Fiche du document numéro 34858

Num
34858
Date
Dimanche 2 mars 2025
Amj
Taille
875793
Titre
RDC : « Le Katanga est devenu le coffre-fort de la famille Tshisekedi »
Nom cité
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Lieu cité
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Des miniers dénoncent le pillage en règle des énormes ressources de leur province.

Après plusieurs semaines de tractations, rendez-vous est pris. Plusieurs membres de la société civile katangaise, des organisations syndicales et des coopératives minières ont accepté de témoigner en un lieu secret. Ils dénoncent le pillage dont sont victimes leurs provinces, essentiellement le Haut-Katanga (Lubumbashi) et le Lualaba (Kolwezi), issues du découpage en 2015 du Grand Katanga.

Oser parler est dangereux dans ce pays. « Il y a une vraie chasse menée par les militaires et des agents de sécurité, essentiellement issus du Kasaï, contre ceux qui brisent le silence », explique un de nos interlocuteurs, qui enchaîne : « il faut dire que l’exploitation minière illégale rapporte des sommes colossales à la famille présidentielle et aux entrepreneurs peu scrupuleux ».

« Trop, c’est trop », explique un responsable d’une coopérative minière du Lualaba, dont la zone d’exploitation artisanale (ZEA) a été ravie par Christian Tshisekedi, présenté comme le membre de la famille présidentielle le plus présent sur terrain dans cette province.

« Depuis 2019, les choses ont solidement empiré. Le Katanga est devenu le coffre-fort de la famille présidentielle qui ponctionne les richesses de nos provinces, surtout le Lualaba, mais qui n’y investit rien”, explique un de nos interlocuteurs.

Selon le nouveau code minier, plus d’argent devait revenir dans les caisses de la province. “Mais quasiment rien n’est fait, alors que le clan présidentiel, avec ses nombreux prête-noms et ses associés, surtout chinois, mais aussi libanais ou indiens, empoche chaque mois des dizaines de millions de dollars en pillant les remblais et les rejets qui sont le plus souvent la propriété de la Gécamines (successeur de l’Union minière du Haut Katanga, société qui appartient à 100 % à l’État congolais, ndlR) ainsi que des entreprises privées tel que ERG partenaire de la Gécamines », poursuit-il.

Des largesses qui passent mal



« Sous le gouverneur Katumbi, la production de cuivre était plus faible, les prix sur le marché international moins élevés et il y avait moins d’échanges à la frontière, pourtant les investissements étaient nombreux”, affirme un syndicaliste de la Gécamines. “Aujourd’hui, avec les avantages apportés par le nouveau code minier de 2018 et les investissements en phase de production, les gouverneurs ont beaucoup plus de moyens mais rien n’est fait. Si on se pose la question de savoir où part l’argent, la réponse est simple : tout le monde vient se servir à Lubumbashi et à Kolwezi. Les ministres nationaux passent régulièrement dans nos province pour venir chercher leur enveloppe.” Et de pointer notamment le ministre national de la Défense ou de l’Intérieur qui “se sont précipités chez nous dès leur nomination. Ils ne viennent pas pour se promener ou nous encourager, ils viennent pour se servir”.

Le nouveau code minier prévoyait que les recettes, qui excèdent le milliard de dollars depuis 2018 au Lualaba, devaient être pré-affectées aux infrastructures d’intérêt communautaire. “Mais le nouveau pouvoir a rapidement pris un décret pour contourner cette obligation. Désormais, ces recettes rentrent dans un compte commun du gouvernorat, ce qui crée un flou sur la destination de ces fonds qui servent à beaucoup de choses mais pratiquement jamais aux intérêts katangais”, poursuit un de nos experts qui met en exergue “la bourse d’excellence. Une structure financée par des fonds du Haut-Katanga et du Lualaba et qui est gérée par la femme du président de la République. L’objectif de cette bourse est certainement louable, mais il s’agit d’une initiative privée qui puise dans les caisses de nos provinces. Il y a aussi le fameux Fonds national pour les réparations des victimes des violations sexuelles (Fonarev) dont le seul objectif est de détourner 11% de la redevance minière. Lui aussi est géré par l’épouse belge du Chef de l’Etat congolais”.

320 milliards de dollars !



Si l’utilisation de ces recettes interroge, les experts insistent surtout ce qu’ils qualifient d’« accaparement illicite de nombreux remblais de la Gécamines mais aussi d’autres sociétés.” “Les remblais, ce sont des dépôts de minerais extraits qui sont étiquetés par rapport à leur teneur en cuivre et en cobalt et qui sont stockés pour une utilisation ultérieure”, explique l’un d’eux.

Ces remblais sont des terrils qui ont régulièrement poussé aux abords des mines. Il s’agissait souvent de minerais de moindre qualité qui, aujourd’hui, avec les avancées technologiques, enferment de véritables trésors. “La Gécamines dispose d’un cadastre précis de ces remblais et de leur teneur en cuivre et en cobalt. Le gros avantage de ces remblais, c’est qu’il ne faut plus faire de travail de prospection ou de découverture, il suffit de charger les minerais dans des camions et de les apporter dans une usine qui va les traiter. C’est de l’argent très facilement gagné”, explique-t-il encore, armé d’un tableau qui recense tous ces remblais et ces rejets, accompagnés de chiffres qui donnent le tournis. Le remblai 401, par exemple, contient 90 millions de tonnes de minerais de cuivre. Le 611, affiche 71 millions de tonnes. Le prix de la tonne de cuivre, en constante augmentation depuis plusieurs années, flirte aujourd’hui avec les 9 000 dollars. “Faites le calcul, ce sont des chiffres inimaginables. Avec les techniques actuelles, on peut, selon les experts de la Gécamines, produire avec ces remblais et ces rejets 29 800 000 tonnes de cuivre métal et plus de 1 900 000 tonnes de cobalt. Au cours actuel, l’ensemble de ces biens peut être valorisé à hauteur de 320 milliards de dollars en instance de pillage par la famille Tshisekedi.”

En effet, selon plusieurs organisations de la société civile du Katanga, de très nombreux remblais sont désormais exploités en toute illégalité par des membres et des proches de la famille présidentielle en collaboration, le plus souvent, avec des intermédiaires chinois. Une liste de ces remblais illégalement accaparés a été élaborée par ces ONG katangaises. “Les Katangais sont fatigués de cette situation, ils commencent à parler, à diffuser des preuves sur les agissements des membres de la famille présidentielle mais aussi de certains généraux et de quelques ministres. Ces gens peuvent compter sur le soutien de la garde républicaine (GR) qui est une troupe d’élite qui dépend du président de la République. Aujourd’hui, ces GR sont présents sur de nombreux sites miniers. Ils ont d’abord fait dégager les précédents occupants et assurent désormais la sécurité pour que le vol de nos richesses puisse se dérouler en toute tranquillité”, raconte un des experts. “Parfois, ces Chinois, Libanais ou Indiens se contentent de passer un coup de fil au général Christian Ndaywell (de nationalité belge, NdlR) ou à un proche du président. Il met une somme sur la table, minimum 20 millions de dollars, et il obtient le droit d’exploiter un remblai qui vaut minimum dix fois ce prix. Il suffit d’un simple coup de fil et d’une grosse valise de cash. C’est le far-west. Un État de non-droit absolu, au point que certains n’hésitent plus à aller puiser dans les minerais uranifères, aussi rentables que dangereux. Plusieurs organisations ont tiré la sonnette d’alarme. L’uranium est exploité la nuit au profit de clients Chinois, certains évoquent même des Nord-Coréens installés en Zambie, de l’autre côté de la frontière avec le Katanga”, poursuit un de nos interlocuteurs.

Un cadastre précis de ces remblais et de leur contenu a été réalisé il y a une vingtaine d’années. “Il sera donc possible, le jour venu, de faire le décompte de ce qui a été volé par ces gens”, assure, document en main, un de nos interlocuteurs. « En plus des remblais cette famille a accaparé la quasi-totalité des activités de la sous-traitance dont le revenu annuel s’élève à 10 milliards des dollars. Leurs entreprises nouvellement créées sont les seules recommandées par Miguel Katemb, le directeur général de l’ARSP, l’homme de main de la présidence qui leur octroie des parts de marchés de la sous-traitance au détriment des autochtones ».

Autodétermination



En puisant ainsi dans les remblais, « trésors de guerre » de la Gécamines (même si certaines entreprises privées sont aussi touchées par ce fléau), les responsables de cette fraude poussent l’entreprise d’État, qui emploie encore 9 000 personnes, vers le fond du gouffre. “Tout est fait pour dépecer la Gécamines. Des études géologiques ont démontré qu’il y avait aussi des réserves de cuivre dans le sol du Kasaï mais ça n’intéresse visiblement pas Kinshasa. Le pouvoir actuel donne l’impression de vouloir mettre à genoux le Katanga. Alors, pourquoi être uni, si cette union nous coûte aussi cher”, continue un expert qui évoque, du bout des lèvres, une envie d’autodétermination. “Le Katanga ne reçoit rien en échange de ce pillage. Le Lualaba n’a pas de route, pas d’hôpital, pas d’infrastructure et nous sommes la province qui fait encore vivre l’État, tout en engraissant le clan présidentiel.” Certaines structures de la société civile katangaise ne cachent plus “suivre avec attention” la progression des troupes antigouvernementales un peu plus au nord. “Corneille Nangaa, le patron de l’AFC/M23 parle de mettre en place un État fédéral”, explique un membre de la société civile du Lualaba, particulièrement remonté face à la surexploitation illégale des richesses de sa province. “Ces mines sont épuisables. Nous ne pouvons pas accepter ce pillage qui hypothèque l’avenir de nos enfants au profit d’une seule famille. Dans un avenir pas si lointain, si nous n’arrêtons pas ce cauchemar, le Lualaba ne sera plus qu’un grand trou pollué. Pendant que les jouisseurs qui nous pillent aujourd’hui vivront dans leurs palais et voyageront dans des jets privés. Ces gens, qui sont toujours de nationalité belge, vivaient dans la précarité ou de l’aide sociale chez vous. En moins de 7 ans, ils ont construit des fortunes colossales en pillant nos richesses.”

Bientôt une plainte en Belgique



Face à ce pillage, des syndicalistes de la Gécamines et des membres de la société civile ont pris contact avec Me Bernard Maingain, avocat au barreau de Bruxelles. “Je suis en effet saisi en vue de déposer plainte pour les prédations intervenues dans le secteur minier en RDC”, explique-t-il ; “Mes clients se plaignent des prédations qui sont le fait de différents opérateurs économiques, principalement chinois, mais aussi de membres de la famille proche du président de la République Félix Tshisekedi.”

Dans le cadre de cette plainte, le cabinet bruxellois collabore avec un collectif d’avocats congolais en voie de constitution. “Nous envisageons de déposer plainte en RDC mais aussi en Belgique, vu que les membres de la famille concernée sont aussi de nationalité belge”.

“Selon les infos dont je dispose, les faits portent sur des montants colossaux. Ce sont des infractions de corruption, de détournement et de blanchiment. Nous insistons évidemment sur la présomption d’innocence”, poursuit encore Me Maingain qui insiste sur les “conséquences sociales de ces pratiques délictueuses, tragiques pour les travailleurs du secteur minier katangais. On parle de diminution de salaire, de licenciements des personnes victimes d’accident et du non-respect des conventions collectives de ce secteur d’activité. En fait, les seuls qui ne bénéficient d’aucune façon de ce que l’on doit présenter comme un pillage sont les travailleurs et leurs familles. Je suis d’ailleurs très surpris que cette situation désastreuse au niveau humain échappe au radar de certaines personnalités qui se prétendent progressistes en Belgique”.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024