Fiche du document numéro 34564

Num
34564
Date
Jeudi 10 octobre 2024
Amj
Taille
75994
Sur titre
Justice
Titre
Génocide des Tutsis au Rwanda : un procès pour négationnisme à Paris convie l’histoire au tribunal
Sous titre
Le politologue Charles Onana, auteur de plusieurs ouvrages controversés, est jugé depuis lundi 7 octobre à Paris. Les premières audiences ont surtout permis de souligner les contradictions des témoins de la défense, parfois jusqu’au malaise.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Charles Onana à Montréal en 2023. (Wikicommons)

«J’ai beaucoup travaillé sur la liberté d’expression et le négationnisme. Surtout dans le cas de la Shoah», explique en préambule Thomas Hochmann. Mardi 8 octobre, lors de la dernière audience du procès intenté contre le politologue Charles Onana, avant la reprise du procès ce jeudi matin, il est invité à la barre. C’est un professeur de droit public. Mais il a été amené aussi à connaître le cas du Rwanda : il a fait partie de la commission Duclert. Laquelle, à partir de 2019 a eu accès aux archives françaises pour évaluer le rôle de la France dans le génocide des Tutsis qui s’est déroulé dans ce petit pays d’Afrique, entre avril et juillet 1994.

La veille, lundi 7 octobre, le prévenu s’était défendu de «nier le génocide des Tutsis». C’est pourtant pour dix-neuf citations, tirées de l’un des sept ouvrages qu’il a consacré à la région de l’Afrique des Grands Lacs, celui paru en 2019 et intitulé Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise : quand les archives parlent enfin, qu’il est aujourd’hui poursuivi pour négationnisme en même temps que son éditeur, Damien Serieyx, à la tête des Editions du Toucan. L’opération Turquoise, c’est celle, dénoncée dès le départ comme très ambiguë, qui conduira la France à intervenir au Rwanda à la fin du génocide. Quand les alliés de Paris, le régime qui commet le génocide, est en passe de perdre le contrôle du terrain.

Dans l’ouvrage incriminé, l’auteur cite toujours le «génocide», avec des guillemets. Il y évoque notamment «le dogme ou l’idéologie du génocide des Tutsis», dont la planification relèverait d’après lui, de l’une des «plus grandes escroqueries de l’histoire de XXe siècle». Ajoutant, notamment, que «le conflit et les massacres du Rwanda n’ont rien à voir avec le génocide des Juifs».

Grille de lecture



La Shoah, c’est justement la spécialité d’Hochmann. A la barre, il va donc commencer par rappeler que la stratégie de dénégation («je ne nie pas, mais…») fait partie du corpus négationniste traditionnel. Evoquant le cas de Maurice Bardèche, «l’un des premiers négationnistes de la Shoah», qui avait affirmé «je ne prends pas la défense de l’Allemagne» pour introduire un ouvrage qui fait tout le contraire. «Dans le cas du génocide des Tutsis au Rwanda, on note deux spécificités, poursuit l’expert. Premièrement, on ne nie pas les morts, mais celle d’un plan concerté pour aboutir au génocide. En insistant ainsi sur une prétendue “colère spontanée”. Deuxièmement, on tente d’imposer l’idée de massacres réciproques. Comme si tout le monde s’était entretué.»

Une grille de lecture qui s’applique de façon implacable à trois des témoins sollicités par la défense mardi : un général qui a commandé l’opération Turquoise, un ancien ambassadeur belge en poste dans le pays entre 1990 et 1994, et un obscur défenseur des droits de l’homme rwandais dont les propos incohérents voire malaisants, vont plutôt desservir la défense.

«On a sauvé des Tutsis menacés puis des Hutus menacés», assène le général Jean-Claude Lafourcade, commandant de la force Turquoise qui intervient fin juin au Rwanda. Cinq officiers français sont invités à comparaître dans ce procès. Bien sûr, Lafourcade ne nie pas la réalité du génocide, il rappelle que ses troupes ont alors sauvé «près de 10 000 Tutsis», mais aussi «plus de deux millions de Hutus», fuyant les combats et prétendument menacés par une rébellion d’obédience tutsie, le Front patriotique Rwandais qui reprend les armes après le déclenchement du génocide. Jamais le général ne rappelle que parmi cette population apeurée en fuite, se trouvaient les chefs d’orchestre du génocide, qui incitaient à l’exode. Et rêvaient de revanche. Mais cet officier obsédé par la défense de l’honneur de la France lors de cet épisode controversé, se montre embarrassé quand on lui demande de cautionner les propos précis de Charles Onana. «Je ne sais pas s’il y a eu planification du génocide. Je n’ai aucune info à ce sujet», se justifie-t-il.

Pourtant l’accusation «d’entente en vue de commettre le génocide» a été appliquée à un certain nombre de responsables présumés de cette «Shoah africaine». Dont le docteur Eugène Rwamucyo, jugé ces jours-ci devant la cour d’assises de Paris. Charles Onana est d’ailleurs pressenti comme témoin de la défense à ce procès.

Justifications laborieuses



Même son de cloche de la part de Johan Swinnen, ancien ambassadeur belge au Rwanda au moment de la montée des périls. «On avait des indices…» indique ce septuagénaire aujourd’hui retraité, évoquant les listes dressées de Tutsis à tuer, les caches d’armes, l’entraînement des miliciens. Bien avant le génocide de 1994. Mais une planification, non. Il n’en a pas vu. Parle juste d’«intention génocidaire» qui aurait spontanément surgi le 7 avril 1994 après l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyarimana, dont on sait désormais qu’il a été abattu par les faucons du régime. On lui oppose des télex alarmants qu’il a envoyés à l’époque, faisant état, dès 1992, d’un «état-major secret prêt à éliminer la minorité tutsie» ? Il se perd dans des justifications laborieuses.

Puis vient le témoignage de Joseph Matata, qui s’affiche comme Tutsi (avant de se déclarer issu d’un mariage mixte) et rappelle avoir fait partie d’une ONG des droits humains avant 1994. Très expansif, il enfonce en réalité le clou de la confusion. Citant des propos émanant d’un religieux tutsi qui narguait les Européens, bien avant le génocide, pour ne pas avoir décelé le supposé art du mensonge des Tutsis. Malaise. C’est exactement la rhétorique des extrémistes hutus. Et bien sûr, lui aussi ne nie pas le génocide. Les audiences reprennent jeudi matin.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024