Fiche du document numéro 34811

Num
34811
Date
Mercredi 29 janvier 2025
Amj
Taille
1147351
Titre
Prise de Goma : Félix Tshisekedi au pied du mur
Sous titre
Après la prise de Goma par le M23, Félix Tshisekedi tente de colmater dans l'urgence certaines failles de son système sécuritaire. Dans le même temps, de Nairobi à Paris, les efforts se multiplient pour tenter d'obtenir un cessez-le-feu.
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M23
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Des membres du groupe armé M23 marchent dans une rue de Goma, le 27 janvier 2025. © STR/AFP

Drones d'attaque, véhicules blindés et troupes d'élite, l'ampleur de l'assaut lancé sur Goma le 26 janvier par la Rwanda Defence Force (RDF) en appui du M23 a pris de court le pouvoir congolais. Face à une telle puissance de feu, les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et leurs supplétifs n'ont pas pu tenir le rapport de force. Des éléments des groupes armés coalisés au sein des "Wazalendo" ont résisté vaille que vaille. À plus de 2 500 km à l'ouest, à Kinshasa, le président congolais, Félix Tshisekedi, comprend qu'il n'a plus de capacités militaires ni de leviers diplomatiques à mobiliser. La capitale provinciale du Nord-Kivu a fini par passer sous contrôle du M23.

Le chef de l'État se rend cruellement compte des failles de son système et s'en prend à l'establishment militaire. Il accuse ses généraux de détournements de fonds et d'avoir profité, durant ces trois dernières années marquées par l'occupation de Bunagana par le M23, des milliards de dollars consacrés à l'effort de guerre (AI du 15/11/24). Dans son viseur, se trouve notamment le général Christian Tshiwewe, le chef d'état-major des armées, qu'il a limogé le 19 décembre. Ce dernier avait annoncé, en 2023, un renfort de 40 000 nouvelles recrues censées renforcer les rangs des FARDC dans les provinces orientales. Une enquête interne a récemment révélé que ce nombre s'élevait en réalité à 13 000 unités, soit un écart de 27 000 personnes, et autant d'armes légères et d'uniformes.

Vain espoir

Autre haut responsable militaire suspecté d'avoir abusé des financements pour l'acquisition d'équipements : le chef de la Maison militaire du chef de l'État, le général Franck Ntumba. Ce dernier a eu la haute main sur une partie des commandes de matériel confiées à une myriade de courtiers. Parmi ceux-ci, le Sud-Africain Robert Gumede, avec sa société Afrika Shield, la société émiratie TAG ou encore des fournisseurs d'Europe de l'Est, via des facilitateurs.

Il a été l'un des points de contact privilégiés des instructeurs français d'Agemira et roumains de Congo Protection, chargés de la formation des troupes et, pour les premiers, de l'entretien des aéronefs et de l'acquisition d'appareils de guerre. Ces anciens militaires reconvertis dans le privé devaient également combattre en cas d'attaque de Goma par le M23. Mais n'ont pas été davantage capables de contrer la puissante offensive de l'armée rwandaise.

L'espoir de structurer une armée en temps de guerre à coups de formations onéreuses assurées par des Israéliens et des Européens s'est révélé vain. Les forces spéciales des FARDC déployées dans les environs de Goma n'ont pas réellement combattu l'ennemi. Plusieurs autres contingents ont vu certains de leurs éléments préférer se rendre à la mission onusienne en RDC (Monusco) ou franchir la frontière du centre-ville de Goma pour passer du côté rwandais.

Détournements massifs de fonds

D'autres ont choisi de vendre leurs armes au M23, rappelant ainsi au pouvoir de Kinshasa que de nombreux militaires ne perçoivent pas leurs maigres soldes chaque mois en raison des détournements massifs des fonds alloués. Localement, à Goma, le gouverneur militaire, le général major Peter Cirimwami, tué fin janvier, avait orchestré un système parallèle affairiste et étroitement lié à la nébuleuse de groupes armés, dont les Forces démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) constituées d'anciens génocidaires des Tutsis en 1994.

Le ministre de la défense en fonction depuis mai 2024, Guy Kabombo Mwadiamvita, se retrouve lui aussi sur la sellette, mais pour son atonie et pour sa méconnaissance de la situation comme de l'armée. Le successeur de Jean-Pierre Bemba s'est révélé totalement effacé, à tel point que le président Tshisekedi cesse désormais de consulter cet ancien infirmier de son défunt père. Le chef de l'État compose actuellement une équipe restreinte pour gérer cette crise, en lien étroit avec son frère Jacques Tshibanda Tshisekedi, coordinateur de la sécurité interne de la présidence. Tout en pensant à un léger remaniement de son gouvernement, pressenti depuis plusieurs semaines.

Autour du chef de l'État s'affinent plusieurs doctrines sur la conduite à adopter. Avec d'un côté les "jusqu'au-boutistes", qui plaident pour l'officialisation de l'état de guerre avec le Rwanda et prétendent que les FARDC sont plus que jamais déterminées à en découdre. Ils se heurtent néanmoins à une délicate réalité : l'armée, plus fragilisée que jamais, n'a ni les capacités ni l'équipement pour se lancer dans une guerre. Et ce d'autant que la perte du contrôle de l'aéroport de Goma, essentiel pour acheminer le matériel militaire, rend extrêmement complexe le volet logistique.

Canal de négociation

Les stratèges de Kinshasa craignent désormais que la RDF et le M23 s'attaquent aux autres aérodromes de la zone, dont le site militaire de Kavumu, près de Bukavu, ce qui réduirait considérablement les capacités de riposte, mais aussi de mise en œuvre des stratégies de défense.

À la présidence, d'autres conseillers, beaucoup plus discrets, prônent en privé la nécessité d'établir un canal de négociation avec le M23 et le président rwandais, Paul Kagame. Seule manière à leurs yeux d'éviter un effondrement du pouvoir dont tirerait profit une opposition renforcée par l'alliance de circonstance entre le magnat Moïse Katumbi et l'ancien président Joseph Kabila. Cette ligne est toutefois à rebours du discours officiel, qui exclut tout contact avec le M23.

Dans le secret, des responsables sécuritaires et du renseignement congolais composent une équipe d'émissaires chargés de prendre contact avec l'ennemi. Mais cette initiative est tardive. Quant à des négociations directes avec le Rwanda, Kinshasa les conditionne toujours à un retrait préalable des troupes du M23 et de la RDF. Kinshasa continue de reprocher à Paul Kagame d'avoir tout fait pour empêcher ce retrait dans le cadre du processus de médiation lancé par l'Angola pour le compte de l'Union africaine (UA).

Diplomatie de crise

Depuis la prise de Goma par le M23, le président Tshisekedi s'est entretenu avec plusieurs chefs d'État de la région, à l'image du Sud-Africain Cyril Ramaphosa et de l'Angolais João Lourenço, de même qu'avec des partenaires occidentaux, comme le Français Emmanuel Macron, principal allié européen de Paul Kagame. À chaque fois, il a tenté d'invoquer le droit international et ses violations multiples par le Rwanda, réclamant des sanctions ciblées des Nations unies contre Paul Kagame et ses stratèges. Le 26 janvier, lors de la réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU présidé par l'Algérie, celle-ci a, comme la Sierra Leone, bloqué la déclaration finale citant le Rwanda comme agresseur. Pour Alger, l'une des explications réside dans le rapprochement entamé par le président Tshisekedi avec le Maroc et le soutien qu'il a continué à apporter à Israël.

L'armée sud-africaine, déployée au sein de la Force régionale de la Southern African Development Community (SADC), enregistre treize soldats tués. Cyril Ramaphosa s'est entretenu avec son homologue rwandais pour convenir de la nécessité d'un cessez-le-feu. De son côté, Félix Tshisekedi ne compte pas se rendre au meeting de l'East African Community (EAC) convoqué le 29 janvier par son homologue kényan, William Ruto, avec qui il entretient une relation particulièrement tendue. Le président congolais avait ainsi remercié la force régionale de l'EAC pour se tourner vers la SADC, qui n'a toutefois pas su agir pour endiguer la progression du M23.

Absence de doctrine claire

Sur le plan diplomatique, la présidence Tshisekedi a fini par user de nombreux partenaires, tant au niveau régional qu'au niveau occidental, irrités par les promesses non tenues et l'absence de doctrine claire. Le tempo de l'offensive militaire de Paul Kagame coïncide par ailleurs avec une Union africaine dans l'attente de l'élection de son prochain président de la Commission.

Côté français, le président Emmanuel Macron a multiplié les entretiens téléphoniques avec plusieurs de ses homologues de la sous-région tout au long du week-end des 25 et 26 janvier, alors que Goma menaçait de tomber. Son ministre des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, est théoriquement attendu à Kinshasa ce 30 janvier. Un déplacement prévu de longue date, désormais hypothéqué par la situation très volatile sur place. Le cabinet du chef de la diplomatie française devait trancher dans la soirée du 28 janvier sur le maintien ou non de cette visite.

À la Maison blanche, l'installation en cours de l'administration Donald Trump, qui n'a pas encore annoncé son équipe Afrique (AI du 17/01/25), fragilise le suivi de la crise. Dans l'espoir d'être entendu, Jacques Tshibanda Tshisekedi prévoit de se rendre dans les prochains jours à Washington en compagnie de l'ancien haut représentant du chef de l'État, Serge Tshibangu. Ils risquent cependant de devoir s'expliquer sur les dernières attaques par des groupuscules liés au parti présidentiel de plusieurs ambassades à Kinshasa, dont celle des États-Unis.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024