Fiche du document numéro 34572

Num
34572
Date
Mercredi 9 octobre 2024
Amj
Auteur
Taille
85814
Titre
Procès de Charles Onana à la 17ème chambre du Tribunal correctionnel de Paris - Jour 2
Sous titre
Procès du 7 au 11 octobre 2024 pour négationnisme du génocide perpétré contre les Tutsi. Compte rendu de l’audience du 8 octobre 2024
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Charles Onana à Montréal en 2023. (Wikicommons)

Le procès de Charles ONANA et de Damien SERIEYX s’est poursuivi ce mardi 8 octobre à 13h30. Cet après-midi était consacré à l’audition de sept témoins. Le premier témoin appelé à la barre est Jean-Claude Lafourcade, ancien officier général de l’armée française. En tant que commandant de l’opération Turquoise, il a indiqué que le but de cette mission était de mettre fin aux massacres au Rwanda, mais que par la suite l’armée française avait été accusée de tous les mots. Pour lui, le livre de Charles ONANA donnerait acte de la vérité et de la réalité de l’opération. ONANA n’y contesterait à aucun moment le génocide des Tutsi. Il a ajouté que le FPR manifestait clairement à cette époque une intention belliqueuse envers l’intervention française. Il dénonce un « black-out total » des actions du FPR après le génocide. Interrogé sur l’existence d’un plan concerté, il a affirmé n’avoir eu aucune information en tant que citoyen français ou en tant que militaire en ce sens. Répondant aux questions de la Défense, il a exprimé que pour lui ce livre était une analyse géopolitique qui ne lui appartenait pas de juger. Il a réaffirmé qu’ONANA n’avait pas contesté le génocide en questionnant ce qu’il s’est passé en 1994.

Vers 14h30, Johan Swinnen, ancien ambassadeur belge au Rwanda de 1990 à 1994, est appelé à témoigner. Ses déclarations ont porté sur l’importance de la recherche de la vérité, en ce que beaucoup de questions doivent encore être résolues. Il a affirmé qu’il y avait deux sortes de banalisation : la banalisation du génocide et la banalisation de l’accusation de contestation du génocide. Il dit constater que la moindre question, la moindre nuance ou observation à l’encontre de ce qu’il appelle le « simplicisme » ou la bien pensance. Il a terminé ses déclarations par la lecture d’un passage de la préface qu’il a écrit pour le livre « Rwanda, Malheur aux vaincus » de Patrick Mbeko. Ce passage expose le fait que les Tutsi n’étaient pas les seuls à avoir subi les « foudres de l’auteur ». Les questions des parties civiles se sont ensuite concentrées sur l’existence ou non d’une planification, dont l’avocate de l’association Survie a rappelé qu’il s’agissait d’un élément constitutif du crime de génocide. Le témoin a répondu qu’en tant que juriste lui-même il faisait une distinction entre la planification et l’intention : l’intention s’est révélée tout de suite après le 6 avril 1994, mais il ne voit pas de preuves d’une planification. Il rajoute que le TPIR ne l’a pas prouvé. L’avocat de l’association CRF a ainsi voulu le faire réagir au rapport du Sénat belge, auquel il a participé, et qui reconnait la planification du génocide. Il a répondu qu’il ne se souvenait pas de ce qu’avait retenu le Sénat belge dans son rapport. La Défense l’a ensuite interrogé sur la définition belge du génocide, qui ne mentionne pas l’exigence d’un plan concerté. Ainsi, pour lui, il peut y avoir génocide sans planification.

Sur demande de la LICRA, le troisième témoin à se présenter à la barre est Thomas Hochmann, professeur de droit public à l’Université de Nanterre et ancien membre de la Commission Duclert. Il a réalisé sa thèse sur le négationnisme face aux limites de la liberté d’expression. Il a commencé ses déclarations par présenter les éléments classiques de tout négationnisme : l’usage systématique des guillemets, la stratégie de « dé-négation » et le détournement du procès. En effet, il a expliqué que les négationnistes cherchaient souvent à détourner leur procès pour en faire un procès sur l’histoire du génocide, pour en faire une discussion historique. Le témoin a ensuite exposé les spécificités du négationnisme du génocide des Tutsi. Contrairement au génocide des juifs, il s’agirait non pas de nier les morts, mais plutôt de nier l’existence d’un plan concerté. Une autre forme de négationnisme du génocide consisterait à affirmer l’idée de massacres indifférenciés, de tueries réciproques et généralisées. Répondant aux questions des parties civiles, il a affirmé que la poursuite des propos négationnistes n’avait jamais empêché le questionnement des recherches historiques pour les « véritables historiens ». Il a également confirmé le danger posé par de tels propos, qui peuvent encourager de nouvelles violences. La Défense l’a ensuite interrogé sur la reconnaissance par le TPIR de la planification du génocide, à laquelle il a répondu que le TPIR l’avait reconnu en prononçant des condamnations pour génocide et pour entente en vue de commettre un génocide.

Le quatrième témoin de la journée à se présenter à la barre est Joseph Matata. Se présentant comme un militant des droits de l’Homme, il a déclaré avoir été lui-même accusé de négationnisme. Dans ses déclarations, il a affirmé que « toute personne qui ose dire la vérité devient une cible ». Pour lui, la vérité doit être manipulée si on ne veut pas « disparaitre ». Il a également affirmé que le régime en place voulait trouver des boucs émissaires, alors que ce sont eux qui ont déclenché le génocide. La question lui a ensuite été posée de savoir s’il avait lu le livre en cause, ce à quoi il a répondu que non. Selon lui, on veut trouver la « petite bête ».

Vers 18h, Florent Piton, témoin à la demande de l’association Survie, est appelé à témoigner. Professeur d’histoire contemporaine à l’Université d’Angers, il a commencé ses déclarations par affirmer que le négationnisme était concomitant du fait génocidaire. Il a également fait une présentation de la rhétorique génocidaire utilisée par Théoneste Bagosora, l’un des principaux penseurs du génocide, et que l’on retrouve dans l’ouvrage de Charles ONANA. Il y aurait ainsi trois ressorts de la rhétorique génocidaire : le conspirationnisme, l’inversion de la responsabilité (insistance sur les actions du FPR et le renversement de l’accusation par l’inversion des victimes), et la déshistoricisation du génocide. Il a ensuite mentionné les éléments de planification du génocide, que lui-même a constaté dans ses travaux de recherches. Il a notamment fait référence à l’évolution des politiques publiques s’agissant de la distribution d’armes. Les guillemets utilisés par ONANA pour parler du génocide sont pour lui révélateur d’un esprit de falsification. Il a terminé par se dire « décontenancé » en tant qu’historien par les sources utilisées par ONANA pour son ouvrage.

Le sixième témoin appelé à témoigner est Marie-Jeanne Rutayisire. D’ethnie Hutu, elle affirme avoir été témoin de massacres par le FPR en 1994. Au début du génocide, elle affirme ne pas savoir qu’il y avait des massacres étant donné qu’elle était restée chez elle après l’attentat mais elle aurait vu beaucoup de déplacés. Après avoir dû fuir sa maison, elle affirme n’avoir vu aucune barrière. Pour elle, les écrits d’ONANA constituent des recherches pour tous ceux qui n’ont pas d’espace pour en parler publiquement. Interrogée par la Présidente, elle avoue ne pas avoir lu l’ouvrage en cause mais affirme ne pas voir en quoi les passagers incriminés constituent une négation du génocide. Il ne le nie pas mais il y a d’autres communautés qui ont été tuées et dont on ne parle pas. Les parties civiles l’ont ensuite questionnée sur son évacuation par le FPR et s’il y avait une distinction entre Hutu et Tutsi : elle a répondu que non. Si elle a dans un premier affirmé dans ses réponses avoir vu le FPR tuer des civils, elle a été incapable de le raconter. La Présidente a alors reposé la question, et finalement elle n’y aurait pas assisté. La Défense a insisté sur sa situation en tant que veuve Hutu et le fait qu’en tant que telle elle n’avait le droit à aucune considération.

Le dernier témoin de la journée appelé à témoigner est James Gasana, Ministre de l’agriculture de 1990 et 1992 puis Ministre de la Défense jusqu’en juillet 1993. Il a expliqué qu’à cette période, le gouvernement avait mis son attention sur la situation des réfugiés et leur retour au Rwanda. En tant que membre du gouvernement, il a déclaré que le FPR refusait de participer aux négociations et qu’il souhaitait s’accaparer du pouvoir par la guerre. Selon lui, à chaque avancée vers la paix, le FPR multipliait les actes terroristes. Le livre de Charles ONANA ne conteste ainsi pas l’existence du génocide. Lui-même dans ses investigations a démontré qu’il y a eu des tueries numériquement plus importantes que ce que l’on dit. D’après un rapport du Ministère de l’Intérieur qu’il apporte, il y aurait eu plus de 2 100 000 victimes des événements qui ont suivi le 6 avril 1994. Il a également affirmé qu’il y avait derrière cela l’idée de planification. Ce génocide serait le résultat de nombreux facteurs, notamment les problèmes rencontrés durant les négociations de paix au début des années 1990.

Par Léna Jaouen, Stagiaire Commission Justice Ibuka France

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024