Fiche du document numéro 34733

Num
34733
Date
Jeudi 12 décembre 2024
Amj
Auteur
Taille
0
Titre
Procès en appel de Philippe Manier à la Cour d’assises de Paris - Jour 27
Sous titre
Compte rendu de l’audience du mercredi 11 décembre 2024
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Page web
Langue
FR
Citation
Cette journée d’audience a commencé par le versement au débat par le ministère public du jugement de Charles ONANA de lundi 09 décembre ainsi que d’un article de The Rwandan qui traite de ce jugement, et qui est assez parlant sur sa ligne éditoriale. Me Guedj a tenu à rappeler que Charles Onana avait interjeté appel et reste donc présumé innocent. Eux n’ont d’ailleurs pas souhaité faire citer « ce personnage » car ils ne sont pas dans sa ligne de pensée. Le Président a donné la parole à Philippe Hategekimana, qui a déclaré encore une fois que sa sœur s’était mariée à un Tutsi, et que leurs enfants, Tutsi, étaient devenus comme les siens.

Le Président s’est étonné que sa famille ne soit jamais venue aux audiences et n’a jamais demandé à être entendue par la Cour, contrairement à la plupart des procès en Cour d’assises. L’accusé a expliqué que c’était parce qu’il était le responsable, c’est lui l’accusé. Il a rappelé que certains de ses enfants étaient à l’étranger et que sa femme était très malade. Le Président lui a demandé ensuite comment, selon lui, cela se faisait qu’il y ait autant de témoins qui l’accusent dans ce procès. Il a répondu qu’il s’agissait d’un « grand travail fait par ses détracteurs », c’est un complot.

L’interrogatoire de l’accusé s’est poursuivi par la question de l’attaque de Nyabubare. Le Président a rappelé les déclarations de François Habimana, mais l’accusé a nié toute implication dans cette attaque. Il ne connait ni François Habimana ni son beau-frère Vincent. Toutes ses déclarations auraient été préparées en avance, bien qu’il croie en sa souffrance et en sa tristesse. Le Président a repris les unes après les autres les auditions de témoins et de parties civiles sur cette attaque. À ceux qui ne l’ont pas vu directement, il répond qu’il ne peut pas répondre aux « on dit ». Le reste, il ne peut pas non plus répondre car il n’était pas présent. S’agissant des déclarations d’Israël DUSINGIZIMANA, il déclare que c’est un grand complotiste qui fait un grand travail contre lui en prison. Il a évoqué à ce titre Cyriaque HABYARABATUMA, qui a été convaincu par Israël pour témoigner contre lui et dire qu’il était un extrémiste. Globalement, l’accusé va répondre aux questions de la Cour qu’au Rwanda il y aurait « une école pour préparer les témoins » : aucune mise en cause dans ce procès n’a pas été préparée selon lui. La défense a d’ailleurs souhaité préciser sa position s’agissant des témoins. Me Lotte a affirmé que parmi les témoignages il y avait des menteurs professionnels (Israël Dusingizimina, Mathieu Ndahimana) et que beaucoup de témoins avaient eu des discours stéréotypés, racontaient des « oui dire ». Les questions à l’accusé se sont ensuite portées sur sa connaissance des armes et de leurs maniements. Il a expliqué avoir reçu une formation à l’ESO pour manier les fusils, mitrailleuses, mortiers. Toutefois, ça ne veut pas forcément dire qu’il les maitrisait, surtout que sa formation avait eu lieu longtemps avant. Il affirme qu’il n’y avait pas d’entrainement de ce genre au camp de la gendarmerie de Nyanza.

S’agissant de l’attaque de Nyamure, le Président a commencé avec le témoignage de Valens BAYINGANA. Philippe Hategekimana va répéter toujours la même chose : le témoin ment et il n’était pas là. Même Julienne NYIRAKURU, 10 ans au moment du génocide, qui l’a vu de ses yeux prendre la parole et se présenter en disant « moi, Biguma », mentirait. Biguma est, pour lui, un nom commun « qui doit être connu par tout le monde ». Il ne voit pas le lien entre son surnom et les témoignages. Pour lui, Mathieu NDAHIMANA et Israël DUSINGIZIMANA sont les mêmes, ils sont proches du pouvoir et ce sont eux qui rassemblent les prisonniers pour faire ces accusations. L’affaire Manier serait devenue une sorte de travail pour certains. Israël et Mathieu Ndahimana vivraient très bien en prison, même mieux que lui en France. Le Président et les parties civiles ne comprennent pas, puisque la défense n’a de cesse de verser des pièces sur la pratique courante de la torture dans les prisons au Rwanda. Me Philippart lui a rappelé la thèse défendue par ses avocats selon laquelle Israël et Mathieu Ndahimana auraient tué le bourgmestre Nyagasaza et l’aurait accusé à tort. L’avocate se demande quel aurait été l’intérêt pour eux de l’accuser lui, sachant qu’ils ont reconnu et plaidé coupable pour des faits beaucoup plus importants et plus meurtriers. L’accusé a affirmé que c’était pour couvrir ce qu’ils avaient fait, mais pour l’avocate, cela n’a pas de sens. Monsieur Hategekimana ne fera pas de commentaires sur les autres témoignages lus par le Président, y compris ceux à décharge.

La défense a terminé la matinée par la lecture d’un rapport de HRW de 2024 sur la pratique courante de la torture et des mauvais traitements dans les prisons rwandaises. Les parties civiles ne comprennent pas alors les déclarations de Monsieur Hategekimana sur les conditions de détention de Mathieu Ndahimana et d’Israël Dusingizimana.

Concernant le site de l’ISAR Songa, l’accusé a déclaré ne pas avoir été là et d’ailleurs ne pas savoir exactement ce qu’on lui reproche. Le Président a alors rappelé le récit des témoins et parties civiles devant la Cour, notamment Philippe NDAYISABA et Léonard PFUKAMUSENGE. Aucun ne l’a reconnu sur les lieux mais certains parlent d’un véhicule de la gendarmerie sur les lieux. Comme il s’agit uniquement de « on dit », l’accusé n’a pas souhaité faire de commentaires. Ces témoignages ne sont pour lui pas crédibles. Il a affirmé ensuite que la gendarmerie n’avait jamais disposé d’un hélicoptère. L’accusé a globalement donné très peu de réponses aux questions posées par les parties civiles et le ministère public.

Le Président a abordé ensuite les six témoignages qui portent sur la participation de l’accusé à des réunions. Lui conteste avoir participé à des réunions. Il n’aurait même jamais vu le préfet Habyarimana à Nyanza. Me Bernardini a confronté l’accusé à ses déclarations devant le juge d’instruction pour en savoir plus sur la chaine de commandement au sein de la gendarmerie de Nyanza, mais ce dernier n’a pas souhaité répondre. Le Président a ensuite demandé à l’accusé, pourquoi est-ce que lors dans cet interrogatoire il a fait comprendre au juge qu’il était présent à Nyanza au début des massacres. Il a répondu qu’il n’était pas présent lors des grands massacres. Pourtant, devant le juge d’instruction, il avait affirmé avec assurance d’être parti le 25 avril. Il dit qu’il s’est trompé de date à cause de la pression.

Le Président a ensuite abordé la question des fausses accusations et notamment l’existence d’un second Biguma. Quasiment toutes les personnes à qui la question a été posée ont affirmé qu’il n’y avait pas d’autre Biguma adjudant-chef. Seulement Odette MUKANYARWAYA parle d’un Biguma assistant médical. Léonard PFUKAMUSENGE a également parlé d’un Biguma mais qui est un simple agriculteur. Il y a également un jugement d’une Gacaca qui parle d’un côté de Biguma et d’un autre de Philippe Hategekimana. Aucun commentaire n’a été fait sur cette question. S’agissant des fausses accusations, le Président n’a pas froidement posé de questions là-dessus étant donné la longueur déjà des débats sur ce sujet depuis le début du procès. Il a simplement rappelé à la Cour que le Rwanda était le seul pays au monde à accepter que des autorités étrangères procèdent seules à des interrogatoires de leurs ressortissants.

Le Président a demandé ensuite des précisions sur les Tutsi que l’accusé dit avoir sauvés lors du génocide. Il raconte avoir sauvé François MVUYEKURE (qu’il a confondu au départ avec Charles MPORANYI), sa femme et ses petits-enfants, les a emmenés à l’hôtel des Mille Collines. Le Président a également précisé que ce n’était pas un sauvetage qu’il avait fait de sa propre initiative, mais sur instruction du colonel Rutayisire. Il aurait également sauvé deux enfants Tutsi d’un de ses amis et les a emmenés à Kigali. Il a également déclaré pour la première fois avoir sauvé Emmanuel Habimana, le petit-frère du secrétaire général du MRND, Bonaventure Habimana. Toutefois, les parties civiles ont rappelé qu’il n’était pas Tutsi mais un Hutu modéré. Philippe Hategekimana a tenu à mentionner les enfants Tutsi de sa sœur ainsi que les oncles de sa femme, Tutsi eux aussi.

S’agissant de ce qu’il s’est passé après les faits, l’une des conseillères lui a demandé pourquoi est-ce qu’il avait attendu 19 ans pour voyager et aller au Cameroun, au moment même où il savait qu’il risquait d’être inquiété par la justice française. Il a répondu avoir simplement exercé sa liberté de mouvement. Il n’y aurait aucun lien entre ce voyage et une éventuelle fuite.

L’avocate générale lui a demandé pourquoi avait-il dit au juge d’instruction être allé au Cameroun pour rendre visite à sa fille et non pour participer aux activités d’une association comme indiqué sur son visa. L’accusé a répondu qu’il s’agissait de sa vie personnelle et qu’il ne voyait pas pourquoi l’expliquer au juge.

La Cour a ensuite visionné le documentaire « Rwanda, vers l’apocalypse » à la demande de Me Bernardini. Diffusé sur France 5 à l’occasion des commémorations du 30ème anniversaire du génocide des Tutsi au Rwanda, ce documentaire revient sur la genèse du génocide et les mécanismes qui y ont mené. La journée de demain sera consacrée aux plaidoiries des parties civiles.

Par Léna Jaouen, Stagiaire Commission Juridique Ibuka France

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024