Fiche du document numéro 34898

Num
34898
Date
Mardi 17 mars 1998
Amj
Taille
27193
Titre
Les digressions et diversions de Christian Prouteau, écrivain
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
« LA JUSTICE s'acharne sur moi à cause d'actes décidés par d'autres. Mais aucune voix ne s'est élevée contre le fait que j'ai été obligé de tuer plusieurs hommes en opération. » Cette protestation indignée figure à la première page des souvenirs du préfet Christian Prouteau, sobrement intitulés Mémoires d'Etat, et dédiés aux hommes du Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), qui se mirent, assure leur ancien chef, « inconditionnellement au service de la liberté ».

Le ton ainsi donné, la relation des aventures de Christian Prouteau ne se défait pas de son ambiguïté première. Quelles « libertés » servaient ceux qui, sous ses ordres, au sein de la tristement célèbre cellule antiterroriste de l'Elysée, pratiquaient sans limites ni discernement les écoutes téléphoniques ? Qui sont ces « autres » qui décidèrent pour lui ? L'ancien gendarme ne le dit pas, et ne confie pas plus de secrets à ses lecteurs qu'il n'en a livré, jusqu'à présent, à la justice.

Officier méritant, fondateur du prestigieux GIGN, Christian Prouteau tua des hommes, donc. A la lecture de ses Mémoires, on croit comprendre que ce fut uniquement sur ordre, et par nécessité. Le préfet a, toutefois, cru bon d'ajouter, dans un récent entretien accordé au Parisien : « Je peux dire aujourd'hui que, même si c'était dans le cadre de missions spéciales, la manière avec laquelle j'ai tué n'avait rien de légale. »

Derrière cette apparente provocation, apparaît le cœur de l'argumentation de M. Prouteau. « Le renseignement, ce n'est pas propre », peut-on lire sous sa plume, traduction gendarmique du dicton populaire : « On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs. » Abrité derrière cette robuste philosophie, dans laquelle l'exécution des ordres tient lieu de doctrine, et le courage physique de légitimité, Christian Prouteau livre, sans y prendre garde, quelques-unes des clés d'une dérive qui le conduisit, à partir de 1982, à confondre la sécurité du chef de l'Etat, dont il était chargé, avec celle de l'Etat tout entier. Aussi François Mitterrand n'eut-il qu'à se louer du zèle de la « cellule », attachée à préserver sa vie privée, fût-ce au prix de celle des autres.

L'image d'un soldat



Le bilan de cette « mission » est connu : des dizaines de personnes ont été espionnées, écoutées, surveillées par la « cellule » de M. Prouteau, parmi lesquelles des avocats, des journalistes, quelques politiques et de simples citoyens, dont l'existence avait simplement croisé celle de l'un de ces ennemis en puissance... « Nos investigations en matière de terrorisme à cette époque (...) et la protection du chef de l'Etat dont j'étais responsable, nous ont amenés à nous intéresser, en trois ans [de 1983 à 1986], à moins de cent vingt personnes, pas davantage ! Soit parce qu'elles menaçaient directement la sécurité nationale, soit parce que leur environnement les mettait en relation avec d'autres suspects. » On cherchera vainement, dans le livre de M. Prouteau, une justification plus détaillée a fortiori une autocritique de la campagne d'espionnage dont il fut l'exécutant, sinon l'inspirateur.

Dans Le Journal du dimanche, l'auteur a néanmoins admis qu'« il se peut que, sur une ou deux personnes, on se soit trompé ». Il est allé jusqu'à « comprendre » les protestations de certaines des personnes écoutées. Mais c'était pour aussitôt poser cette question dont on croit deviner la réponse : « Quand on est journaliste, et que l'on obtient des informations que l'on ne doit pas avoir entre ses mains, doit-on bénéficier d'une impunité qui interdise aux services [de renseignement] d'en être informés ? »

Promu préfet par la grâce de François Mitterrand qui voyait en lui « le prototype de ce que notre armée peut produire », l'ancien gendarme ne cache pas qu'il aimerait chasser ces mauvais souvenirs, pour ne laisser que l'image d'un soldat, déjouant les prises d'otages, raisonnant les forcenés, luttant contre les fanatiques de tout poil pour la sauvegarde de l'Etat républicain. Passées quelques pages vouées à l'hagiographie de son protecteur disparu, les Mémoires de M. Prouteau se bornent donc au fastidieux récit des exploits du GIGN, sur fond de considérations humanistes et d'amitiés viriles, et s'interrompent à son arrivée à l'Elysée. Une longue digression aux fins de diversion.

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