Fiche du document numéro 34940

Num
34940
Date
Mercredi 19 mars 2025
Amj
Taille
73566
Titre
Génocide au Rwanda : la demande de mise en examen de l’ex-première dame Agathe Habyarimana reportée
Sous titre
La cour d’appel de Paris devait examiner ce mercredi 19 mars à huis clos le cas de la veuve de l’ancien président rwandais, à la demande du parquet qui requiert sa mise en examen. L’audience a été renvoyée au 21 mai.
Lieu cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Agathe Habyarimana au palais de justice de Paris en avril 2014.

Une audience un peu particulière, et surtout inattendue, devait se tenir à huis clos à 16 heures ce mercredi 19 mars à la cour d’appel de Paris concernant Agathe Habyarimana, la veuve de l’ancien président rwandais Juvénal Habyarimana. La mort de ce dernier, dans l’attentat contre l’avion qui le ramenait le soir du 6 avril 1994 à Kigali, la capitale rwandaise, avait servi de signal déclencheur du génocide contre la minorité tutsie.

Installée en France, la veuve du président est visée depuis 2007 par une plainte, qui avait donné lieu à l’ouverture d’une instruction judiciaire un an plus tard, l’accusant principalement d’avoir incité au génocide, avant la mort de son mari et les jours qui ont directement suivi. Mais à la suite d’une longue et laborieuse enquête, les juges s’orientaient vers un non-lieu. Jusqu’à ce rebondissement surprise: des recours, dont on ne connaît pas le détail, ont été déposés en septembre 2024 par le Parquet national antiterroriste (Pnat). Ils devaient être étudiés ce mercredi avec, comme l’avait requis, une possible mise en examen d’Agathe Habyarimana pour «entente établie en vue de commettre un génocide et des crimes contre l’humanité», l’élargissement de l’enquête au 1er mars 1994 et l’exigence de nouvelles investigations. L’audience n’a pas eu lieu. Elle a été renvoyée au 21 mai.

Faucons du régime



Agathe Habyarimana est sous statut de témoin assisté depuis 2016. Les investigations sur son rôle dans le génocide des Tutsis avaient été jusqu’à présent limitées aux trois jours où elle était restée dans son pays après le déclenchement des massacres. Le 9 avril 1994 en effet, la veuve du président a été évacuée par l’armée française, à la demande de François Mitterrand, avec sa famille. En quoi pourrait-elle être tenue responsable des massacres visant la minorité tutsie qui a fait près d’un million de morts en seulement cent jours ? C’est tout l’intérêt de la demande d’élargissement de l’enquête au 1er mars 1994.

Car l’épouse du président défunt est depuis longtemps soupçonnée d’avoir joué un rôle occulte dans la préparation du génocide. C’est d’ailleurs avec le motif de «complicité de génocide», qu’elle a été déboutée dès 2007 de sa demande de statut de réfugiée. Une décision confirmée par le Conseil d’Etat deux ans plus tard, évoquant lui aussi les mêmes soupçons.

Le génocide des Tutsis du Rwanda n’a pas été déclenché suite à un coup de tonnerre dans un ciel serein en 1994. Au cours des années précédentes, bien au-delà de la date du 1er mars 1994 requise par le Pnat, une propagande efficace et la multiplication de petits massacres bénéficiant toujours d’une totale impunité vont préparer les esprits au pire. Après l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, ce sont d’ailleurs les faucons du régime qui vont orchestrer les massacres. La veuve du président, aujourd’hui âgée de 82 ans, est depuis longtemps soupçonnée d’en être la leader, à la tête de l’«Akazu» (la petite maison), une structure informelle qui, bien avant le génocide, regroupait les durs du régime.

Extermination programmée



Le Collectif des parties civiles pour le Rwanda, dirigé par un couple qui traque les présumés génocidaires rwandais réfugiés en France, est à l’origine de la plainte visant Agathe Habyarimana. Et l’accuse notamment d’avoir donné «des fonds importants» à la Radio Mille Collines qui diffusait des messages de haine anti-Tutsis depuis fin 1993, et d’avoir pris part à l’élaboration, en février 1994, «d’une liste» de personnalités tutsies influentes et de Hutus modérés «à exécuter». L’association l’accuse également d’avoir, après l’assassinat de son mari, «donné son assentiment aux actions de terreur engagées en particulier par la garde présidentielle» et «ordonné le massacre de sept employées» d’un orphelinat qu’elle avait fondé à Masaka dans la banlieue de Kigali.

Dès septembre 1994, l’auditorat militaire belge avait recueilli les témoignages de proches du régime, réfugiés dans la résidence présidentielle quelques heures après l’assassinat du président rwandais. Les filles du médecin du président, lui aussi décédé dans le crash de l’avion, avaient notamment décrit des scènes effrayantes. La veuve du chef d’Etat appelant ouvertement au meurtre, non seulement des Tutsis, mais aussi des opposants hutus, l’ethnie du régime, qui s’étaient opposés à cette extermination programmée. Mais depuis, ces témoins essentiels se murent dans le silence.

Le dossier judiciaire d’Agathe Habyarimana est en réalité l’un des plus complexes auxquels la justice française est confrontée. Les décisions de la Commission des recours des réfugiés, du Conseil d’Etat, voire celle de la préfecture de l’Essonne qui l’a déclarée également indésirable, même si elle y réside encore, reflètent une accumulation de soupçons accablants. Mais la justice ne peut arbitrer que sur des preuves tangibles, concrètes. Le parquet, qui s’oppose rarement aux juges d’instruction, aurait-il des éléments nouveaux qui permettraient cette mise en examen ? On le saura au moment du délibéré, dont la date n’est pas encore fixée.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024