] chassés de chez eux par les FDLR depuis juillet 1994 [...] Les crimes qu'ils ont subis sont mondialement connus mais restent impunis. Peut-on alors dire que le génocide des Tutsis a appris quoi que ce soit à la communauté internationale ? » Puis, il a à son tour étrillé la Belgique, accusant le plat pays d'avoir « introduit des divisions ethniques parmi les Rwandais, similaires à celles qui existaient entre les Flamands et les Wallons dans leur propre pays ». La présence de centaines de fugitifs recherchés pour leur rôle dans le génocide de 1994 sur le sol congolais (408, selon les autorités rwandaises) ajoute à l'amertume de Kigali. Lors d'une conférence internationale sur le génocide, donnée le 6 avril au centre de convention de la capitale, le Dr Alex Mvuka Ntung a ainsi dénoncé les « lynchages et le cannibalisme » qui viseraient les Tutsis congolais comme une « forme d'injustice épistémique », se demandant si le génocide n'était pas en train d'être « délocalisé ».

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024