Fiche du document numéro 34723

Num
34723
Date
Lundi 9 décembre 2024
Amj
Auteur
Taille
104469
Titre
Procès en appel de Philippe Manier à la Cour d’assises de Paris - Jour 24
Sous titre
Compte rendu de l’audience du vendredi 6 décembre 2024
Nom cité
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Vendredi 6 décembre 2024, il a été précisé que les trois témoins devant être entendus lundi 9 décembre, Monsieur François MVUYEKURE, Monsieur Emmanuel HABIMANA et Monsieur Charles MPORANYI, ne pourront pas l’être, le premier étant décédé et les deux autres n’ayant pas été trouvés.

Le premier témoin de la journée à avoir déposé devant la Cour est Madame Longine RWINKESHA, rescapée du génocide. Elle explique qu’il y avait à l’ISAR Songa, où elle était réfugiée, des attaques des Interahamwe que les réfugiés ont réussi à repousser avant la grande attaque et qu’un hélicoptère a survolé les lieux trois jours consécutifs. Elle soutient que la grande attaque a eu lieu le 28 avril, elle explique qu’il y avait des tirs aux armes lourdes, elle entendait les explosions mais n’a pas vu l’arme. Elle explique qu’il y a eu des tirs d’armes et des grenades. Elle dit qu’il y avait surtout des gendarmes, qu’elle reconnaît grâce à leurs bérets rouges. Elle raconte avoir elle-même été frappée par des Interahamwe armés de gourdins. Ces derniers lui ont demandé de creuser sa tombe. Des gendarmes l’ont arrachée aux Interahamwe pour en faire leur femme. Elle explique être devenue la femme de l’un de ces gendarmes de Nyanza, dénommé MAYOMBO, et avoir été violée. Elle eut un enfant. Elle a été forcée de vivre chez lui à Bigega à côté d’une barrière. Elle explique l’avoir entendu se vanter d’avoir participé à des attaques, il disait que BIGUMA était meilleur que le commandant du camp. Elle précise que les gendarmes qui se rendaient à ce domicile parlaient de BIGUMA, BIGUMA aussi s’y rendait, il était félicité par les autres pour sa présence sur le terrain. Elle explique que ce gendarme l’a abandonnée dans sa fuite. Elle ne sait rien aujourd’hui de ce qu’il a pu devenir. Elle ajoute que BIGUMA a amené un véhicule Toyota double cabine, de couleur « plutôt verte » remplit d’armes à Songa, elle confirme avoir vu le véhicule. Elle indique être montée avec les gendarmes dans le véhicule, et qu’ils lui ont fait porter un sac contenant des grenades. Les gendarmes auraient notamment parlé du fait que BIGUMA avait dirigé l’attaque. Elle précise ne pas dire qu’il chassait les Tutsi, mais qu’il les tuait là où ils étaient rassemblés en grand nombre. Elle reconnait l’accusé dans le box lors de l’audience.

Interrogée par les conseils des parties civiles, elle indique que toute sa famille, ses parents et sa fratrie, est décédée à l’ISAR Songa. De plus, questionnée par la défense, elle explique que BIGUMA a tenu une réunion à la barrière incitant à tuer les Tutsi, elle ajoute qu’il disait aussi à son violeur « de coucher avec elle violemment et si possible de le faire avec un couteau ». Elle précise que la barrière à laquelle il a tenu une réunion était très proche du domicile dans lequel elle se trouvait, mais qu’elle ne pouvait pas entendre les propos qu’il tenait, ce sont les gendarmes qui venaient au domicile qui racontaient ce qu’il leur avait été dit. Maître GUEDJ a en outre souligné que la couleur verte du véhicule ne correspondait pas à la couleur de la gendarmerie. Il a alors été demandé à l’accusé de quelle couleur sont les véhicules de la gendarmerie de Nyanza, ceux à quoi il a répondu rouge et blanc. Néanmoins, Madame l’avocate générale souligne qu’il avait précédemment précisé qu’il y avait un véhicule Kaki. L’accusé confirme cela, mais précise que celui-ci n’était pas utilisé car « il était en panne ». En outre, interrogé par le Président de la Cour, l’accusé affirme ne pas connaître la témoin, ni le gendarme dénommé MAYOMBO.

Le Président annonce rejeter la demande concernant l’obtention des jugements Gacaca, car cela n’est pas en adéquation avec le droit d’être jugé dans un délai raisonnable et que la mesure n’est pas indispensable. Monsieur le Président sursoit à statuer concernant la recevabilité des parties civiles. S’agissant de la demande relative au transport au Rwanda en vue de réaliser une expertise balistique, il est considéré qu’un transport sur place n’est pas nécessaire, si cela avait le cas, la demande aurait été faite avant.

Madame Chantal MUKAYIRANGA, rescapée du génocide, et partie civile, a ensuite été entendue par la Cour. Elle avait 14 ans lors du génocide. Elle explique avoir appris à l’école qu’elle était Tutsi, et qu’ils étaient persécutés par leur professeur. Elle explique avoir fui et tenté de se réfugier au sein d’une église catholique, néanmoins elle a été chassée. Avec sa famille, ce dimanche, ils se dirigent alors à l’ISAR Songa. Elle précise que là-bas sa mère est tombée malade et qu’elle dût se rendre au centre de santé. Elle indique que les Interahamwe venaient sans cesse à l’ISAR Songa, et que le mercredi 27 avril un hélicoptère a survolé les lieux et qu’au même moment les Interahamwe les encerclaient. Le lendemain la grande attaque a eu lieu, elle indique que des militaires étaient présents, ils tuaient les réfugiés. Elle précise que lorsqu’elle parle de militaires, il s’agit de toute personne étant dans cette catégorie (gendarmes et militaires), et qu’en l’occurrence elle parle de ceux avec un béret rouge. Elle explique qu’un véhicule provenant de Nyanza avait déposé un grand nombre de gendarmes. Elle raconte avoir réussi a fuir jusqu’à Mayaga, où elle vu un véhicule de la police communale qui les a arrêtés. Ils ont séparé les Hutu des Tutsi, et les hommes des femmes, les Hutu ont pu rentrer chez eux, les hommes Tutsi ont été ligotés, dénudés, elle les entendait être tués. Les femmes ont été emmenées afin de devenir les femmes des assaillants. Les plus jeunes ont été prises afin d’être leurs domestiques. Son petit frère déguisé en fille a été emmené par un homme, et quant à elle une femme l’a prise chez elle. Elle la frappait régulièrement. Elle a ensuite été déposée chez une femme âgée « très gentille ». Son petit frère est parvenu à la retrouver. Ils ont été séparés de nouveau, son frère a été confié par la dame âgée a une famille qui s’est réfugiée au Burundi. Les Inkotanyi ont ramené son frère. Elle finit sa déclaration en remerciant dieu et les Inkotanyi. Interrogée, elle précise que son père et les autres membres de sa fratrie sont décédés lors de l’attaque menée à l’ISAR Songa. Sa mère quant à elle a été tuée par les Interahamwe qui avaient fait d’elle une esclave sexuelle. Elle ajoute ne pas avoir vu de véhicule lors de l’attaque mais avoir entendu les adultes en parler.

Maître GUEDJ a ensuite interrogé la témoin afin de savoir de quelle couleur était l’hélicoptère. Elle précise aussi avoir été à la Gacaca une fois, où elle aurait entendu le nom de l’accusé. Enfin, l’avocat de la défense finit par affirmer que les parties civiles ont un discours stéréotypé et invite la Cour à s’intéresser à « ce qui se passe dans l’antichambre de la Cour devant la machine à café ». Maître Philippart réagit à ces propos, soulignant que les parties civiles ont le droit de parler entre elles et avec leurs avocats, au même titre que l’accusé à le droit consulter ses avocats, car ce ne sont pas des témoins. Ensuite, le Président de la Cour a procédé à la lecture des auditions procès-verbaux d’auditions de Madame Florence MUKANKUBANA, de Madame Immaculée KANKUYE, et de Rose MUKAMURANGWA, rescapées de l’attaque de la colline de Nyamure.

Monsieur Eugène HABAKUBAHO, rescapé, a témoigné devant la Cour. Il était âgé de 12 ans lors du génocide et habitait dans la commune de Ntyazo. Il explique que durant leur fuite, son père a entendu que les gendarmes avaient emmené le bourgmestre NYAGASAZA. Il raconte avoir, avec son père et son petit frère, tenté de trouver refuge au sein d’une église paroissiale, où le père leur aurait conseillé de se rendre à l’ISAR Songa. Ils s’y sont rendus, ils ont été accueillis par Monsieur SINZI. Il indique que les plus jeunes ramassaient les pierres pour faire face aux attaques quotidiennes. Il explique que malgré les décès, les réfugiés arrivaient à résister. Il dit avoir vu un hélicoptère les survoler le 27 avril. Il précise que ce jour-là, les adultes dont Monsieur SINZI leur ont dit qu’il fallait quitter les lieux, et que des personnes ont refusé disant qu’il fallait prier ou se battre. Pour lui, ils n’imaginaient pas que des fusils allaient être impliqués. Il raconte ensuite, que c’est le 28 avril qu’a eu lieu la grande attaque avec des gendarmes et des Interahamwe. Il précise qu’il y avait des armes à feu et des explosifs. Il ajoute que les gendarmes portaient une tenue kaki et des bérets rouges. Il explique avoir réussi à fuir l’attaque avec son petit frère, mais qu’ils ont été séparés plus loin lors d’une attaque durant laquelle ils se sont dispersés. Son frère a été tué durant sa fuite. Le témoin indique avoir été forcé lors de cette attaque à s’asseoir sur la route, Hutu et Tutsi ont été séparés, les femmes et les hommes aussi. Les filles ont été emmenées afin d’être violées. Il a été amené à un virage où il a constaté une multitude de cadavres découpés, la route était imbibée de sang. Il réussit à courir pour s’échapper dans une bananeraie, mais il raconte qu’un Interahamwe a réussi à le rattraper, il lui a asséné un coup de machette dans le cou. Il montre sa cicatrice à la Cour. Il indique avoir alors perdu connaissance et ne s’être réveillé que le lendemain vers 4h. Les chiens étaient en train de manger les corps humains près de là où il était. Il explique qu’un homme âgé qui passait près de là, l’a amené chez lui pour l’aider. Il est resté chez lui, où il a été soigné, jusqu’à l’arrivée des Inkotanyi.

Monsieur Innocent MUNYANKINDI, rescapé du génocide, a ensuite déposé son témoignage devant la Cour. Il habitait à Nyanza lors du génocide. Il raconte que son père a été emprisonné trois mois en octobre 1990 après l’attaque du FPR, car il était considéré comme étant un complice du FPR. Il indique qu’ils n’étaient pas tranquilles, même après sa libération. Il raconte que lorsque le génocide a commencé, avant le 20 ou 21 avril, moment où les Tutsi ont commencé à être exterminés, « les seules personnes qui [leur] faisaient peur étaient les gendarmes ». Il explique que les gendarmes faisaient des patrouilles, et que les habitants de Nyanza ne pouvaient sortir que trois jours par semaine de 8h à 13Hh.

Ne pouvant pas sortir librement, il décide à cette période de partir avec un enfant des rues « Mayibobo » à 18km environ, de l’autre côté de l’ISAR Songa. Il explique que l’enfant des rues lui a creusé un trou afin de le cacher lorsque des maisons ont commencé à être brulées où ils étaient. Il raconte avoir entendu beaucoup de bruits de balles et d’explosions depuis sa cachette. Le garçon qui le cachait lui a raconté que de nombreuses personnes avaient été décimées à l’ISAR Songa. C’est lui qui lui apprit que sa mère, son père ainsi que trois de ses frères et sœurs avaient été tués. Le témoin n’est sorti de son trou qu’à l’arrivée des Inkotanyi. Il indique avoir retrouvé une de ses sœurs après le génocide et avoir eu l’obligation de devenir chef de famille. Il explique les difficultés, notamment financières et administratives qu’il a rencontrées en tant que mineur, et rescapé. Il raconte comment il a essayé de retrouver les biens qui appartenaient à sa famille, il parle notamment d’un véhicule à bennes qui pouvait transporter entre 10 et 15 tonnes qui appartenait à sa famille, qu’il a retrouvé à la gendarmerie de Nyanza. Il demande à la Cour s’il est possible d’interroger l’accusé sur la présence du véhicule à la gendarmerie. L’accusé a répondu qu’il ne savait pas, et qu’il fallait plutôt interroger le commandant d’unité. Le témoin parle aussi de ses efforts pour retrouver et inhumer dignement les membres de sa famille. Il précise qu’il n’a pas retrouvé les corps de deux de ses sœurs.

Il conclut ses propos en soulignant qu’ « il y a des choses qui sont difficiles pour les rescapés, c’est à [eux] qu’on demande d’expliquer comment on [les] a tués, ceux qui [les] ont tués ne veulent pas dire ce qu’ils ont fait ». Il ajoute avoir assisté aux auditions de ses camarades qui étaient très jeunes, et que « demander à un enfant sur lequel on est en train de tirer la couleur de l’arme ou du véhicule c’est vraiment difficile ». Enfin, interrogé par la défense, le témoin revient sur les propos de son confrère relatifs à des accusations de concertation devant la machine à café, et affirme que leurs témoignages n’ont pas été « soufflés », qu’ils parlent de ce qu’ils ont vécu. L’avocat finit par affirmer que la défense ne nie pas le génocide des Tutsi par les Hutu.

Madame Dafroza GAUTHIER, co-fondatrice du CPCR, association partie civile au procès, a témoigné devant la Cour d’Assises. Elle indique que les violences à l’encontre des Tutsi ont commencé dès 1959, elle fait notamment référence aux massacres de 1963 qui ont eu pour conséquence la déportation de nombreux rescapés au Sud-Est de Kigali dans le Bugesera. Elle explique comment elle a fait pour rejoindre la Belgique, où elle a pu continuer ses études. Elle fonde sa famille en France. Entre 1990 et 1994, elle raconte qu’il n’était pas possible de se rendre au Rwanda. Elle réussit à s’y rendre en février 1994, elle indique avoir constaté des situations de violences à l’encontre des Tutsi, des pierres étaient jetées sur les maisons, les maisons étaient marquées d’une croix rouge, et la radio émettait des messages de haine. Elle parvint à retourner en France, mais regrette de ne pas avoir pu exfiltrer sa famille. Elle raconte son inquiétude à partir du 7 avril, elle explique comment sa mère a été assassinée le 8 avril, elle ajoute que quasiment tous les membres de sa famille ont été exterminés. Elle relate l’attaque à la paroisse du Père Blanchard, où ont été tués 179 enfants de moins de 10 ans et quelques femmes restées pour s’en occuper, dont sa cousine. Elle raconte les difficultés auxquelles ils ont été confrontés pour retrouver le corps de leurs proches en vain, dans des fosses des années après. Elle rappelle la violence des assassinats, la joie que les assaillants ont pu éprouver en jouant par exemple au foot avec des têtes coupées, et l’absence d’enterrement. Elle finit sa déclaration en évoquant, à l’aide de photos, les noms de nombreuses victimes exterminées lors du génocide et conclut en remerciant ses avocats, les rescapés de sa famille ainsi que les membres du CPCR.

Madame Gauthier a ensuite été interrogée par la défense sur la manière dont le CPCR mène ses enquêtes. Elle rappelle alors qu’ils sont amenés à rencontrer des rescapés ou des détenus afin de recueillir leurs témoignages, elle précise qu’ils font la demande aux autorisés afin de se rendre en prison. Elle ajoute qu’ils ne sont pas juge et qu’ils n’ont pas vocation à se substituer au travail des juges. Interrogée sur les conditions de détention au Rwanda, elle affirme ne pas avoir vu de personnes être torturées lors de ses visites en prison.

Enfin, Monsieur Marcel KABANDA, Président d’Ibuka France, a été auditionné par la Cour. Il rappelle qu’Ibuka France est une association française de loi 1901 et qu’elle est indépendante des autres associations Ibuka. Il explique les missions d’Ibuka que sont la mémoire et la justice, car il n’y « a pas de mémoire sans justice ». Il constate le travail important de la justice, mais évoque la difficulté de ces procès où la preuve repose principalement sur les témoignages. Il s’inquiète des propos négationnistes prononcés par les témoins de la défense. Il souligne le jeune âge des rescapés venus témoigner. Il ajoute que les récits portent sur ce qu’ils ont vu et entendu, mais qu’il peut aussi y avoir des éclairages venus combler les trous de leurs récits. Il rappelle l’importance de recouper les témoignages. Il souligne le manque de respect des propos de la défense mentionnant un discours stéréotypé et fabriqué devant la machine à café.

Il conclut : « Si les rescapés, car ils étaient jeunes et traumatisés, n’ont pas de mots pour dire ce qu’il s’est passé, l’accusé pourrait nous aider plutôt que de s’enfermer dans le silence. Quand on parle du contexte général, il pourrait aider la Cour à comprendre le contexte à défaut de comprendre son propre rôle ». Il remercie Maître LINDON et Maître AUBLE. Interrogé par Maître AUBLE, il précise qu’Ibuka France est financé par les cotisations de ses adhérents, par les dons, et sur les financements obtenus par les collectivités. Il affirme que l’association n’est pas financée par le gouvernement rwandais.

Avant la suspension de l’audience, l’accusé a été invité à réagir. Il dit préférer s’exprimer plus tard.

Par Ella Grappin, Stagiaire Commission Justice Ibuka France

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024