Citation
Cette journée du lundi 16 décembre 2024 a été consacrée aux plaidoiries de la défense. Me Altit a été le premier à prendre la parole pour introduire les plaidoiries. Il a commencé par une pensée aux victimes de cette tragédie du génocide au Rwanda. Me Altit a ensuite critiqué les témoignages qu’a reçus la Cour ces dernières semaines. Selon lui, aucun témoin n’aurait eu un discours cohérent, sans contradictions. La caractéristique unique de ce procès est de n’être fondé que sur des témoignages, l’accusation n’a apporté aucun élément objectif. De plus, tous les témoignages à charge se ressemblent. Pourquoi ? Parce qu’ils n’auraient pas le choix, ils seraient apeurés. Il cite notamment Mathieu Ndahimana et Israël Dusingizimana comme étant en partie les responsables de ces pressions. D’ailleurs, il qualifie ces deux témoins comme les « témoins stars » de l’accusation. Les avocats généraux ne se seraient reposés quasiment que sur eux, le reste des témoignages ne seraient que venus enrichir un récit fabriqué.
Me Altit a critiqué le fait qu’il n’y ait aucune preuve matérielle s’agissant de la présence d’un hélicoptère ou du mortier de 60 par exemple. Aucune expertise sur le terrain n’a été faite, malgré les nouvelles technologies qui permettent de vérifier la véracité de bombardements des années plus tard. Plus globalement, Me Altit critique la manière dont l’enquête a été menée. Cette enquête ne permettrait pas aujourd’hui de conclure avec certitude à la culpabilité de l’accusé. Et s’il y a doute, il doit profiter à l’accusé. Il dit aux jurés : « rapportez-vous aux faits seulement aux faits, et vous serez dans le vrai ». Il parle par exemple de la chaine hiérarchique au sein de la gendarmerie de Nyanza, où, au regard de l’organigramme, Philippe Hategekimana n’est ni un haut gradé ni le numéro 2. Des Tutsi étaient d’ailleurs plus gradés que lui. Me Altit demande également de prendre en compte la réalité du régime rwandais, qui n’est pas le pays normal et démocratique que l’on a essayé de nous présenter. Il rappelle à ce titre les milliers de menaces reçues par Michaela Wrong la veille de son témoignage. Pour l’avocat, Philippe Hategekimana serait « le jouet d’événements qui le dépasse ».
Me Guedj a qualifié les récits de « plus rocambolesques les uns que les autres ». Philippe Hategekimana serait victime d’un acharnement, d’une diabolisation. L’objectif de Me Guedj va être de démontrer que la raison, la logique et le bon sens sont à eux seuls à même de prouver qu’il n’a joué aucun rôle dans les actes dont on l’accuse. Il présente l’accusé comme non pas un guerrier mais un amoureux de sport. Il aurait été connu dans la gendarmerie pour sa qualité d’éducateur physique et sportif, pas pour être quelqu’un de violent. Pour l’avocat, le rôle de la gendarmerie de Nyanza dans le génocide a été exagéré et fantasmé. Plusieurs gendarmes Tutsi de la gendarmerie sont encore en vie, notamment Angélique Tesire qui a été entendue. De plus, jusqu’en 1994, le Rwanda était sous embargo. Les FAR n’étaient pas du tout bien équipées contrairement à l’APR qui était lourdement armée. La gendarmerie de Nyanza ne disposait que d’un seul très vieux mortier de 60 mm qui ne fonctionnait pas. Philippe Hategekimana n’était même pas habilité à le sortir seul. Encore une fois, Me Guedj va qualifier l’expertise de Pierre Laurent sur l’utilisation du mortier d’expertise de salon. Finalement, pour l’avocat, ce n’est pas la gendarmerie mais plutôt les autorités administratives qui auraient joué un rôle moteur dans le génocide et qui auraient incité les civils à tuer les Tutsi.
S’agissant du meurtre du bourgmestre Nyagasaza et du groupe de civils Tutsi, l’accusé n’aurait joué aucun rôle, puisqu’il était déjà parti de Nyanza. Philippe Hategekimana ne se serait jamais contredit sur la date de son départ : il a toujours indiqué être parti durant la deuxième quinzaine du mois d’avril. De plus, les témoins se sont tous contredits sur le meurtre du bourgmestre, que ce soit sur son arrestation, la position qu’il avait quand il a été abattu ou sur qui a tiré. Pour l’avocat cela n’a pas de sens car c’est normalement un évènement qui marque. Au regard de ces contradictions et du télégramme envoyé par le sous-préfet de Nyabisindu qui désigne la population comme étant coupable du meurtre, Me Guedj demande l’acquittement de son client pour ce fait. Il demande également l’acquittement pour l’attaque de la colline de Nyabubare au vu de la faiblesse des preuves selon lui. Il critique le fait que l’implication de Philippe Hategekimana dans cette attaque repose uniquement sur des témoignages. Selon lui, ces témoignages ne devraient pas être pris au sérieux car quasiment tous ont été informés que Biguma était présent par Israël Dusingizimana.
Me Lotte a ensuite parlé des attaques de Nyamure et de l’ISAR Songa. Les apparences seraient selon lui contre Monsieur Manier. « Les innocents sont toujours ceux qui se défendent le plus mal » affirme-t-il. Philippe Hategekimana s’exprimerait très mal, au lieu d’aller droit au but ; il prend des chemins sinueux pour s’expliquer. Cela donne ainsi l’impression qu’il n’est pas cohérent. Un autre élément qui fait que les apparences sont trompeuses, c’est le nombre de témoignages. Ceci donne un « effet de masse » au dossier. Ce nombre serait la « colonne de l’accusation », puisque la seule différence entre les faits pour lesquels il est poursuivi et ceux où un non-lieu a été prononcé est le nombre de témoignages à charge. Me Lotte va reprendre un par un, les témoignages concernant les sites de Nyamure et de l’ISAR Songa. Il relève que beaucoup relatent ce que leur a raconté Mathieu Ndahimana. Il compare l’accusé au monstre du Loch Ness : tout le monde en a entendu parler mais personne ne l’a vu. Les témoins ont été contaminés par de « graves menteurs »
Pour Me Lotte, rien de tout ça ne suffit à le condamner. Il répète que Philippe Hategekimana s’exprime très mal ce qui donne une mauvaise impression de lui. Il explique qu’il ne va jamais droit au but car « il ne comprend jamais rien ». Il s’adresse à la Cour et aux jurés : « Vous devez l’acquitter, c’est votre rôle, votre devoir. […] Rien est évident, prenez le temps et ayez du courage. Vous acquitterez Philippe Hategekimana au vu de l’évidence ».
L’après-midi, alors que Me Altit devait reprendre la parole, Me Lotte l’a remplacé car il souffrait d’une extinction de voix. Il est revenu sur la date de départ à Kigali de l’accusé. S’il s’est contredit sur la date exacte de son départ, il a toujours dit être parti fin avril. Il faut d’ailleurs prendre en compte deux dates : sa date de départ de Nyanza d’une part et la date où il a été affecté à la protection du colonel Rutayisire d’autre part. Son affectation auprès du colonel a eu lieu plus tard, en mai. Me Lotte rappelle qu’il avait dès 2020 annoncé la date du 19 avril dans une audition. De plus, selon un compte rendu d’Ibuka France, l’accusé a également donné cette date en première instance. Me Guedj a clôturé les plaidoiries de la défense. Il est revenu sur la réunion qui aurait eu lieu le 22 avril au stade de Nyanza à laquelle l’accusé était présent et aurait recruté et donné des armes aux miliciens. Or, cette réunion n’aurait jamais eu lieu. Me Guedj s’appuie sur une décision de la Chambre de première instance du TPIR du 20 mai 2011 dans l’affaire du général Ndindiliyimana qui affirme que les faits concernant cette réunion n’étaient pas établis.
Me Guedj termine par dire que le génocide des Tutsi est une abomination qu’aucune prière, aucun pardon, rien ne pourra jamais réparer. Une forme de réparation devrait être offerte par la justice, mais une justice qui doit respecter le droit à un procès équitable. Philippe Hategekimana ne doit pas être condamné sur des présupposés, il ne devrait pas y avoir de doute. Sa culpabilité doit être évidente. « Vous savez que ce n’est pas le cas » rajoute-t-il. « Prenez votre responsabilité en votre âme et conscience ». Me Guedj affirme que Philippe Hategekimana est un homme bien qui ne montre pas sa peine mais qui est meurtri par ce qu’il s’est passé à cette période. Il demande donc l’acquittement pour l’ensemble des charges qui pèsent contre lui.
Par Léna JAOUEN, Stagiaire Commission Justice Ibuka France