Fiche du document numéro 34977

Num
34977
Date
Jeudi 11 juin 1992
Amj
Taille
248257
Sur titre
Rwanda
Titre
La guerre secrète de l'Elysée en Afrique de l'Est
Sous titre
Des renforts français viennent d'être dépêchés au Rwanda, au secours du régime du président Juvénal Habyarimana. Très impliqué, Paris fournit depuis vingt mois armes et encadrement à l'armée gouvernementale. Enquête.
Nom cité
Mot-clé
Cote
D8244/38
Source
Fonds d'archives
PAT
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La France fait la guerre au
Rwanda. Dans le plus grand
secret. 150 militaires français
viennent d'être dépêchés dans
ce petit pays d'Afrique de
l'Est ravagé depuis vingt mois
par la guerre civile. Envoyés
au secours du président Juvenal Ha-
byarimana, au pouvoir depuis 1973,
ils rejoignent sur place une autre com-
pagnie de soldats français, maintenue
au pays des mille collines depuis le
octobre 1990, Ce jour-là. l'arrivée de
contingents militaires français et
belge, officiellement venus pour assu-
rer l'évacuation de leurs ressortis-
sants avait sauvé un régime en pleine
dérive. Encore avait-il fallu, pour pré-
venir l'imminente conquête de la capi-
ale par Les forces rebelles. qu'une
colonne de ravitaillement du Front
populaire rwandais (FPR) soit stop-
pée au lance-roquettes, par un héli-
coptère de combat, Aux commandes
était alors un officier de la Direction
générale de la sécurité extérieure
(DGSE), le contre-espionnage fran-
çais Depuis deux mois, c'est un autre
officier français, le lieutenant colonel
Jean-Jacques Maurin, qui de facto
décide des opérations de guerre de
l'armée rwandaise.

Samedi dernier, à Paris, des repré-
sentants du gouvernement rwandais
et du FPR, le mouvement rebelle, se
rencontrent pour la première fois de-
puis le début des combats au Rwanda.
Le pone-parole du Quai d'Orsay sou-
ligne le rôle de «facilitateur » joué par
la France, En revanche. il n'annonce pas
qu'au qu'au même moment, une compa-
gnie française venue de sa base en
Centrafrique débarque à Kigali. la
capitale. La veille, les rebelles rwan-
dais s'étaient emparés de la ville de
Byumba, à 70 kilomètres au nord de
Kigali. Paniqué, le président Habyari-
mana s'était alors adressé directement
à l'Elysée. Son appel au secours y a été
entendu. François Miterrand entre-
tient d'excellentes relations personnel-
les avec Le chef de l'Etat rwandais, de
même que son fils aîné et conseiller à
l'Elysée pour les affaires africaines,
Jean-Christophe Mitterrand, avec
« l'autre fils », Jean-Pierre
Habyarimana.

Hier, une source au ministère de la
Défense à Paris à confirmé la présence
de soldats français à Byumba. « Nous
ne sommes pas intervenus, mais nous
sommes là-bas pour voir et pour être
vus, a-t-elle expliqué, parlant de
« gesticulalion préventive ». Mais qui a
donc repris Byumba ? Officiellement,
l'armée rwandaise. L'ennui, c'est que
celle-ci se serait effondrée depuis long-
temps sans l'appui des forces fran-
çaises. Depuis vingt mois, une compa-
gnie de légionnalres «tient» l'aéro-
port et certains axes routiers dans la
capitale rwandaise. Quelque 25 coo-
pérants militaires français assurent
par ailleurs l'entretien du matériel de
guerre. Enfin, un Détachement d'as-
sistance militaire et d'instruction
(DAMI), aujourd'hui fort d'une tren-
taine d'hommes, «forme» l'armée
nwandaise.

Dans la réalité, cette mission qui, en
théorie, exclut tout encadrement opé-
rationnel, est ambiguë à souhait.
Dans une note confidentielle adressée
le 16 février dernier à l'ambassade de
France à Kigali, le ministère rwandais
des Affaires étrangères inclut ainsi
parmi les attribulions du chef du
DAMI, à l'époque le lieutenant-colo-
nel Cholet, «l'emploi des forces rwan-
daises». Le texte précise que l'officier
français, en même temps conseiller du
Président rwandais, rendra compte
périodiquement à ses deux autorités de
tutelle». Epinglé dans la presse
belge, le lieutenant-colonel Chollet
n'a finalement jamais pu assumer
cette double casquette d'instructeur
«neutre» et de commandant opéra-
tionnel de l'armée rwandaise. Devenu
trop voyant, il a été retiré. Mais l'idée
n'a pas été abandonnée pour autant.

Selon nos informations, c'est le lieute-
nant-colonel Maurin, officiellement
l'adjoint de l'attaché militaire à l'am-
bussade de France, qui commande
aujourd'hui les forces rwandaises.

Les rebelles du Front patriotique
dénoncent avec virulence cette «cau-
tion militaire françaises». Dans un
communiqué publie hier à Bruxelles,
le FPR estime que «la justification
humanitaire de la présence militaire
française au Rwanda s'avère de plus en
être un leurre. L'argument rabâché
selon lequel elle vise à tempérer l'ardeur
meutrière du régime en place est pour le
moins faible devant Le poids des faits ».
Ceux-ci viennent d'être rappelés dans
un rapport d'Amnesty international,
publié il y a deux semaines: au cours
des vingt derniers mois, en représailles
contre l'incursion rebelle à partir de
l'Ouganda, les forces de sécurité
rwandaises ont sommairenent exécu-
té « plus de mille Tutsi», l'ethnie mino-
ritaire au Rwanda. Alors que quelque
400 prisonniers politiques viennent
d'être libéres, au mois de février, les
assassinats et attentants meurtriers se
multiplient à travers Le pays

La France, malgré les dénégations de
ses officiels, est partie prenante dans la
guerre au Rwanda. Paris apporte son
soutien actif à ce que l'africaniste
Jean-Pierre Chrétien appelle «le triba-
lisme majoritaire» du président Ha-
byarimana. Ce dernier, membre de
l'ethnie Hutu, qui représente 80% de
la population rwandaise, ne veut pas
composer avec les exilés Tutsi, chassés
du pouvoir et du pays en 1959. Four-
nissant aujourd'hui le gros des
troupes du FPR, le général Habyari-
mana les accuse de vouloir rétablir
«l'ancien ordre féodal» . Or l'opposi-
tion intérieure, qui vient d'entrer au
sein d'un gouvernement de transition.
représente une large majorité de
Rwandais aspirant à une démocrati-
sation du régime, au-delà des clivages
ethniques. La semaine dernière, à
Bruxelles, l'opposition rwandaise
s'est ainsi concertée avec les rebelles
du FPR, constatant leur commune
volonté de mettre fin aux combats et
de former un «gouvernement d'union
nationale » conduisant le pays à des
élections libres. Or, le président Ha-
byarimana et son entourage affairiste
ne sont pas contraints de s'y résigner
tant que a France alimente leur guer-
re contre les « revanchards tutsis ».

Le 14 mai dernier, un Boeing-707
cargo de la compagnie bulgare Global
Air est venu charger des obus pour
mortier, du type 120 mm « rayés ».
Châteauroux, qui abrite l'ancien aéro-
port de l'OTAN aujourd'hui utilisé
par l'armée française. Le numéro de
vol attribué à cet enlèvement identifie
comme commanditaire Air Rwanda.
Dans l'incapacité technique de trans-
porter elle-même ces munitions, la
compagnie africaine à «sous-traité»
l'affaire. Apparemment, c'estune pra-
tique courante dans le florissant com-
merce d'armes avec le Rwanda. De
l'aveu même du ministère de la Dé-
fense à Paris, des « avions civils sud-
africains » seraient également venus
au mois de mai à Châteauroux pour
charger des munitions destinées à l'ar-
mée rwandaise. Simultanément, du
matériel militaire d'une valeur de plus
de 30 millions de Francs vient d'être
livré par l'Egypte au régime rwandais
selon du Lettre du Continent, publiée à
Paris, qui s'offre le luxe d'ajouter le
numéro de compte au Crédit lyonnais
de Londres sur lequel le règlement a
été effectué

Questions: d'où proviennent les
fonds qui permettent au Rwanda, l'un
des pays les plus pauvres d'Afrique, de
financer cette guerre, et, accessoire-
ment, à quoi servent tant d'obus dans
un territoire exigu — seulement 2600
kilomètres carrés —, densément peu-
plé de 7 milions d'habitants ? Car les
quantités enlevées en France sont im-
portantes: au point que, l'armurier
Thomson ne pouvant plus livrer, l'on
a « prélevé » sur les propres stocks de
l'armée française.

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