Après le succès fulgurant de son premier roman
Petit Pays récompensé par le Prix Goncourt des lycéens, ce sont huit années qui ont permis la floraison et la sortie de
Jacaranda, le nouveau livre de Gaël Faye. Auteur-compositeur-interprète et écrivain, il nous revient avec sa plume aussi bouleversante que puissante qui nous raconte l’histoire du génocide au Rwanda à travers quatre générations.
Artiste aux multiples facettes, Gaël Faye a vécu une partie de son enfance marquée par l’exil. Il est né en 1982 au Burundi d’un père français et d’une mère rwandaise, réfugiée à la suite des premières persécutions menées contre les Tutsis. Alors qu’il était encore un jeune adolescent, le déclenchement de la guerre civile au Burundi en 1993 et le génocide des Tutsis et des Hutus modérés au Rwanda le forcent à fuir son pays natal pour rejoindre la France.
C’est après un master de finance qu’il se plonge dans la musique et l’écriture, tel un passeur de mots d’émotions et de sensations. Alors qu’il connaît un certain succès avec son premier album
Pili Pili sur un croissant de beurre, Gaël Faye ne finit pas d’émouvoir en 2016 avec son premier roman
Petit Pays. En partie autobiographique, ce best-seller est multiprimé et traduit dans une quarantaine de pays.
Autant dire que son deuxième roman
Jacaranda est un livre très attendu en cette rentrée littéraire. Ce roman aussi fort que sensible tente de percer les silences du Rwanda et les conséquences de ce terrible génocide sur plusieurs générations. Et c’est la Belgique qu’il a choisie pour présenter en primeur ce roman à ses lecteurs. Dans une librairie namuroise, de nombreuses personnes aux anges ont pu échanger et partager avec cet écrivain au parcours atypique.
Ce roman est-il un travail de transmission à destination de ces générations qui n’ont pas connu le génocide ?
[Gaël Faye :] Oui, mon intention première est de transmettre à cette nouvelle génération. Il faut savoir que 70% des Rwandaises et des Rwandais ont moins de 30 ans. Je suis comme une génération "trait d’union". J’étais né au moment du génocide. J’ai les souvenirs de ces 100 jours. Je me souviens de la vie de nos parents, de la reconstruction. En même temps, j’ai été trop petit pour faire partie de cette histoire mais j’en ai été témoin.
Donc, je me sens comme un passeur d’une certaine façon. J’ai surtout envie d’engager la conversation. Pour
Jacaranda, j’ai rencontré beaucoup de jeunes gens qui m’ont raconté leur vie, leurs sensations, leurs sentiments d’être nés après, de vivre dans cette société, de grandir dans cette société. Et comme il n’y avait pas encore vraiment de romancier de cette génération-là, c’est un peu comme un grand frère accompagnant que j’ai écrit ce livre avec mes mots. J’ai inventé ma langue à partir de mon petit jardin secret du Burundi, du Rwanda, de cette région. Ce livre est finalement une invitation.
Comment vous vous y prenez pour faire de la littérature autour d’un sujet aussi difficile que le génocide au Rwanda ?
[Gaël Faye :] C’est une question délicate. Personnellement, j’avance par petites touches impressionnistes successives. Je pars de petits détails pour fabriquer des scènes et des personnages. En fait, je n’ai pas de plan prédéterminé. Après je fais confiance énormément à mes personnages car ils m’aident beaucoup dans le processus d’écriture. J’essaie aussi de me dire qu’écrire un roman, c’est finalement la photographie d’un instant. J’essaie d’y mettre une forme de souplesse en me disant que ce livre est simplement ce que je ressens à ce moment présent. Ce n’est pas un testament.
Ce n’est donc pas vous ou en quelque sorte autobiographique ?
[Gaël Faye :] Je ne pourrais pas écrire directement sur moi. J’ai en revanche besoin de métaboliser ce que mes personnages ressentent. C’est peut-être la part la plus difficile dans l’écriture. C’est-à-dire que si je prends le point de vue d’une jeune fille comme Stella dans mon roman qui est une jeune fille qui grandit dans cette société et qui se veut post-ethnique, il faut que je devienne Stella. Si je prends le point de vue d’un survivant comme Claude, il faut que je devienne Claude. C’est vrai que quand les personnages traversent des scènes difficiles, je les ressens forcément à la même intensité qu’eux. Écrire, c’est pour ma part une épreuve émotionnelle.
Votre travail d’écriture est-il différent entre la littérature et la musique ?
[Gaël Faye :] La façon dont je crée ma musique, c’est un travail collectif qui engage beaucoup plus de monde. Donc je reste moins longtemps bloqué sur mes idées. C’est plus fluide d’une certaine façon. Dans le roman, il y a une introspection, une course de fond. On est son propre ennemi parfois, parce que les blocages viennent de nous. Et il n’y a que nous pour les résoudre. C’est un peu la différence. Mais finalement, je ne vois pas beaucoup de différence dans l’écriture. J’entends autant la musique quand j’écris un roman, que lorsque j’écris une chanson.