Fiche du document numéro 34470

Num
34470
Date
Lundi 15 juillet 2024
Amj
Taille
12340259
Titre
Au Rwanda, ces jeunes qui votent (presque) tous pour Paul Kagame
Sous titre
Portfolio · C’est jour d’élections : ce lundi 15 juillet, les Rwandais·es voteront pour leur président et leurs députés. Candidat à sa propre succession, Paul Kagame devrait facilement remporter ce scrutin, pour un quatrième mandat. Ce chef de l’État autoritaire reste populaire chez les moins de 30 ans, qui n’ont pas connu le génocide contre les Tutsi·es de 1994. Reportage entre les bords du lac Kivu et la capitale, Kigali.
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Mot-clé
FPR
Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Des jeunes lors d’un meeting de campagne du Front patriotique rwandais, à Rubavu le 23 juin 2024.
© Paloma Laudet / Item

Les Rwandais·es sont appelé·es aux urnes ce lundi 15 juillet, et le résultat des élections présidentielle et législatives (ces dernières avaient été repoussées d’un an) ne fait guère de doute : le président sortant, Paul Kagame, 66 ans, et son parti, le Front patriotique rwandais (FPR), devraient une nouvelle fois remporter haut la main ces scrutins. Trente ans après le génocide contre les Tutsi·es, qui a fait près de 1 million de victimes entre avril et juillet 1994, Paul Kagame dirige le pays d’une main de fer depuis 2000 – année où il accède à la présidence, après avoir été vice-président et ministre de la Défense à partir de 1994. Les moins de 30 ans, qui représentent les deux tiers de la population, n’ont connu ni le génocide ni l’alternance, mais voteront en masse pour « leur président ».

Du 22 juin au 13 juillet, le pays entier a vibré au rythme d’une campagne électorale intense. Les meetings politiques du FPR et de Paul Kagame ont battu leur plein dans toutes les régions, quasi quotidiennement. Les rassemblements pour l’ouverture des campagnes, les 22 et 23 juin, auraient attiré entre 300 000 et 350 000 personnes par jour, selon les autorités. De nombreux jeunes étaient présent·es, vêtu·es des couleurs du FPR et de tee-shirts à l’effigie de Paul Kagame. Des chansons à la gloire du président ont été scandées par la foule sous le soleil ardent de la saison sèche. Chaque participant a reçu un petit drapeau du parti. Le président arrivait souvent trois heures après le début des festivités pour prononcer un discours mêlant patriotisme et gloire à la « démocratie du pays ». Un peu partout, on pouvait lire : « Tora Paul Kagame » (« Vote Paul Kagame », en kinyarwanda).

En stoppant les massacres avec ses troupes du FPR, l’ancien rebelle qui a fait ses armes dans le maquis ougandais s’est assuré la reconnaissance durable des Rwandais·es et de la communauté internationale, demeurée immobile pendant les tueries. Mais en sacrifiant la concurrence politique sur l’autel de la réconciliation et de la reconstruction – seul un autre parti considéré d’opposition a été autorisé, le Parti vert démocratique, qui a fait 0,47 % à la présidentielle de 2017 –, les critiques sur sa gestion autoritaire et son implication dans le conflit qui déchire l’est de la RD Congo sont devenues récurrentes. Et celles-ci sont de moins en moins atténuées par le « miracle rwandais », bien visible et bien réel au regard des performances économiques et sociales que le pays affiche seulement trois décennies après l’apocalypse qui s’est abattue sur lui.

Une éducation bien ficelée

De ce génocide, dont les cicatrices affleurent encore des pentes verdoyantes des « milles collines » et d’une grande partie des 14 millions de Rwandais·es, Paul Kagame en a fait aussi un instrument politique pour encadrer sa population dès le plus jeune âge. Endoctrinement, diront certain·es, éducation pour que « plus jamais ça » n’arrive, diront d’autres. Sans doute un peu des deux.

Sur les bancs des écoles rwandaises, de la primaire au collège, les élèves apprennent par cœur l’histoire du drame, de la colonisation belge à la « libération » par le FPR, en passant par le rôle de la France. Tous les collégien·nes visitent au moins une fois l’un des nombreux mémoriaux qui parsèment le pays. À cette formation bien ficelée s’ajoutent des cours d’éducation civique au lycée, également centrés sur le génocide. Selon la Canadienne Susan Thomson, avocate des droits de la personne et professeure d’études sur la paix et les conflits à la Colgate University, « ce dispositif déguise les efforts de l’État pour contrôler sa population en utilisant un langage d’unité ethnique et d’intégration sociale, tout en cherchant à consolider le pouvoir politique du Front patriotique rwandais, qui est aux affaires ».

Tous les ans, à partir du 7 avril, les commémorations du génocide occupent une place centrale dans le quotidien des Rwandais·es. Pendant cent jours, ils doivent se réunir et partager leurs traumatismes pour ne pas oublier. L’historien Rémi Korman, spécialiste des questions de la mémoire du génocide au Rwanda, explique : « Les commémorations s’inscrivent dans de multiples dimensions, en particulier le deuil pour les victimes du génocide des Tutsis mais aussi des enjeux politiques locaux, nationaux et internationaux. Les commémorations, quel que soit le régime, jouent évidemment un rôle politique, qui peut changer selon les périodes, selon le contexte. » Cent jours qui permettent aussi de rappeler, à chaque Rwandais·e, qui est vraiment l’architecte du « miracle ».

« Qui d’autre pour s’occuper de nous ? »

Pour une écrasante majorité des jeunes de moins de 30 ans, l’idée de voter pour quelqu’un d’autre que Paul Kagame est naturellement devenu inconcevable. C’est le sentiment partagé par Sandra. Cette jeune femme connectée de 23 ans a reposté des images du compte officiel d’un célèbre réseau social de Paul Kagame dans sa propre story. Elle s’est bien évidemment rendu à plusieurs meetings électoraux vêtue des couleurs du FPR. « Qui d’autre [que Paul Kagame] pourrait s’occuper de nous ? » s’interroge-t-elle.

Le traumatisme intergénérationnel et la situation dans l’est de la RD Congo – où le Rwanda a déployé plusieurs milliers de soldats aux côtés du M23, selon l’ONU1 – ont également contribué a resserrer les rangs autour de l’homme qui incarne la résistance face à l’innommable : dans l’imaginaire collectif, se cachent dans les forêts congolaises des hordes de génocidaires prêts à fondre sur Kigali pour terminer « le travail » (terme employé par les Hutu·es pour désigner l’assassinat de Tutsi·es). La réalité est plus complexe, mais la peur se nourrit de choses simples martelées sans cesse par le président.

Dans ce reportage, réalisé entre mars et juillet sur les bords du lac Kivu et dans la capitale, Kigali, certain·es de ces jeunes ont accepté de témoigner en répondant à cette question : pourquoi Paul Kagame est, à leurs yeux, le seul à pouvoir conduire le pays ?

Fidèle et Placide, 22 ans, dans une église pentecôtiste sur l’île de Gihaya (lac Kivu), le 21 mars 2024.
© Paloma Laudet / Item

« Nous avons appris à l’école le traumatisme que notre pays a subi, mais aussi que [le génocide] ne peut pas recommencer », murmure Fidèle. Quelques minutes auparavant, sa voix d’alto s’élevait avec celle de son ami Placide, dans une petite église pentecôtiste de Gihaya. Fidèle et Placide ont 22 ans et sont nés sur cette île du lac Kivu, situé à l’ouest du Rwanda. Ils n’ont pas connu le génocide contre les Tutsi·es. Contrairement au reste du pays, les Hutu·es de l’île ont refusé de céder aux appels à la haine. À la question « pourquoi le génocide ne peut plus recommencer ? », Fidèle répond, sans ambage : « C’est parce que nous avons un bon gouvernement et Paul Kagame à sa tête. »

Aimable, 31 ans, guide touristique, avec ses amis, à Kibuye (24 mars 2024).
© Paloma Laudet / Item

Lorsque nous rencontrons Aimable à Kibuye, sur les berges du lac Kivu, il se prélasse sur une pirogue à moteur avec quelques ami·es. Ils sont tous âgés de moins de 30 ans. Lui est légèrement plus âgé : à 31 ans, il est guide dans une agence de tourisme et organise des sorties quotidiennes sur le lac. Alors qu’il est assis à l’avant du bateau, une vague vient l’éclabousser. Il se met à rire, puis redevient sérieux et lance, en regardant ses amis se trémousser sur de l’amapiano : « Nous sommes une nouvelle génération, nous avons la chance de pouvoir aller à l’école et d’avoir des opportunités de travail. Et ce grâce à notre Président. Il aime son peuple. »

Déborah, 28 ans, enseignante à Kigali (24 mars 2024).
© Paloma Laudet / Item

Déborah, 28 ans, est professeure à l’école primaire, à Kigali. Aux mots d’Aimable, elle ferme son roman, rehausse ses lunettes et corrobore : « C’est un dirigeant éclairé. Et il a été le rempart contre le génocide. Nous apprenons à nos élèves l’histoire de notre pays et du génocide. Il est important qu’ils sachent qui a sauvé le pays. »

Jean, 21 ans, étudiant à l’université de Kigali (11 mars 2024).
© Paloma Laudet / Item

Dans les universités de la capitale, les jeunes militent pour que les rares opposants rejoignent le FPR. Jean fait partie de ce groupe. Étudiant en commerce à l’université de Kigali, il se rêve un jour au poste de ministre, aux côtés de Kagame. « Mon père fait partie des 600 hommes du FPR qui ont sauvé le pays en juillet 1994 », affirme-t-il entre deux cours, à l’ombre d’un gommier bleu. « Je ne vois pas d’autre parti politique, ni un autre dirigeant qui conviendrait au Rwanda. »

Patrick, 29 ans, chef de la campagne du Parti vert démocratique dans la province de l’Est, à Kigali (13 mars 2024).
© Paloma Laudet / Item

Patrick, 29 ans, est le responsable de la campagne législative du Parti vert démocratique dans la province de l’Ouest, le seul parti d’opposition autorisé à participer à la présidentielle. En 2017, ce parti dirigé par Frank Habineza n’a réuni que 0,47 % des voix à la présidentielle et deux sièges à l’Assemblée nationale lors des législatives de 2018. Patrick vote pour Frank Habineza car il désire voir les choses changer pour le milieu rural. Pour autant, il n’est pas critique envers Paul Kagame et juge que le président « a transformé le pays » mais « qu’il est temps d’avancer ».

Amimano, 27 ans, coiffeur à Rubona (9 juillet 2024).
© Paloma Laudet / Item

Amimano, 27 ans, est coiffeur à Rubona, à quinze minutes de la frontière congolaise. Il ne connaît ni le nom de Frank Habineza, ni le nom de son parti : « Je n’ai jamais entendu parler de l’opposition, je ne connais rien sur d’éventuels autres partis et d’ailleurs je m’en fiche, je voterai pour Paul Kagame quoi qu’il arrive. »

Michael Pauron

Journaliste passé par l’hebdomadaire Jeune Afrique, il a collaboré à divers journaux, dont Mediapart. Il est l’auteur de Les Ambassades de la Françafrique : l’héritage colonial de la diplomatie française (Lux Éditeurs, collection « Dossiers noirs » de Survie, 2022, 230 pages). @MPAURON / m.pauron@afriquexxi.info.

Paloma Laudet

Paloma Laudet est photojournaliste. Actuellement basée à Paris, elle collabore en France et à l’étranger avec différents médias tels que Le Monde, Libération, Les Jours, ou encore The New Humanitarian.

Margaux Solinas

Margaux Solinas est journaliste, correspondante aux Pays-Bas. Elle écrit également sur l’Afrique Centrale et l’Afrique de L’Est. Elle signe notamment chez Libération, Le Temps, ou encore La Libre Belgique.

[Note :]

1. Dans son dernier rapport, le Groupe d’experts des Nations Unis sur la
RD Congo affirme que Kigalidispose de 3 000 à 4 000 hommes dans la région, accuse l’Ouganda de soutenir aussi le M23 et lesForces armées congolaises de continuer à s’appuyer sur les FDLR , une milice constituée d’anciens génocidaires rwandais.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024