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Deux verdicts relatifs au génocide des Tutsi·es du Rwanda en 1994 ont été rendus cette semaine à Paris. Le premier condamne l’auteur franco-camerounais Charles Onana pour « complicité de contestation publique de l’existence d’un crime contre l’humanité ». Le second confirme le non-lieu délivré en octobre 2023 dans le cadre d’une plainte pour complicité par inaction contre des militaires français de l’opération militaro-humanitaire Turquoise, déployée au Rwanda entre juin et août 1994.
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Le 9 décembre, Charles Onana a donc écopé d’une amende de 8 400 euros. Son éditeur, Damien Serieyx, des Éditions du toucan, doit s’acquitter d’un chèque de 5 000 euros. Les deux accusés, qui ont fait appel, doivent par ailleurs verser 11 000 euros aux parties civiles, l’association Survie, la Ligue des droits de l’homme (LDH) et la Fédération internationale des droits humains (FIDH), à l’origine de la plainte déposée en 2020.
Plusieurs passages du livre Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise. Quand les archives parlent (paru en 2019) étaient visés : selon Charles Onana, « le conflit et les massacres du Rwanda n’ont rien à voir avec le génocide des Juifs ! » et « la thèse conspirationniste d’un régime hutu ayant planifié un “génocide” au Rwanda constitue l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle ». Lors du procès, la procureure avait déclaré que l’essayiste avait « clairement dépassé les limites de la liberté d’expression » en « minorant » et en « banalisant » l’existence du génocide contre les Tutsis. En France, Onana est régulièrement cité par des militaires et des politiques français, parmi lesquels Hubert Védrine, secrétaire général de l’Élysée pendant le génocide, ainsi que le raconte Afrique XXI.
Deux jours après cette condamnation, le 11 décembre, la justice française a en revanche décidé qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes pour poursuivre les cinq militaires de l’opération Turquoise accusés d’inaction entre le 27 et le 30 juin 1994 à Bisesero.
En juin 1994, des milliers de Tutsi·es se réfugient sur cette chaîne de collines du nord du Rwanda et subissent les attaques de militaires et de miliciens hutus. Le génocide, qui fera près de 1 million de victimes entre avril et juillet 1994, bat son plein. À quelques kilomètres de là se trouve une base de l’opération Turquoise déployée dans le pays le 22 juin. Dès le 27 juin, des militaires qui se sont rendus à Bisesero et qui ont promis aux réfugié·es de revenir au plus vite préviennent leur hiérarchie de ce qu’ils ont vu et l’informent de la menace qui pèse sur ces déplacé·es. Mais les Français n’interviendront que trois jours plus tard, condamnant à mort des centaines de Tutsi·es.
Les parties civiles – des rescapé·es, l’association Survie, la FIDH, la LDH et Ibuka, qui défend les victimes du génocide – n’excluent pas de porter l’affaire devant la Cour de cassation. Pour Survie, cette nouvelle décision est « un déni de justice pour les rescapé·es et les familles des victimes ». Pour Patrick Baudouin, l’avocat de la FIDH, « ce n’est pas une surprise [au vu des] résistances pour mettre en jeu la responsabilité des militaires et à plus forte raison des autorités publiques françaises ». Il y a quelques semaines, le Tribunal administratif s’était d’ailleurs déclaré incompétent pour juger les actions ou inactions des autorités françaises pendant le génocide des Tutsi·es...
Comme un symbole des ambiguïtés françaises, le général Jean-Claude Lafourcade, qui fut le chef de l’opération Turquoise, est apparu dans les deux dossiers : accusé dans l’affaire Bisesero, il a été cité comme témoin par la défense de Charles Onana.