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Félix Tshisekedi reçoit les eurodéputés du Rassemblement national Thierry Mariani, Philippe Olivier et Virginie Joron à la Cité de l’Union africaine, le 7 mars 2025. © Présidence de RDC
Bientôt, Kinshasa leur sera familier. Après un voyage fin novembre 2023, les eurodéputés du Rassemblement national (RN) Thierry Mariani et Philippe Olivier étaient de retour dans la capitale congolaise du 6 au 9 mars 2025. Signe que l’activisme de Thierry Mariani contre le Rwanda paie, les parlementaires européens ont été invités par la présidence congolaise, qui a pris en charge l’hôtel et les billets d’avion pour trois personnes. Les deux hommes ont donc fait le déplacement avec leur collègue Virginie Joron, également eurodéputée RN.
Mariani, la figure de proue
Au Parlement européen et sur les réseaux sociaux, Thierry Mariani s’illustre en dénonçant « l’agression du Rwanda » dans l’est de la RDC. « Thierry Mariani, je le connaissais comme homme politique, mais c’est sa position sur le Congo qui l’a mis en avant », explique Freddy Mulumba, ancien directeur général de la Radio-télévision nationale congolaise (RTNC) qui dénonce régulièrement un prétendu complot rwandais de balkanisation de la RDC. C’est lui qui a accueilli les trois eurodéputés à l’aéroport de Kinshasa, le 6 mars, et qui leur a servi de guide.
Au cours d’un séjour riche en rencontres politiques, Thierry Mariani et ses collègues ont été reçus à la cité de l’Union africaine par le président Félix Tshisekedi pendant une heure. La délégation a également rencontré la Première ministre, Judith Suminwa Tuluka, le premier vice-président de l’Assemblée nationale, Jean-Claude Tshilumbayi, le ministre du Commerce extérieur, Julien Paluku, et le vice-ministre de la Défense, Samuel Adubango Awotho. Des rencontres d’un niveau supérieur à la précédente visite de 2023. Entre les deux voyages, la guerre s’est aggravée avec les prises de Goma et de Bukavu.
En ces temps troublés où la RDC cherche des soutiens diplomatiques, la voix de Thierry Mariani est précieuse pour Kinshasa. Les portes se sont donc ouvertes devant le chef de délégation auréolé d’une réputation de défenseur de la RDC depuis qu’il a mis son nez dans le dossier du conflit avec le Rwanda, qui soutient le groupe rebelle du M23. « C’est le seul Européen qui comprend beaucoup de choses et qui est du côté du Congo », résume Freddy Mulumba. « Pour l’opinion congolaise, c’est quelque chose d’avoir un soutien comme ça », commente aussi un interlocuteur proche de la présidence. Souvent épinglé pour son soutien aux autocrates comme Bachar Al-Assad en Syrie ou Vladimir Poutine en Russie, Thierry Mariani ne se retient en effet jamais de dénoncer celui qu’il appelle le « dictateur Kagame ».
Il accuse le président rwandais de piller les ressources minérales de la RDC et de les revendre sur le marché international. Alors qu’un rapport du groupe d’expert des Nations unies a démontré que le Rwanda vendait à l’étranger des minerais extraits en RDC, Thierry Mariani l’évoque pour s’opposer à un partenariat d’accord conclu entre l’Union européenne et Kigali sur le commerce de minerais stratégiques. Il n’est pas seul puisqu’une large majorité de députés européens ont approuvé, le 13 février 2025, une résolution condamnant le Rwanda et demandant la suspension du mémorandum d’entente sur les chaînes de valeur des matières premières durables avec le Rwanda.
« Un sujet très important » pour LFI
Si le RN se mobilise pour la RDC à l’échelle européenne, c’est La France insoumise (LFI) qui est en pointe sur ce sujet à l’Assemblée nationale française. D’ailleurs, le député LFI Carlos Martens Bilongo, d’origine congolaise et président du groupe d’amitié France-RDC, minimise l’impact de l’engagement de Thierry Mariani. « C’est un électron libre, il est tout seul, je ne sais même pas si ses travaux trouvent un écho à l’Assemblée nationale où vous n’entendez aucun mot ou propos du RN sur ce qui se passe en RDC. Moi, j’aimerais bien entendre Thierry Mariani sur le sujet des réfugiés congolais à Mayotte qui viennent souvent de l’est du pays et qui fuient la guerre. Quelle est sa position par rapport à ça ? On ne l’entend pas ! » interpelle-t-il.
Au contraire, Carlos Martens Bilongo souligne que le RN avait applaudi les propos du ministre de l’Intérieur quand il avait annoncé l’organisation depuis Mayotte « de vols groupés pour pouvoir reconduire les étrangers en situation irrégulière vers la RDC », le 3 octobre dans l’hémicycle. Thierry Mariani assume sa ligne anti-immigration qu’il ne trouve pas contradictoire avec son combat parlementaire contre le Rwanda. Il affirme aussi que ses arguments infusent jusqu’à Marine Le Pen, la cheffe du parti. « Si l’Union européenne était si attachée à l’éthique, elle arrêterait d’être le receleur du pillage qu’effectue le Rwanda à l’égard de la République démocratique du Congo », récitait la présidente du Rassemblement national sur LCI le 29 janvier 2025, après avoir jeté un œil à ses fiches. L’eurodéputé Philippe Olivier, actif sur ce sujet, est un proche de Marine Le Pen.
À l’opposé de l’échiquier politique, LFI est très présente sur ce dossier. « C’est un sujet très important pour nous et sur lequel peu de gens dans le paysage politique français s’engagent », affirme le député Aurélien Taché, membre de la Commission des affaires étrangères qui travaille sur la question de la francophonie. C’est dans ce cadre qu’il s’est rendu à Kinshasa en mars 2024. Avant lui, c’est le leader insoumis, Jean-Luc Mélenchon, qui visitait Kinshasa avec une délégation de députés LFI, en octobre 2023. L’ancien candidat à la présidentielle de 2022 avait rencontré le président Félix Tshisekedi et dénoncé « les visées expansionnistes » de Paul Kagame.
Il était accompagné d’Arnaud Le Gall qui suit le sujet, tout comme Nadège Abomangoli et Carlos Martens Bilongo. Ce dernier avait rédigé une proposition de résolution, déposée le 18 juillet 2023, « condamnant le soutien de la République du Rwanda au groupe rebelle du Mouvement du M23 », mais qui n’avait pas été débattue par l’Assemblée nationale. Le député Bilongo a prévu de revenir rapidement à la charge et devrait bientôt proposer une proposition de résolution européenne (PPRE), reprenant des éléments de la résolution condamnant le Rwanda votée le 13 février 2025 au Parlement européen.
Emmanuel Macron concentre les critiques
À Kinshasa, la couleur politique des soutiens français ne semble pas être un sujet. À la surprise de Thierry Mariani, les eurodéputés du parti d’extrême droite n’ont pas été contestés lors d’une conférence à l’université de Kinshasa. « Je pense que les gens n’ont pas connaissance de ce qu’est le RN », relève une députée congolaise proche de LFI et qui préfère rester anonyme. « Tant qu’on peut avoir son soutien, on ne se pose pas de question. Moi, je connais l’extrême droite », affirme cette élue. « La philosophie du RN, je ne la partage pas, mais quand ils défendent la cause de la RDC, je me dis : au moins il y a encore des gens qui pensent à nous et qui comprennent notre peine », explique Laddy Yangotikala Senga, député de Kisangani, proche idéologiquement de LFI.
D’autant que, coincé entre le RN et LFI et obligé de suivre un pas à pas diplomatique trop timoré aux yeux des Congolais, le président français Emmanuel Macron concentre les critiques. « Comment la France peut traiter avec négligence la question de l’intégrité territoriale du plus grand pays francophone ? Comment la France peut-elle confier la direction de la francophonie au Rwanda ? Paul Kagame parle quelle langue devant Macron ? L’anglais ! C’est de la déconsidération », s’insurge Laddy Yangotikala Senga. Les partis d’opposition français ont, eux, plus de latitude à adopter des positions plus tranchées, de nature à séduire Kinshasa.
La France insoumise pourrait réclamer la délocalisation de la prochaine conférence ministérielle de l’OIF, qui doit se tenir du 20 au 21 novembre 2025 à Kigali. « C’est une provocation insupportable », condamne Aurélien Taché qui regrette que, sous la présidence de la Rwandaise Louise Mushikiwabo, l’OIF ne dise rien sur le conflit. Bestine Kazadi, la ministre congolaise de la Francophonie, a déjà envoyé une note verbale à l’OIF pour exiger une relocalisation. LFI fait aussi pression sur la question des partenariats sportifs et de la campagne Visit Rwanda, à laquelle sont liés plusieurs clubs de football européen. Le 4 mars, Aurélien Taché a déposé une question écrite à l’Assemblée pour interroger la ministre des Sports sur « l’étendue des accointances entre le football français et le Rwanda », alors qu’une pétition circule pour demander au Paris Saint-Germain de suspendre son partenariat. Il n’a pas obtenu de réponse.