Citation
Dr. Raphael Nkaka
Université du Rwanda
L’enseignement du génocide contre les Tutsi dans les écoles contribue à faire comprendre un génocide par rapport à d’autres massacres. Il contribue à la promotion du savoir sur le génocide, à l’éducation à la citoyenneté en faisant réfléchir sur les thèmes fondamentaux concernant la vie sociale et politique tel que l’impact néfaste de l’idélogie des races appliquée à la société rwandaise à l’occasion de la colonisation et adoptée par l’élite rwandaise à partir des années 1950, la discrimination et la haine entretenues officiellement par les régimes politiques post-coloniaux jusqu’à 1994, mais en même temps l’impact bénéfique des phénomènes comme le bon voisinage, la cohésion sociale et l'unité nationale.
Il contribue à faire comprendre aux élèves qu’un génocide passe par différentes étapes et que celles-ci sont repérables à travers l’histoire européenne et celle du Rwanda, en particulier. De ce point de vue, il aide les élèves à identifier des indices sur l'idéologie du génocide et sur le négationnisme. C’est dans ce cadre que j’ai tenté de réfléchir sur un témoignage sur le génocide afin de vérifier s’il peut constituer une ressource pédagogique pour l'enseignement du génocide contre les Tutsi. C’est cette réflexion que je vais partager avec vous.
Circonstance du témoignage
Au Rwanda, d’avril à juillet chaque année, il y a commémoration du génocide contre les Tutsi. L’agenda de toute cérémonie de commémoration comporte un témoignage de rescapé à travers tout le pays. Ceci implique une quantité inépuisable de témoignages disponibles sur le génocide, ce qui fait surgir un questionnement sur le rôle éventuel de ces témoignages dans la construction du savoir sur le génocide perpétré contre les Tutsi. Parmi les réponses possibles, le témoignage en tant que support pédagogique peut aussi être envisagé dans l’enseignement du génocide. Mais comment accéder à ces témoignages ? Deux voies sont possibles. Un nombre considérable de témoignages sont publiés sur Youtube par le Ministère de l’unité nationale et de l'engagement civique, par des journalistes ou par des particuliers qui veulent revivre les témoignages pendant longtemps. La première voie est de recueillir le témoignage à partir des vidéos publiées sur Youtube. La deuxième est de se rendre soi-même sur le site de commémoration et recueillir le témoignage prononcé en direct au cours des cérémonies. J’ai opté pour la deuxième voie. J’ai assisté à une cérémonie de commémoration dans le district de Nyanza, dans le secteur de Muyira, plus précisément dans la cellule de Nyamiyaga, le 28 mai 2023. J'y suis allé avec l'idée de suivre attentivement le récit d’un rescapé que j’ignorais encore afin de juger s'il peut servir de source à un travail que j’envisageais pour le colloque de Paris qui devait se tenir au mois de septembre 2023. Lorsqu’il a été donné la parole au rescapé, j’ai pris mes dispositions en vue de suivre attentivement son témoignage. Au fur et à mesure qu’il récite son aventure, je me rends compte de la contribution possible du récit en tant que ressource pédagogique dans l’enseignement du génocide dans les écoles.
L'authenticité du récit est garantie par la présence du témoin devant une foule de participants. En plus de cela, le témoin ignore que son récit pourrait servir de support pédagogique, car personne n’est au courant de ma préoccupation, y compris ceux qui étaient assis à côté de moi. Et quand bien même il pouvait en être au courant, il n'était pas à même de deviner ce que je privilégierais dans sa narration. J’ai aussitôt appris que le témoignage était donné en direct sur Youtube et cela me facilita énormément la tâche. Ce qui est intéressant dans la narration, c’est la manière avec laquelle le témoin donne son récit de façon naturelle, sans faire de lecture, et surtout sans interpréter les faits qu’il rapporte, puisqu’il semble en ignorer la signification. Cela suggère que le récit n'a pas été élaboré en avance dans le but de satisfaire une quelconque audience. J’ai alors décidé d’en faire une ressource matérielle importante de mon travail. C’est de cette manière que j’ai recueilli le témoignage dont il va être question. Le témoignage est donné en Kinyarwanda, langue nationale du Rwanda. Il n’a pas été traduit en français, mais ceux qui parlent Kinyarwanda peuvent suivre le récit sur Youtube . La saisie du témoignage et son interprétation peuvent paraître très rudes pour certains, mais rien d'anormal dans une entreprise de recherche.
Le narrateur s’appelle Ndutiye Gabriel, fils de Karanganwa. Il est né à Gahombo, une colline que je connais bien, dans l’ancienne commune de Kigoma, de l'ancienne préfecture de Gitarama, actuellement dans le secteur de Kigoma du District de Nyanza. Il était âgé de 11 ans durant le génocide. Aujourd’hui, il est copropriétaire d’une compagnie de transport de personnes à Kigali. Son aventure durant le génocide se déroule dans le sud du Rwanda à cheval sur les districts actuels de Ruhango et de Nyanza, dans les secteurs de Kigoma et de Ruhango.
Avant de travailler sur le récit, j’ai contacté le témoin pour l’informer de mon projet. Celui-ci fut surpris qu’il y eût un chercheur intéressé dans la foule et m’a donné l’autorisation d'étudier son récit pour des fins pédagogiques, après m’avoir révélé qu'il me connaissait déjà de nom. Je devais ainsi obtenir son autorisation quand bien même le témoignage était déjà publié sur des chaînes Youtube .
Analyse du récit. Ndutiye a été témoin du massacre des Tutsi
Dans son récit, Ndutiye raconte qu’il a vu des incendies d’habitations sur la colline d’en face de Kareba. Alors qu’il se déplace en se dirigeant sur la ville de Ruhango avec son oncle Rusanganwa, celui-ci est tué avec une massue consolidée de clous devenue célèbre sous le sobriquet de Nta mpongano y’umwanzi. Les miliciens Interahamwe l’enfoncent sans pitié à partir des plantes jusqu’au haut des pieds jusqu’ à expiration. Ndutiye continue son chemin à au milieu d’un monde dangereux où il n’est pas certain du lendemain. Lorsqu’il arrive au bureau communal à Kigoma, il tombe sur des miliciens qui chantent en célébrant le massacre de Tutsi. Il parvient à se glisser à côté de la bande sans attirer l’attention. En traversant la route nationale qui relie Kigali et Huye, il aperçoit des interahamwe couper la tête à un Tutsi. Prenant la décision de se réfugier dans une église adventiste à Kaburanjwiri, il est surpris de tomber sur des oiseaux de proie en train de dévorer avec gourmandise les corps des Tutsi tués, En se retirant de cette église, il débouche sur un massacre de Tutsi derrière l’église. Alors qu’il garde les vaches d’un Hutu qui avait accepté de le sauver en lui faisant porter une veste trop large pour sa taille, il est témoin d’un grand massacre de Tutsi dans la vallée de Rugarama. Les bourreaux ne s’intéressent alors pas au berger, étant donné que les vaches appartiennent à un Hutu bien connu de tous.
Ndutiye Gabriel avant le génocide contre les Tutsi
A la veille du génocide, Ndutiye ignore qu’il est Tutsi. Il est plutôt un admirateur du parti MDR, car il est attiré par les « belles chansons » de ce parti accompagnant des danseurs de talent ainsi que par son appellation qui sonnait bien à ses oreilles Il ne se doute pas de la tendance raciste anti-tutsi du parti depuis mai 1960 ni de son rôle idéologique dans les massacres des Tutsi entre 1959 et 1964 et dans la chasse des Tutsi des écoles et de l’emploi en 1973. Il ignore cela , car il est encore à l'école primaire et que, par ailleurs, cette rubrique historique n'est pas enseignée dans les écoles du Rwanda à tous les niveaux. En plus de cela, il n’a pas peur de clamer tout haut qu’il admirait ce parti durant la commémoration du génocide contre les Tutsi.
Pendant le génocide : prise de conscience d’être Tutsi
Au moment où sur la colline d’en face de Kareba, il y a appel au secours, des jeunes Hutu et Tutsi de Gahombo interviennent en synchronisant contre les incendies de maisons. Arrivés là, après un bout de temps, les Tutsi sont surpris de voir leurs voisins Hutu de Gahombo se retourner contre eux. Ndutiye commence à y voir plus clair. Entretemps, il prend refuge chez Rusatsi, un Hutu qui a accepté de le cacher avec son oncle. Un matin, un fils de Rusatsi les prie de déguerpir en leur disant qu’on a dit que si on trouve un Tutsi caché par un Hutu, on donnera l’ordre à ce Hutu de le tuer avant qu’il soit tué en son tour. Ndutiye et son oncle sortent de leur cachette. Arrivés à Ruhango des miliciens Interahamwe demandent à son oncle la carte de parti politique et la carte d'identité. Rusanganwa présente sa carte de Parti Libéral, considéré alors comme un parti de Tutsi et sa carte d'identité avec la mention de Tutsi. Aux yeux des miliciens, Rusanganwa cumule les caractéristiques officielles de l'identité Tutsi pendant le génocide. C’est alors qu’ils le tuent à coups de massue déjà évoqués. Tandis que certains administrent des coups de massue, voilà qu’un autre laisse s'échapper le jeune Ndutiye en lui disant : « Toi tu es encore un petit inyenzi (cancrélat), va-t’en, nous te tuerons après les autres ».
Près du bureau communal de Kigoma sur l’axe Kigali-Huye, une femme lui montre des habitations de Tutsi en le priant de les rejoinder. Arrivé là , Ndutiye Gabriel ne trouve personne. Ces Tutsi étaient déjà massacrés. A Madame Spéciose qu’il demande de le cacher, celle-ci lui répond : « tel que tu ressembles, mon mari te tuerait immédiatement, mais si tu as de l’argent avec toi, il acceptera de te cacher ». Ndutiye déclare avoir cinq mille Frw.Speciose accepte de le garder à la maison En rentrant à la maison, le mari demande : « D'où vient ce serpent ? » Et Spéciose de répondre qu’il a de l’argent. Le mari tend la main au jeune Ndutiye comme pour lui enjoinder de déposer immédiatement la somme d’argent sur sa main. Ndutiye y dépose alors le billet de cinq mille Frw. Une semaine après, le mari le chasse de la maison sous une menace de le tuer.
En quittant cette demeure, il reprend sa randonnée entre la ville de Ruhango, la station d’Electrogaz, un service public fournissant eau et électricité, et le bureau communal de Kigoma, en traversant des champs cultivés et parfois la route nationale et les lieux publics et les lieux de culte comme des églises. Comme il n’a pas de direction claire, il lui arrive de retourner sans le savoir au point de départ.
C’est alors qu’il rencontre une fille toute jeune à qui il demande de l’amener chez elle pour travailler à la garde des vaches. La fille réplique avec colère : « Tu es plutôt Tutsi. Je vais alerter des gens pour qu’ils viennent te tuer ». Ndutiya le supplie avec succès de ne pas de le faire. Il continue ses déplacements incertains et rencontre des gens du nord du pays reconnaissables par leur célèbre interpellation de « Coga mwa ». Il leur dit qu’il n’est pas Tutsi et eux de se moquer de lui comme si la réponse tient d’un secret de polichinelle. Ils saisissent alors une de ses jambes et lui disent qu’ils vont compter jusqu'à trois et que s'il n’a pas encore avoué qu’il est Tutsi, on va lui couper cette jambe. Au moment de prononcer ces paroles, des vaches surgissent d'un buisson à côté d’eux sans qu’ils sachent d'où elles viennent : les miliciens accourent derrière elles pour les saisir laissant sur place le jeune Ndutiye qui poursuit son chemin incertain.
Le voilà encore sur une barrière érigée par des interahamwe pour contrôler le passage des Tutsi. L’un d’eux lui demande : « Tu es Tutsi n’est-ce pas ? » Cette fois, il accepte de l'avouer, puisqu’il ne sert plus à rien de le nier. Un autre lui demande : « quel doit être ton sort ? » Il répond : « Faites de moi ce que vous voulez, je ne crains plus la mort. » Une femme âgée vient à passer près de cette barrière. Un milicien lui demande si elle peut prendre ce jeune avec elle et le protéger pendant au moins une seule nuit. La vieille femme accepte. Arrivés à la deumeure de cette femme, Ndutiye demande au mari de travailler à la garde de ses vaches. Celui-ci refusa car, dit-il, on va te tuer.
Témoignage, outil pédagogique
Témoin des tueries
Le témoignage rend compte des massacres en soulignant le caractère cruel des tueries. Ces massacres visent une catégorie de rwandais, ceux de l’ethnie/race Tutsi. Tous les Tutsi n’ont pas été liquidés, puisqu’il y a eu des survivants à commencer par Ndutiye lui-même. Ces massacres offrent une occasion d’enseigner ce qu’est un génocide en décortiquant l’origine du mot et en donnant le profil de Raphael Lemkin et surtout en se référant à l’article II de la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de genocide. Le témoignage sur les massacres permet d'établir l'authenticité des tueries, mais aussi d'établir que ces massacres constituent un génocide à la lumière de caractéristiques fournies par la Convention des Nations Unies.
Indicateurs d’idéologie du génocide
Il s’agit d’indicateurs d'idéologie raciste contre les Tutsi si on se réfère encore une fois à la définition du racisme donnée par Abert Memmi : « Le racisme est la valorisation, généralisée et définitive, de différences réelles ou imaginaires, au profit de l’accusateur et au détriment de sa victime, afin de justifier une agression ou un privilège » . L’agression dont il s’agit dans ce contexte signifie l'exécution du génocide. En identifiant le Tutsi dans le but de le tuer, les bourreaux valorisent des différences entre les Hutu et les Tutsi au détriment de ces derniers afin de justifier leur mise à mort. Qu’on tienne compte de tout ce qui arrive à Ndutiye et qui lui fait prendre conscience - comme on l’a vu précédemment- qu’il est Tutsi et qu’il doit en payer cher.
Le trait le plus important est son profil physique de Tutsi. Ce profile a été décrit depuis la fin du 19e siècle par des explorateurs, agents coloniaux, religieux et des chercheurs de l’IRSAC, Institut de Recherches Scientifiques en Afrique centrale créé par l’administration belge du Ruanda-Urundi en 1950 et a pris une allure de vérité jusqu'à l'heure actuelle. Considérons seulement les descriptions du profil physique des Tutsi faites par un religieux, Mgr Classe,en 1935 et par deux chercheurs de l’IRSAC, Maquet et Hiernaux, en 1954 .
Classe décrit les Tutsi comme suit :
« ... de grande taille- les hommes de deux mètres et plus ne sont pas rares- ils ont une physionomie agréable, le visage ovale, le nez aquilin, parfois même rappelant de très près la race sémitique ; le cou est long et les attaches sont très fines ; les membres longs plutôt grêles. Leur type se rapproche beaucoup de celui des personnages représentés sur les monuments de l’ancienne Egypte ».
Maquet estime que la taille des Tutsi est élevée, que leurs jambes sont longues et que la teinte de leur peau a souvent une composante rouge. Il estime que le concept de hamite appliqué aux Tutsi est malheureux et suggère d’utiliser celui d’« Ethiopiens ou Ethiopides » qui n’est pas chargé de connotations linguistiques. Quant aux Hutu, ils ont un type semblable à celui des Bantous orientaux et leur aspect grossier contraste avec la finesse des Tutsi. Hiernaux fait une synthèse de traits des Tutsi dans le but de montrer la position anthropologique de la race éthiopide et note que les Tutsi « ont une peau d’un brun rougeâtre plus ou moins foncé, un peu plus claire que celle des nègres environnants, les Hutu. »
On peut rétorquer en affirmant que des Tutsi, des Hutu et des Twa existaient bien avant la pénétration européenne au Rwanda. Ces termes sont, bien entendu, rwandais mais la description qui a été faite de ces identités est plutôt exogène. Réagissant en juin 1957 contre un projet de suppression des mentions Tutsi, Hutu, Twa des documents officiels initié par le roi rwandais Mutara III Rudahigwa, un lecteur anonyme du journal catholique Kinyamateka, s’oppose à ce projet en déclarant que ces races existent depuis longtemps au Rwanda tout en vantant l’intelligence des Européens qui ont su les définir en indiquant leurs origines et leur poids démographiques. Le lecteur demande que ces mentions soient maintenues dans les documents tout en saluant l’intelligence des « Blancs » qui ont su expliquer ces identités . Le lecteur affiche que les rwandais ont appris d’eux qu’ils sont ou de races Tutsi,ou de races Hutu ou de race Twa. Ces appellations n’étaient pas connues du royaume du Rwanda précolonial. Ces descriptions fantaisistes ont pourtant pris corps dans la conscience des rwandais du fait qu’elles étaient données par des européens juges intelligents en dehors de toute évaluation d'intelligence. Comme Mgr Classe et d’autres religieux inculquent des vérités bibliques aux rwandais, il est normal que ces derniers considèrent toutes leurs déclarations comme relevant de la Bible. Ces descriptions sociales sur le modèle racial ont débouché sur une idéologie raciste construite dans le but d’exterminer les Tutsi.
Il est incroyable qu’un individu ou un groupe d’individus puisse cumuler autant de caractères physiques par ailleurs subjectifs et changeant suivant l'âge. C’est pourquoi les miliciens recourent à la carte d'adhésion à un parti politique et à la carte d'identité. C’est alors une occasion de discuter du rôle de la carte d'identité dans la cristallisation des clivages entre Hutu et Tutsi.
Lorsque Ndutiye est hébergé par le mari de Spéciose, ce dernier le désigne par serpent en disant : « D'où vient ce serpent ? ». Une occasion est donnée d’initier les élèves aux différentes phases du génocide et souligner que considérer Ndutiye comme un serpent relève d’une pratique commune aux exécutants du génocide qui ne considèrent pas les Tutsi comme des êtres humains. Il s’agit de la phase de la déshumanisation des Tutsi afin de les tuer sans pitié .
L’intervention des habitants de Gahombo sans distinction d'identité pour éteindre les habitations de Kareba incendiées par des miliciens montre qu’ à ce stade Tutsi et Hutu agissent de facon synchronique avant qu’une propagande de la haine gagne leurs voisins Hutu qui n'hésitent pas à rejoindre le camp des bourreaux. Ceci offre une occasion de constater que Hutu et Tutsi peuvent vivre en harmonie, car même durant le génocide, on a pu constater que des Hutu ont sauvé des Tutsi et que de nos jours cette hostilité est absente dans la société rwandaise. Cela est aussi valuable pour la periode precoloniale . Ce constat permet de nuance une observation de Vansina selon laquelle les Tutsi et les Hutu vivent dans « une hostilite mutuelle ». S’il y a mésentante entre un Hutu et un Tutsi, ceci ne doit pas servir d’argument valable pour affirmer qu’il y a une hostilite mutuelle intemporelle entre Hutu et Tutsi. Quand un Etat dirigé par un poignée de Hutu fait massacrer les Tutsi, il ne convient pas de qualifier cela d’« hostilité mutuelle » entre Hutu et Tutsi.
La construction d’une propagande raciste contre les Tutsi en faveur des Hutu n’a pas gagné tout le monde ni tout le monde de la même façon. C’est pourquoi Ndutiye est sauvé par des Hutu. Certains parmi ces derniers l’ont fait après avoir constaté que le jeune Ndutiye n’est pas une victime « intéressante » face à des personnes adultes, comme d’autres l’ont fait par pure sympathie. Ce qui amène Ndutiye à déclarer que tous les Hutu n'étaient pas mauvais durant le génocide. Cependant , la rapidité avec laquelle le génocide a été exécuté, l’implication des milliers de Hutu dans ce génocide, la propagande raciste contre les Tutsi en faveur des Hutu peuvent amener des gens à considérer faussement que tous les Hutu ont été impliqués dans le génocide contre les Tutsi. Le témoignage de Ndutiye peut servir de resource pour mieux saisir la question.
Ndutiye a appris, après le génocide, que son père Karanganwa a été tué par ses voisins, qu’en le tuant un des bourreaux a déclaré ceci en regardant du sang couler de son corps : « On croyait que c'était du lait qui sortirait de tes veines. Qu’est-ce qui arrive que ce soit du sang comme chez-nous ? »
C’est une déclaration sarcastique qui fait un rapprochement entre les Tutsi et les vaches. Sur le plan idéologique, les vaches sont censées appartenir exclusivement aux Tutsi et ceux-ci sont considérés, par préjugé, comme étant des amateurs naturels de lait si bien que celui-ci en arrive à remplacer le sang dans la circulation sanguine qui deviendrait alors la circulation laitière dans un organisme de Tutsi. Le témoignage de Ndutiye montre, en contrepartie, que des Hutu possédaient également des vaches, car le témoin demande à plusieurs reprises de s’occuper de la garde des vaches pour se camoufler. Il va sans dire que ces vaches appartennent à des Hutu.
Conclusion
L’enseignement du génocide des Tutsi à l’école permet d’initier les élèves à la notion de génocide, sa prévention et sa répression. Il leur permet de comprendre les racines de ce génocide, l’aspect cruel de son exécution, des indicateurs de d’idéologie du génocide qui l’accompagnent ainsi que la difficile gestion de l’après-génocide ou des survivants doivent cohabiter avec ce qu’ils considèrent comme des bourreaux dans le cadre de la réconciliation nationale. Cet enseignement prépare les élèves à identifier les différentes phases d’un génocide afin qu’ils apprenent à éviter de jouer le rôle de complice et surtout de le contrecarrer à temps. Le témoignage donné par Ndutiye Gabriel dans le District de Nyanza le 30 mai 2023 peut contribuer à cet enseignement par les faits qu’il rapporte. Mon travail n’ a pas tenu en considération tous les faits que Ndutiye rapporte. Il s’agit plutôt d’une indication de contenu qui peut servir de support pédagogique dans l’enseignement du génocide et, c’est pourquoi ce témoignage est ouvert à tous les chercheurs qui pourraient amplifier l’analyse du temoignage. En plus de cela, cette présentation peut servir de tremplin à d’autres projets de recherche envisageant de considérer les témoignages de rescapés comme des données importantes de recherche.
©Raphael Nkaka
Bibliographie
CLASSE, Léon , « Un pays et trois races », Grands Lacs, 51e année, LI, 1er mars 1935, p. 139.
HIERNAUX, Jean Les caractères physiques des populations du Ruanda et de l’Urundi, Bruxelles, Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique, 1954, p. 100- 102.
MAQUET, Jacques Jérôme, Le système des relations sociales dans le Ruanda ancien, 1954, p. 22.
MEMMI, A, Le racisme, Paris, Gallimard 1994 (1ere éd. 1982), p. 193.
NTEZIMANA, Emmanuel, « Histoire, Culture et conscience nationale: le cas du Rwanda des origines à 1900 », in Florent Piton et Françoise Imbs (eds) Emmanuel Ntezimana (1947-1995). Etre historien et citoyen engagé au Rwanda, Cahiers Afriques, Sciences Humaines et Sociales, Vol.32, 2021, p. 49-78.
VANSINA, J. Le Rwanda ancien. Le royaume nyiginya, Paris, Karthala, 2001, p.177.
https://www.youtube.com/watch?v=Y3RjZJXoOTo
[Notes :]
Musée Holocauste Montréal, « Pourquoi enseigner l’histoire de l’holaucoste et comment le faire ? »
https://youtu.be/Y3RjZJXoOTo
https://www.youtube.com/watch?v=Y3RjZJXoOTo
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Anonyme, « Turi Abanyarwanda twese » Kinyamateka, 25e annee, no 12, 15 juin 1957, p. 1. no 12, 15 juin 1957, p. 1.
https://www.genocidewatch.com/ten-stages-of-genocide consulté le 1/12/2023.
Emmanuel Ntezimana, « Histoire, Culture et conscience nationale: le cas du Rwanda des origines à 1900 », in Florent Piton et Françoise Imbs (eds) Emmanuel Ntezimana (1947-1995). Etre historien et citoyen engagé au Rwanda. Cahiers Afriques, Sciences Humaines et Sociales, Vol.32, 2021, p. 49-78.
Jan Vansina, Le Rwanda ancien. Le royaume nyiginya, Paris, Karthala, 2001, p. 177.