Fiche du document numéro 34903

Num
34903
Date
Vendredi 14 mars 2025
Amj
Taille
1735095
Titre
Quel rôle jouent les minerais dans la guerre en RDC ?
Sous titre
Le pillage des minerais est souvent présenté comme la cause du conflit qui se déroule dans l’est de la république démocratique du Congo. Mais plusieurs chercheurs contestent cette interprétation « séduisante, mais fausse » du conflit.
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Mot-clé
M23
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Des mineurs de tous âges lors d’un rassemblement du groupe rebelle M23, soutenu par le Rwanda, à la mine de coltan de Rubaya, le 5 mars. (Camille Lafont/AFP)

«Le Congo se fait saigner à blanc […]. Entuber par les Nations unies, la CIA, les chrétiens, les Belges, les Français, les rosbifs, les Rwandais, […], les marchands de minerais, la moitié des profiteurs du monde, et son propre gouvernement à Kinshasa», confesse l’un des protagonistes du Chant de la Mission (2007). Ce roman du célèbre écrivain britannique John Le Carré (1931-2020) se déroule dans les années 1960 au Kivu, à l’extrémité orientale de la république démocratique du Congo (RDC).

Aujourd’hui, le pillage des fabuleuses ressources de ce pays, où 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, est à nouveau régulièrement évoqué dans le contexte de la guerre à l’est, dans cette même région du Kivu qui avait inspiré le roman. Mais de nombreux chercheurs dénoncent l’interprétation qui ferait de la prédation des minerais la cause principale du conflit.

Cette accusation a pourtant pris de l’ampleur, depuis janvier avec l’offensive d’un groupe rebelle, le M23, allié à une coalition d’opposants au régime de Kinshasa, l’Alliance du fleuve Congo (AFC) et soutenu militairement par le petit Rwanda voisin. En quelques semaines, les forces rebelles ont réussi à prendre le contrôle quasi total de la région du Kivu, quatre fois la taille de la Belgique. Sont-elles uniquement motivées par la prédation des ressources minières ?

En France, cette accusation est avant tout portée par deux partis aux antipodes du spectre politique : La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, l’un des plus fervents avocats du régime de Kinshasa, qui dénonce régulièrement le rôle «prédateur» du Rwanda, et le Rassemblement national incarné par l’eurodéputé Thierry Mariani, qui mène la bataille pour faire abroger un accord de partenariat signé il y a un an entre l’Union européenne et Kigali, qui doit pourtant assurer plus de transparence dans l’exploitation des minerais dans la région. Une position récemment soutenue également par les écologistes.

«MINERAIS DE SANG»

La condamnation du rôle du Rwanda, sommé de cesser son soutien aux forces rebelles, a pris une ampleur encore plus large ces dernières semaines : le Conseil de sécurité de l’ONU, mais aussi le Royaume-Uni, le Canada et l’Allemagne ont dénoncé avec force «la violation de l’intégrité territoriale» de la RDC par le Rwanda. La question des minerais n’est pas systématiquement évoquée. Mais devant le Conseil de sécurité de l’ONU, mercredi 19 février, Dorothy Camille Shea, représentante adjointe des Etats-Unis auprès des Nations unies, a appelé à la fin «immédiate» de l’exploitation des minerais issus des zones sous contrôle de la rébellion du M23 soutenue par le Rwanda.

La mobilisation des opinions publiques n’est pas en reste. Le 21 février, un groupe de rappeurs, tous congolais, a produit et a diffusé un clip, Free Congo, qui dénonce l’occupation de l’est du pays, atteignant 1,2 million de vues en deux jours. «On envoie nos frères mineurs au combat se faire tuer pour du cobalt», chantent les rappeurs. Sauf qu’il n’y a pas un gramme de cobalt dans le sous-sol du Kivu en guerre.

Le cobalt et le cuivre sont, certes, les ressources congolaises les plus prisées. Essentielles pour les câbles et les batteries des véhicules électriques. Mais on n’en trouve pas dans la région du Kivu. Laquelle est, en revanche, riche en or, en étain et aussi en coltan. Ces granulés gris, à partir desquels est extrait le tantale, utilisé dans la fabrication de condensateurs pour tous les équipements électroniques. Et notamment, les téléphones et ordinateurs portables. A défaut de cobalt, le lien avec nos portables est donc possible. Et permet de mobiliser l’opinion indignée par ces supposés «minerais de sang» qui justifieraient la guerre en cours. Sauf que «aussi séduisante soit-elle, cette histoire est incomplète et fausse», constatent les chercheurs Christoph N. Vogel et Judith Verweijen, dans une tribune publiée le 14 février par le magazine Jeune Afrique et intitulée : «Non, le conflit en RDC n’est pas qu’une histoire de “minerais de sang”».

«Il y a un focus excessif sur la question des ressources minières qui nous empêche d’avoir une compréhension globale des problèmes. En réalité, ce n’est pas une condition de base, ou une racine primaire de la violence ou des guerres dans cette région», confirme Christoph N. Vogel (1), également contacté par Libération. «Ce serait même dangereux de comprendre un mouvement comme le M23 uniquement par le prisme de l’enrichissement commercial», ajoute-t-il.

Le mouvement du M23 qui, depuis sa création en 2012, revendique la protection de la communauté tutsie congolaise, régulièrement persécutée, «correspond aussi à une réalité sociologique, avec évidemment beaucoup de liens dès le départ avec le Rwanda», rappelle encore Christoph N. Vogel. «Dans les années 1990, de nombreux jeunes Congolais tutsis ont rejoint la rébellion rwandaise [celle du Front patriotique rwandais, FPR, désormais au pouvoir à Kigali, ndlr] qui va combattre contre le génocide des Tutsis, au Rwanda en 1994. Ils ont vécu des moments forts, intenses, qui les unissent.» D’autant que les responsables du génocide au Rwanda vont finalement fuir de l’autre côté de la frontière, s’enracinant dans l’est de la RDC, où leur idéologie hostile aux Tutsis s’est propagée, ciblant cette fois les Tutsis congolais.

Depuis trente ans, le contrôle des zones minières a, certes, offert des ressources lucratives aux groupes armés, comme aux forces gouvernementales et aux élites locales. Mais ce ne furent pas forcément les plus importantes, dans cette région. «L’une des premières zones conquises par le M23 dès 2022, c’est la ville de Bunagana. A la frontière avec l’Ouganda. C’est l’un des postes frontières les plus lucratifs de toute la région, renchérit Christoph N. Vogel. Or, on peut se demander si l’ensemble des taxes douanières récoltées à Bunagana n’excèdent pas celles de revenus miniers.»

«Si le contrôle des mines était l’objectif du M23, pourquoi ne s’est-il pas concentré de manière plus ciblée sur le contrôle des zones minières au cours des trois dernières années ?» s’interroge une autre tribune publiée récemment par l’Institut royal des relations internationales, un think tank basé à Bruxelles. «Le contrôle du commerce des minéraux ne peut pas être considéré comme le principal moteur du groupe M23», tranche cette analyse. Réapparu fin 2021 après neuf ans de sommeil, le M23 ne contrôlait, en effet, aucune zone minière jusqu’à une période très récente.

Tout change fin avril, lorsque les rebelles s’emparent de Rubaya, la plus grande mine de coltan du pays. Ils seront aussitôt soupçonnés d’en détourner la production, exportée vers le Rwanda. Dans leur dernier rapport publié en décembre, le groupe d’experts des Nations unies a ainsi dénoncé «l’exportation frauduleuse d’au moins 150 tonnes de coltan vers le Rwanda» au profit des rebelles. A raison de 300 000 dollars de revenus miniers par mois exportés vers Rwanda, selon l’ONU.

FAILLES DU SYSTÈME

Mais que se passait-il à Rubaya avant sa prise par les rebelles ? La mine était aux mains d’un groupe armé, la Coalition des patriotes résistants congolais, Force de frappe (Pareco-FF), allié au régime du président Felix Tshisekedi. Après avoir brutalement exproprié celui qui fut longtemps le principal propriétaire privé. Notable tutsi, élu député depuis 2006, Edouard Hizi Mwangashushu, aujourd’hui âgé de 75 ans, a en effet été dépossédé de ses avoirs miniers après avoir été arrêté et condamné à la prison à perpétuité en octobre 2023. Où allait donc la production de coltan pendant l’année où elle se trouvait sous le contrôle de cette milice affiliée à Kinshasa ?

Les failles du système de certification pour l’exportation des minerais ont été dénoncées en avril 2022 dans un rapport de l’ONG Global Witness qui souligne la corruption des agents locaux congolais. Lesquels seraient les premiers à favoriser ainsi l’exportation illégale des minerais vers le Rwanda. Comme le rappelle un entrepreneur local contacté par Libération, «si une grande partie des minerais partent au Rwanda, avant d’être transportés en Tanzanie, puis en Asie, leur destination finale, ce ne sont pas les Rwandais qui viennent les chercher, ce sont les Congolais qui les apportent». Il suffit de regarder une carte : les deux provinces enclavées du Kivu ne sont reliées par aucune route à Kinshasa, la lointaine capitale du pays située à plus de 1 500 kilomètres de distance. Alors que Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu n’est qu’à 160 kilomètres de Kigali, la capitale rwandaise. Tout le carburant, mais aussi une grande de l’alimentation de Goma, vient d’ailleurs du Rwanda.

GRANDES MANŒUVRES

«Le Rwanda peut accéder aux minerais congolais, qu’il finance ou non une rébellion ou intervienne avec ses propres troupes. Dans une large mesure, cela est dû au fait que les droits de douane et les taxes au Rwanda sont plus faibles, ce qui incite les producteurs congolais à exporter vers le Rwanda, légalement ou illégalement. Cela implique qu’ils le font de leur plein gré et non sous menace armée», constatent les deux chercheurs signataires de la tribune dans Jeune Afrique, déjà citée. «Le Rwanda a toujours été un pays de transit pour les minerais du Congo, en temps de guerre comme en temps de paix», confirme à Libération Christoph N. Vogel.

Surtout, le focus sur le Kivu conduit à oublier que l’enjeu des minerais se joue peut-être ailleurs. Dans les provinces du Haut-Katanga et du Lualaba, dans le sud-est de la RDC. Là où se trouve le fameux cobalt, évoqué par les rappeurs. Ainsi que le cuivre. La RDC possède la plus grande mine de cobalt au monde et plus des deux tiers de la production mondiale. La RDC est également le deuxième producteur de cuivre au monde. Si la mine de Rubaya rapporte 300 000 dollars par mois, les exportations de cobalt s’élevaient à 2,4 milliards de dollars en 2023, et à 2,7 milliards pour le cuivre. La bataille pour sécuriser l’accès à ces minerais est d’une tout autre ampleur que celle qui se déroule au Kivu. Opposant la Chine qui détient la plupart des contrats d’exploitation, aux Occidentaux, Etats-Unis en tête.

Grâce à cette manne, «la RDC peut exercer une influence significative sur l’industrie», celle des chaînes d’approvisionnements en cobalt pour les véhicules électriques notamment, souligne une étude publiée en septembre sur le site The Conversation par deux chercheurs américains, Raphael Deberdt et Jessica DiCarlo. Leur analyse démontre le rôle d’arbitre que peut jouer le pays producteur en monnayant l’attribution de ressources aussi essentielles à l’économie mondiale.
Les grandes manœuvres ont peut-être déjà commencé. Samedi 22 février, dans une interview accordée au New York Times, le président congolais révélait être prêt à céder les actifs miniers les plus lucratifs à Washington et aux Européens. «En échange, il attend un soutien inconditionnel à son régime face au mécontentement populaire, mais aussi contre les rebelles dans la guerre à l’est», souligne un syndicaliste, membre de la société civile du Katanga. Kinshasa pourrait-il obtenir ce soutien auprès de l’administration Trump, déjà engagée dans un deal sur les ressources minières de l’Ukraine ? Mi-février, une enquête publiée par le quotidien la Libre Belgique révélait que la famille Tshisekedi disposait d’avoirs miniers estimés à 320 milliards de dollars au Katanga. «La véritable guerre des minerais se déroule au Katanga», souligne encore le syndicaliste, qui rappelle que dans cette région considérée comme le véritable coffre-fort de la RDC, «les populations ne bénéficient pas de ces richesses exploitées au bénéfice des Chinois et de l’entourage du président».

(1) Christoph N. Vogel est l’auteur de : Conflit, Coltan, Cliché. Guerriers, commerçants et sauveurs blancs dans l’est du Congo, aux éditions Mlimani 2024.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024