Fiche du document numéro 34678

Num
34678
Date
Mardi 26 novembre 2024
Amj
Auteur
Taille
0
Titre
Procès en appel de Philippe Manier à la Cour d’assises de Paris - Jour 14
Sous titre
Compte rendu de l’audience du vendredi 22 novembre 2024
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Mot-clé
Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Le premier témoin de la journée à avoir été entendu par la Cour est Monsieur Emmanuel UWITIJE, condamné pour sa participation à l’attaque de Nyabubare et pour avoir pillé des biens. Il explique tout d’abord que trois « militaires », portant un béret rouge, sont venus dans son village à Nyabubare le vendredi 22 avril. Ils ont ordonné de tuer les Tutsi, de les piller, de manger leurs vaches. C’est au conseiller de secteur, qui avait rassemblé la population, qu’ils ordonnent de déclencher le génocide contre les Tutsi. Il indique que, le 23 avril, le bourgmestre NYAGASAZA est abattu en contre bas du bureau de secteur. Il dit avoir vu un véhicule Toyota blanc arriver là où ils étaient rassemblés sur la colline, dans ce véhicule il y avait le bourgmestre et des militaires. Tout le monde serait descendu du véhicule à l’exception du chauffeur. Le bourgmestre s’est allongé dos aux gendarmes et ils ont tiré sur lui. Il ne sait pas s’ils ont reçu un ordre d’une personne en particulier. Il indique qu’un gendarme leur a demandé d’enterrer le corps après l’assassinat. Il précise qu’il ne connaissait pas l’accusé à ce moment-là et qu’il n’a donc pas fait attention à ce qu’il avait pu faire lors de cette attaque.

Interrogé par la défense sur ce point, il précise ne pas avoir vu le gendarme qui a tiré sur le bourgmestre, car il y avait une foule, il a vu néanmoins où a été touché le bourgmestre. L’avocat de la défense souligne qu’il « s’accroche à ce qu’il peut », avant de demander au témoin s’il est sûr que ce sont les gendarmes, et non la population, qui ont tué le bourgmestre. Le témoin a affirmé qu’il s’agissait bien des gendarmes. Après le meurtre, il explique qu’ils ont suivi le véhicule de la gendarmerie, à la demande des gendarmes, pour aller sur la colline de Nyabubare. Ils étaient très nombreux à suivre le véhicule. Avant l’attaque, il indique qu’il a vu une arme lourde installée en contrebas de la route, il y avait un trépied sur lequel reposait une arme qui permettait de tirer très loin, il ne savait pas de quelle arme il s’agissait. Une photo de mortier lui a alors été montrée durant l’audience, il confirme qu’il s’agissait bien d’un trépied comme sur la photo mais que l’arme n’était pas positionnée comme cela. Il confirme qu’ils ont pilonné la colline de 9h à 12h et qu’ensuite les assaillants civils sont allés achever les survivants à la machette et que cela a duré entre 1 h à 2 h. On leur avait demandé d’encercler la colline pour tuer les Tutsi qui réussissaient à échapper aux tirs. Il explique qu’en redescendant, le chef des gendarmes a remercié tous les gendarmes qui étaient là pour tuer tous les Tutsi et que ce chef était BIGUMA. Il confirme à deux reprises qu’il est sûr que le conseiller de secteur leur a présenté cette personne comme étant BIGUMA. Il confirme l’avoir vu en tenue militaire avec un béret rouge. Il affirme ne l’avoir vu que ce jour-là. Enfin, il explique que les gendarmes ont appelé Pierre NGIRINSHUTI qui était à son domicile, celui-ci a refusé de venir vers eux. Ils auraient alors tiré sur la maison, et Pierre aurait réussi à s’enfuir.

L’accusé a été invité à réagir à cette audition. Il a dit qu’il ne pouvait pas commenter une scène à laquelle il n’avait pas assisté.

Monsieur Obed BAYAVUGE, frère du témoin précédent, condamné par la Gacaca, est la deuxième personne de la matinée à avoir témoigné. Selon lui, il n’y a pas eu d’attaque sur la colline de Nyabubare avant le 23 avril. Il indique que la veille de l’attaque, DUSINGIZIMANA a demandé à la population de piller les Tutsi et de manger leurs vaches. Il confirme que le 23 avril vers 8h ou 9h, il entend des coups de feu et sort de chez lui, et que quelques instants après, il voit arriver un véhicule de la gendarmerie, avec BIGUMA et le conseiller de secteur. Le conseiller Israël aurait demandé à la population de suivre le véhicule. L’attaque menée ce jour-là aurait été dirigée par l’accusé et ce conseiller. Il précise que les gendarmes étaient armés de petits fusils et qu’il y avait une arme lourde installée en contrebas de la route. Il s’en rappelle car BIGUMA leur aurait demandé de la contourner. Une photographie d’un mortier lui a était montrée durant l’audience et il a confirmé que ce qu’il avait vu, ressemblait à cela. Il indique que cette arme visait la colline, les obus tombaient dessus. Il affirme que les civils tuaient les Tutsi qui s’échappaient. Il précise à la défense que durant l’attaque il n’a pas vu l’accusé sur le versant de la colline où il se trouvait. Il indique savoir qui était BIGUMA car après l’attaque il serait venu chez lui avec une dénommée JACQUELINE. Il est relevé par le Président de la Cour qu’il n’avait pas parlé de cela avant. Le témoin explique cependant qu’il avait décrit cela.

Concernant cette audition, l’accusé affirme maintenir sa position selon laquelle il n’était pas là.

Madame Primitive MUJAWAYEZU rescapée du génocide, a témoigné. Elle explique que son père Monsieur Pierre NYAKARASHI était recherché car il était policier communal avant le génocide dans la commune de Ntyazo. Elle raconte que le 23 avril 1994, son père a été enlevé par un véhicule alors qu’elle fuyait avec lui, accompagnée aussi de son mari, de ses deux enfants, ses frères, ainsi que des cousins et cousines. Personne n’a survécu, excepté son mari et ses enfants. Elle explique qu’ils suivaient NYAGASAZA, celui-ci demandait aux Tutsi de se rapprocher de la rivière afin de traverser la frontière. Elle indique avoir à ce moment-là vu un véhicule double cabine de couleur blanche, avec trois gendarmes arriver. Elle soutient que les gendarmes ont soulevé NYAGASAZA et l’ont jeté dans le véhicule. Ils ont frappé son père, avant de la jeter aussi dans le véhicule. Après cela, ils ont tiré en rafale sur les Tutsi qui fuyaient dont elle et les autres membres de sa famille. La témoin fut à ce moment-là, blessée à la cuisse, son enfant de huit jours qu’elle avait dans le dos est tombé, elle réussit à la retrouver, il a survécu. Elle garde quant à elle des séquelles à la jambe. Ensuite BIGUMA aurait dit « il faut mêler le sang des Tutsi au sang des vaches », ce qui s’apparenterait à une autorisation de tuer. Les miliciens ont donc ensuite attaqué les autres, dont un autre groupe qui fuyait dans lequel se trouvait sa mère. Elle est décédée à ce moment-là. Elle affirme que BIGUMA faisait partie de ces trois gendarmes. Elle précise néanmoins ne pas le connaître à ce moment-là, mais qu’elle l’a reconnu car elle ne peut pas oublier l’image de l’homme qui lui a tiré dessus et qui a tiré sur ses enfants. Elle le décrit à l’époque comme un homme « gros, et solide ». Elle le reconnaît aujourd’hui dans la salle d’audience.

Enfin, la semaine s’est terminée avec le témoignage de Madame Geneviève GAHONGAYIRE, rescapée du génocide. Elle explique qu’il y avait déjà des discriminations à l’égard des Tutsi avant 1994, et que c’était notamment sur les bancs de l’école qu’elle avait découvert cela. Elle raconte que lorsque le génocide commence, elle se trouvait chez sa grand-mère à Mbuye. Elle était âgée de 11 ans. Elle et sa famille dormaient chez des voisins la nuit. Un jour une de ses cousines est arrivée de Butare afin de leur dire de fuir car la situation s’était envenimée. Sa tante a refusé de partir pour ne pas laisser sa grand-mère seule. La témoin ajoute que lorsque le génocide a commencé, le bourgmestre NYAGASAZA a refusé de partir afin de ne pas laisser seuls ses administrés. Le lendemain matin de la venue de sa cousine, ils ont finalement décidé de partir. Elle explique qu’il y avait beaucoup de monde qui fuyait vers la rivière. NYAGASAZA a emprunté la route, quant à elle, elle a emprunté avec sa famille des chemins raccourcis. Sur le chemin, ils ont été encerclés dans la vallée vers un terrain de football, et attaqués. Elle a couru, une femme de sa connaissance lui tenait le bras, elle a vu rester derrière sa grand-mère, sa tante et un de ses cousins, sa grand-mère ne pouvant pas courir du fait de son âge. Elle précise avoir appris par la suite que cette attaque aurait été dirigée par un certain KADOMA. Elle indique s’être ensuite cachée dans la brousse avec les autres. Un éclaireur est venu les informer que NYAGASAZA avait été capturé. Une fois sortie de la brousse, elle a croisé deux miliciens très jeunes armés de machettes et de lances. Les miliciens les ont finalement laissés passer disant qu’ils se feraient tuer plus loin. Néanmoins, à ce moment-là une de ses nièces en très en bas âge a fui, elle a couru, ils l’ont perdue. Ils ont retrouvé son corps noyé dans la rivière peu après. Avant d’atteindre la rivière, elle indique être passée par une route, et affirme y avoir vu le véhicule dans lequel se trouvait NYAGASAZA. Elle précise l’avoir reconnu car c’était un voisin de sa grand-mère. Elle pense que ce véhicule ressemblait à une petite Suzuki. Elle se souvient y avoir vu des gendarmes le piétiner. Elle raconte ensuite comment elle a réussi à traverser la rivière et comment elle a réussi à retrouver un oncle dans un camp au Burundi.

Par Ella Grappin, Stagiaire Commission Justice Ibuka France

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024