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Charles Onana (au centre), encadré par son service de sécurité, à l’issue du délibéré au cours duquel il a été condamné pour contestation du crime de génocide des Tutsi, le 9 décembre 2024 à Paris. Il a fait appel. © Romain Chanson
À la sortie de l’audience, ce lundi 9 décembre, les soutiens de Charles Onana sont déchaînés. « La France, assassins, pourritures, violeurs d’enfants ! » crient-ils, alors que l’auteur franco-camerounais vient d’être condamné pour « complicité de contestation publique de l’existence d’un crime contre l’humanité, en l’espèce, crime de génocide », à savoir le génocide des Tutsi au Rwanda, commis en 1994. Son éditeur, Damien Serieyx, est également condamné pour contestation de crime de génocide et doit payer 5 000 euros d’amende. Charles Onana devra, lui, verser 8 400 euros. Les deux prévenus encouraient jusqu’à un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
« Des propos abominables »
Dix-neuf passages du livre Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise – Quand les archivent parlent, publié le 30 octobre 2019 aux éditions de l’Artilleur, ont été méthodiquement analysés et commentés pendant une semaine, du 7 au 11 octobre, devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris spécialisée dans les affaires de presse et de diffamation. « Vous avez tout l’arsenal négationniste nécessaire pour qualifier l’infraction », avait martelé la procureur en relevant des passages « où M. Onana est dans la négation abrupte, frontale, où il qualifie le génocide de dogme [et] de quelconque ».
Dans son jugement, le tribunal dit prononcer une condamnation qui prend en compte la « dangerosité de la démarche ici poursuivie par Charles Onana et son éditeur, qui, en publiant des propos qui recourent aux procédés rhétoriques propres à toute contestation du génocide […], viennent attiser des conflits encore actuels dans une région limitrophe au Rwanda, et dont les conséquences sur les populations civiles sont d’une extrême gravité ». La peine prononcée vise à limiter autant que possible le « risque de réitération des faits », selon le jugement.
« Il faut rappeler qu’à de très nombreuses reprises, dans l’ouvrage contesté, [Charles Onana] remet en cause le génocide des Tutsi en utilisant les guillemets. Il dit que parler de génocide des Tutsi au Rwanda, c’est la plus grande escroquerie du XXe siècle. Ce sont des propos abominables », a commenté ce lundi Me Patrick Baudouin, président d’honneur de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), l’une des sept parties civiles. Il a dit recevoir ce jugement avec « beaucoup de satisfaction ».
Patrick Baudouin ajoute se souvenir des « manœuvres de détournement » de Charles Onana, qui a profité du procès pour « charger le régime de Paul Kagame par rapport aux crimes qu’il a commis ou son côté dictatorial ». « Ce qui est une réalité, mais le sujet n’était pas là », selon lui. Ce procès pour négationnisme a été présenté par les soutiens de Charles Onana comme une volonté de museler les voies critiques du président rwandais, soupçonné d’avoir manipulé les parties civiles, à savoir l’ONG Survie, la Ligue des droits de l’homme (LDH), la FIDH, Ibuka France, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) et la Communauté rwandaise de France (CRF).
« Je ne suis pas ici pour la négation de génocide. Je suis ici parce que M. Paul Kagame a décidé que je devais être ici », avait déclaré Charles Onana lors de sa dernière prise de parole, vendredi 11 octobre. « Le livre de M. Onana, à notre sens, ne contestait pas le génocide. Il le replaçait dans son contexte, et nous craignons que le fait de désigner les crimes commis par le FPR [Front patriotique rwandais] ne soit interprété comme une contestation du génocide commis contre les Tutsi alors qu’à notre sens, les deux réalités coexistent, à savoir le génocide des Tutsi et les crimes du FPR », a réagi son avocat, Me Emmanuel Pire, à l’issue du délibéré.
Échos congolais
« Je pense qu’on nous a traînés devant le tribunal pour [de faux] prétextes », disait également l’éditeur Damien Serieyx, en octobre dernier. « Le problème, ce n’est pas la forme, c’est le fond. C’est d’avoir dévoilé la stratégie cynique du FPR au cours de ces années terribles. Et c’est d’avoir dévoilé, surtout, et c’est la fin de cet ouvrage, que la stratégie principale du FPR, c’est le Congo, les richesses du nord du Congo », développait-il en faisant bloc derrière son auteur.
Le procès de Charles Onana a connu un certain retentissement en RDC. Son livre Holocauste au Congo, non incriminé dans ce procès, est vendu dans les rues de Kinshasa, étudié à l’université de Kinshasa (Unikin) et lu par Denis Mukwege. Nobel de la paix et candidat malheureux à la dernière présidentielle, ce dernier a apporté son soutien à Charles Onana. L’auteur défend la thèse d’un autre génocide, celui des Congolais dans l’est du pays depuis 1994. Il évoque le bilan de 10 millions de morts dans la conquête des terres et des ressources minières.
Une thèse appuyée par le gouvernement congolais, qui fait la guerre aux rebelles du M23, aidés par le Rwanda dans l’est de la RDC. C’est dans ce contexte que des équipes de l’Agence congolaise de presse (ACP) et de la Radio-télévision nationale congolaise (RTNC) ont couvert l’affaire Charles Onana en octobre, qualifiée exagérément de « procès du siècle ». C’est en tout cas un procès historique puisque, selon Me Patrick Baudouin, c’est la première fois qu’une personne est condamnée en France pour contestation du génocide des Tutsi.
La presse congolaise était encore présente pour couvrir ce délibéré. Charles Onana et son éditeur ont d’ailleurs réservé leurs réactions à nos confrères, refusant de parler aux autres journalistes, empêchés d’approcher par une femme arborant le t-shirt « Holocauste au Congo ».