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Ce mardi 10 décembre 2024, l’audience à l’encontre de Monsieur HATEGEKIMANA a repris avec l’interrogatoire de l’accusé. L’interrogatoire, réparti sur deux jours, est divisé en treize parties.
I- Les crimes contre l’humanité au niveau national et local
Tout d’abord, l’accusé a été interrogé sur les crimes contre l’humanité au niveau national et local. L’accusé affirme qu’il y a eu un génocide au Rwanda. Il considère que cela est arrivé à cause des dirigeants politiques qui ont « motivé et incité les gens à le faire » à travers le discours prononcé le 19 avril, entendu lorsqu’il était au camp Kacyiru. Le Président de la Cour relève que c’est la première fois depuis le début de l’instruction que l’accusé soutient qu’il était à Kigali le 19 avril.
Revenant sur l’attaque de 1990, l’accusé considère que le FPR, en attaquant, a « ignoré qu’il avait des frères et sœurs Tutsi et il n’a pas imaginé qu’il pouvait y avoir des représailles sur eux ». En outre, il dit ne pas se rappeler l’existence de massacres à l’encontre de Tutsi entre 1990 et 1994, il reconnait néanmoins une ségrégation à l’encontre des Tutsi, les empêchant notamment d’étudier. Il soutient que pour lui l’ennemi était le FPR qui avait attaqué de l’extérieur.
Interrogé, il affirme que tous les « Tutsi de l’intérieur » étaient potentiellement militants ou membres du FPR car ils avaient la même appartenance ethnique, mais précise que cela ne signifie pas que tous les Tutsi soutenaient l’attaque du FPR.
Interrogé sur la préparation du génocide, l’accusé indique que selon lui celui-ci a été improvisé, car si « cela avait été préparé il ne resterait pas » de Tutsi. Il ajoute se référer aux instances internationales qui, selon lui, affirment que le génocide n’a pas été planifié. Le Président de la Cour infirme ces propos, soulignant que les instances n’affirment pas que cela n’a pas été planifié, ce à quoi l’accusé répond : « voilà c’est comme cela que je pense ». Monsieur HATEGEKIMANA affirme se considérer comme un Hutu modéré parce qu’il aurait été menacé dans son unité. Il précise que c’est son statut de gendarme qui l’aurait protégé pendant le génocide durant lequel les Hutu modérés étaient aussi visés. Il soutient que les différentes attaques à la colline de Nyabubare, de Nyamure, de Karama, à l’ISAR Songa constituent des crimes contre l’humanité. Il précise qu’il n’a pas assisté à ces différentes scènes.
Interrogé sur les acteurs présents, l’accusé affirme que les autorités administratives étaient impliquées mais déclare ne pas savoir si c’était le cas des gendarmes et des militaires car il n’était pas là. Il lui est alors demandé comment il peut affirmer la présence des autorités administratives s’il n’était pas là, et non pas celle des gendarmes et militaires. Il rectifie alors ses propos en indiquant que tout le monde était impliqué à Nyanza dans le génocide, autorités administratives et gendarmes, et ajoute : « à ce moment je n’y étais pas, si j’avais été là j’aurais été avec eux ».
Interrogé sur ces propos, il dit qu’il n’aurait pas suivi les gendarmes dans le génocide, car « il n’a pas un esprit génocidaire ». Il explique avoir voulu résister au génocide en sensibilisant les gendarmes. Il soutient avoir vu des personnes mortes à Kigali, mais ne saurait pas dire comment elles ont été tuées. Il affirme en outre n’avoir assisté à aucun mauvais traitement pendant le génocide.
II- L’action de la gendarmerie au niveau national
L’accusé a ensuite été interrogé sur l’action de la gendarmerie au niveau national et notamment sur le fait de savoir si la gendarmerie a essayé de protéger la population et d’empêcher les massacres. L’accusé dit ne pas avoir d’exemple de protection car il n’a pas vraiment eu l’occasion d’aller sur le terrain lorsqu’il assurait la sécurité du colonel. Le Président de la Cour souligne que l’accusé semble avoir traversé ces cent jours « sans rien faire, sans rien voir ou entendre ». L’accusé répond simplement qu’il a « vu et entendu ». De plus, il soutient qu’à la gendarmerie de Nyanza, certains ont essayé de s’opposer au génocide, dont le capitaine BIRIKUNZIRA. L’accusé oppose les gendarmes du sud aux gendarmes du nord, les gendarmes du sud « n’étaient pas méchants ».
Le Président de la Cour souligne que des gendarmes ont été entendus, et qu’il n’a pas été mis en avant que les gendarmes intervenaient pour protéger les Tutsi. L’accusé répond à cela que ce sont tous des témoins à charge. Il ajoute ensuite que les témoins ne retiennent que le nom de « BIGUMA » car il est facile à retenir contrairement aux autres noms, il déclare aussi que certains témoins oublient de citer son nom durant l’audition et qu’ils l’ajoutent à la fin ce qui montrerait que « c’est quelque chose qui a été mis dans leur tête ». Il parle d’instrumentalisation des témoins.
III- La gendarmerie de Nyanza (est ce que l’accusé était menacé par des extrémistes, capitaine BIRIKUNZIRA)
L’interrogatoire s’est poursuivi sur la situation à la gendarmerie de Nyanza. L’accusé mentionne quatre personnes extrémistes au sein de la gendarmerie, qui sortiraient pour aller « menacer » des personnes. Il explique qu’ils donnaient des blâmes à ces gendarmes mais qu’ils ne les sanctionnaient pas trop « pour ne pas faire éclater la compagnie ». Un avocat de parties civiles relève néanmoins que l’accusé avait précédemment déclaré que ces gendarmes extrémistes partaient à leur insu et « tuaient des Tutsi », ce que l’accusé confirme. Le Président de la Cour relève alors une contradiction entre cette confirmation et l’affirmation de l’accusé selon laquelle les gendarmes n’avaient pas commencé à tuer avant son départ de Nyanza. Monsieur MANIER répond alors qu’il s’agissait de cas particuliers. L’accusation relève aussi l’incohérence des propos et s’étonne que ces extrémistes n’ont pas été interpellés pour avoir tué des personnes. L’accusé « croit » alors s’« être trompé dans [ses] propos » devant le juge d’instruction. Le Président de la Cour souligne qu’il vient de confirmer ces propos à l’instant durant l’audience. Le Président de la Cour rappelle quelques témoignages de gendarmes mettant à charge l’accusé ou soulignant des comportements extrémistes de sa part. A tous ces témoignages, l’accusé réagit en affirmant que ces témoins ont rejoint le FPR et que c’est le FPR qui les aurait « donnés comme témoin », et qu’il n’y aurait donc « aucune part de vérité » dans ces témoignages.
IV- La présence ou pas de l’accusé au moment des faits
L’accusé affirme être déjà à Kigali à la date du 19 avril, et soutient que tous les témoins mentionnant sa mutation à des dates ultérieures ne pouvaient pas être au courant.
V- Les barrières
Sur les treize barrières où l’accusé aurait pu être impliqué, il dit n’en avoir vu que trois, celles près du stade, de Trafipro et près de l’hôpital, et que toutes ces barrières ont été érigées par la population pour se protéger contre les infiltrations du FPR. Il affirme que les gendarmes n’ont pas participé à ces barrières, à l’exception de la barrière de Bigega. Il n’y aurait pas eu d’infiltrés arrêtés. Il ne sait plus qui il a envoyé à cette barrière. Il affirme n’y avoir jamais distribué d’armes. Il soutient que tous les Tutsi n’étaient pas considérés comme des infiltrés, mais qu’il était « facile » de les reconnaitre car « c’était des hommes, ils pouvaient être mal habillés et fatigués ».
Il soutient, que les témoins affirmant que l’accusé est impliqué dans le fonctionnement des barrières, ne disent pas la vérité, que ce sont des « témoins à charge qui sont là effectivement pour confirmer qu’[il] est responsable de tout ». Concernant la barrière de l’Akazu Kamazi, et le massacre d’une vingtaine de Tutsi à cette barrière, il maintient qu’il n’était pas présent à ce moment-là à Nyanza.
VI- La question du meurtre du bourgmestre et de plusieurs Tutsi le 23 avril
Les éléments à charge et à décharge ont été exposés par le Président de la Cour. A tous ces éléments, la réponse de l’accusé reste la même: il n’était pas présent le 23 avril, jour de l’assassinat du bourgmestre NYAGASAZA. Il considère que les témoins qui l’auraient vu sur les lieux de l’enlèvement des victimes, sur le trajet et sur les lieux de l’assassinat, sont « des témoins à charge » qui « doivent faire leur travail ». Il ajoute : « je ne pouvais pas être partout pendant le génocide. Je ne peux pas être à Nyanza et en même temps à Kacyiru à Kigali ». Certains témoins seraient des menteurs cherchant à atténuer leur peine de prison. L’accusé a exercé son droit au silence. Sa position est restée la même sur toute la fin de l’interrogatoire, il n’a pas de commentaire à faire, il n’était pas présent.
Différents avocats regrettent la lecture des auditions, et de ne pas pouvoir interroger l’accusé, sa réponse étant toujours la même. Le Président de la Cour précise qu’il lui apparaît important de remettre toutes les auditions dans l’ordre et de les résumer.
L’interrogatoire a été suspendu et reprendra mercredi 11 décembre 2024.
Par Ella Grappin, Stagiaire Commission Justice Ibuka France