Citation
RECENSION
NÉGATIONNISME EN RDC
APOCALYPSE CONGO
La sortie du dernier livre du négationniste Charles Onana est l’occasion de revenir sur l’histoire récente
de la RDC. Première partie dans ce numéro.
e dernier ouvrage de Charles
Onana, « Holocauste au
Congo »1, lancé à grand fracas
publicitaire, se résume à une thèse sim
pliste et raciste : Le Congo est victime
d’« un plan secret d’invasion » pour éta
blir un « empire Tutsi »2. Pour cela Ka
game a organisé la fuite massive au
Congo de réfugiés rwandais « entre
avril et juillet 1994 » afin d’avoir un mo
tif d’entrer au Congo et il se sert des
milices de Tutsi congolais, les Banya
mulenge, pour terroriser et exterminer
les populations locales. « L’afflux de mil
lions de réfugiés rwandais en territoire
zaïrois n’est en aucun cas […] un « dé
gât collatéral » du génocide rwandais. Il
procède au contraire d’une action mili
taire minutieusement préparée »3. On a
là, une fois de plus, la volonté néga
tionniste de l’auteur. Nier les consé
quences d’un fait, c’est en quelque
sorte escamoter le fait luimême. Ni la
date de l’exode ni le nombre des
fuyards ne correspondent à la réalité
des faits. En avril, seuls les Tutsi et les
Hutu opposés aux extrémistes génoci
daires cherchent désespérément à fuir.
Un très petit nombre y parvient. La
masse des réfugiés arrive mijuillet au
Zaïre, quand l’APR achève le contrôle
du territoire du Rwanda. Ils ne sont pas
« des millions » mais un million et de
mi. Ils accompagnent la fuite des
membres du gouvernement intéri
maire et des FAR en déroute.
L
Quant à l’affirmation que cette inva
sion du Zaïre par Kagame serait faite
« au profit des entreprises minières oc
cidentales et des intérêts privés anglo
américains », elle prête à rire. Les
Occidentaux n’ont pas besoin de Ka
game pour contrôler le Congo et ses
dirigeants, ils l’ont fait sans disconti
nuer depuis toujours directement, par
leurs propres moyens. Tout l’histoire
du Congo en témoigne.
Mobutu fossoyeur du Congo
Onana expédie en quelques lignes
l’épisode Mobutu de l’histoire du
Congo : « Le maréchal Mobutu qui,
malgré les nombreuses exactions dues
à sa tyrannie, demeurait un fidèle allié
de la France et surtout un facteur de
stabilité pour toute l’Afrique Cen
trale »4. Noter qu’être un « fidèle allié
de la France » n’est nullement en
contradiction avec la tyrannie et les
exactions mais permet de les négliger.
Merci à Onana de le rappeler. Que dire
de la fameuse « stabilité »?, c’est le cou
plet chanté pour justifier le soutien aux
dictateurs d’Afrique centrale. Onana ou
la Voix de son maître. Quant aux USA,
l’autre grande cible du livre :« Très sou
tenu par eux tout au long de la guerre
froide, le président Mobutu n’a pas
compris qu’après trente deux ans de
bons et loyaux services rendus aux
ÉtatsUnis, ceux ci envisageaient sé
rieusement de se passer de lui »5.
Trente six ans d’histoire tragique du
CongoZaïre sont escamotés en une
phrase lénifiante. C’est pourtant la
connaissance de cette sombre période
qui seule peut expliquer l’état de déli
quescence auquel était réduit le Zaïre
de Mobutu en 1996, ce qui en a fait une
proie facile offerte à tous. Le sergent
Joseph Désiré Mobutu . recruté à vingt
ans en 1950 dans la Force publique
belge, nommé sergent en 1954, de
vient, à la fin de son engagement, en
1956, journaliste à L’avenir, « le quoti
dien le plus colonialiste de Léopold
ville ». Il est également un indicateur de
la sûreté belge. Il deviendra tout natu
rellement un agent de la CIA dans la
chasse à Lumumba dont les USA
exigent l’élimination. C’est cet homme,
présenté comme falot et velléitaire, ivre
la plupart du temps, que les USA et les
Belges vont faire « roi du Zaïre »6.Mo
butu, devenu commandant en chef de
l’armée, arrive au pouvoir par la terreur
que font régner ses troupes qui com
mettent assassinats, viols, disparitions,
pillages. Après l’élimination barbare de
Patrice Lumumba, Premier ministre,
Maurice Mpolo, ministre de la Jeunesse
et des Sports et Joseph Okito, vicepré
sident du Sénat, livrés à des tueurs
belges près d’Elisabethville (Katanga)
en janvier 1961, c’est celle des lumum
bistes de la Province orientale, Finant,
président du gouvernement provincial,
Fataki, Nzuzi, Elengesa, Yangara et Mu
1 Charles Onana, préface de Charles Millon, Holocauste au Congo. L’Omerta de la communauté unternationale. La France complice ?, L’Artilleur 2023
2 Sommaire pp.78
3 p. 33
4 p. 11 /
5 p. 117
6 voir le chapitre « Qui est Mobutu » p. 65 – 79 dans Jules Chomé : L'Ascension de Mobutu : du sergent Désiré Joseph au général Sese Seko ; Maspéro 1974. Ce livre fut interdit en
France à sa parution en juillet1974 par le ministre de l’Intérieur Michel Poniatowski. Quelques années plus tard, Maspéro obtient l’annulation du décret d’interdiction et le livre
reparaît, dans une édition augmentée, en 1979.
Billets d'Afrique 330 - septembre 2023
zungu sont enlevés et amenés à Léo
poldville le 9 février 1961. Ils sont en
suite envoyés, avec cinq autres
personnalités lumumbistes, à Bakwan
ga au sud Kasaï, l’autre province séces
sionniste où règne Albert Kalonji, où
ces onze personnes « seront massa
crées dans les conditions les plus abo
minables » 7.
Rebellion lumumbiste
En 1963, les leaders lumumbistes survi
vants entrent dans la clandestinité.
Pierre Mulele développe un maquis
dans le Kwilu, occupant la totalité des
campagnes, ralliant massivement la po
pulation ainsi que des déserteurs de
l’armée congolaise, tandis que, sous la
direction de Christophe Gbenye, fon
dateur du Comité National de Libéra
tion à Brazzaville en 1963, Gaston
Soumialot et le général Nicholas Olen
ga au nord Kivu, Laurent Kabila au sud
Kivu, s’installent grâce à « un soutien
populaire massif et spontané »8. Les
deux tiers du Congo sont bientôt sous
le contrôle des « Simbas », nom que se
donnent les combattants de cette ré
bellion, équipée d’armes rudimen
taires, qui avancent au cri de « Maï
Mulele », le premier et le plus popu
laire des leaders lumumbistes. Ils vont
s’emparer de stocks d’armement de
l’armée nationale congolaise, abandon
nés dans sa fuite. Une République po
pulaire du Congo est proclamée, le 5
août 1964 à Stanleyville. En novembre
1964, une opération conjointe des pa
ras belges et de l’aviation des USA est
lancée, tandis qu’une colonne de mer
cenaires progresse au sol en soutien à
l’armée de Mobutu. Stanleyville est
prise au prix de combats acharnés et
les régions occupées par la rébellion
sont « nettoyées » avec la pus grande
7
férocité. Des villages entiers, notam
ment dans le Kwilou sont détruits, leur
population exterminée. Ne subsistent
de la rébellion que deux poches, au
Centre et à l’Est9. C’est à ce moment
que Cuba lance une opération de sou
tien, sous le commandement de Che
Guevara, au maquis du Sud Kivu. Dé
barqué au Congo en avril 1965 à Ki
bamba, au bord du lac Tanganyka,
venant de Tanzanie, ce dernier échoua
à réorganiser la guérilla des Simbas,
harcelée par les assauts de l’armée
congolaise encadrée par les merce
naires soutenus par l’aviation des USA.
Il fera le récit de son expérience : « Il
ne s'agit pas d'exporter la révolution,
mais de soutenir pratiquement les
mouvements révolutionnaires qui ont
effectivement l'appui des peuples » Il
quitte le Congo en novembre 1965 sur
un échec dont il tire les leçons : «Ce ré
cit se clôt sur un épilogue qui reprend
les questions posées par la lutte en
Afrique et, en général, par la lutte de li
bération nationale contre la forme néo
coloniale de l’impérialisme, par le jeu
de masques et les subtilités qu’elle im
pique et par la longue expérience de ce
type d’exploitation dont font preuve
les puissances qui la pratiquent. »10
L’ascension de Mobutu
Quelques jours après, fin novembre
1965, Mobutu, porté au pouvoir par un
coup d’état militaire, devient le maître
absolu du Congo. « L'on peut craindre
que, dans les provinces lointaines, il ne
laisse le soin du maintien (si l'on peut
dire) de l'ordre à des militaires peu
scrupuleux et à des mercenaires qui le
sont encore moins.»11. Le Congo est
parti pour trois décennies d’oppression
féroce, inaugurée par le supplice bar
bare de l’assassinat de Pierre Mulele en
1968, livré à Mobutu par Sassou Ngues
so. Pendant ces années, Mobutu fut ac
cueilli en grande pompe en France et
en Belgique. Le président Giscard d’Es
taing se rend au Zaïre en Concorde en
1975. Le président François Mitterrand
fait de même, toujours en Concorde,
pour son premier déplacement en
Afrique en 1984. Bien plus, en 1978, la
France de Giscard intervient au Zaïre
pour sauver Mobutu. Six cents légion
naires, commandés par le colonel Phi
lippe Érulin12, sont parachutés sur
Kowezi au Shaba (ex Katanga). La ville
avait été prise par 4000 «Katangais», les
« Tigres » commandés par Nathanael
Mbumba, venus d’Angola par la Zambie.
Les rebelles sont repoussés après un
sanglant nettoyage de la région où périt
en masse la population locale. Personne
ne rendit compte de la réalité de cette
opération sanglante. Seul un film à la
gloire de la légion, La légion saute sur
Kolwesi, en garde une mémoire magni
fiée. Pourtant, nul n’ignorait en haut
lieu le pillage systématique et astrono
mique auquel se livrait un dictateur mé
galomane enfermé dans son délire, aux
dépens des ressources de la nation
congolaise. En 1997, les avoirs person
nels à l'étranger de Mobutu sont esti
més à environ 7 milliards de dollars
(soit 70 % de la dette extérieure du
Zaïre) , par l'UNODC (Office des Na
tions Unies contre la drogue et le
crime) et Transparency International.
Les massacres et pillages de l’ère Mobu
tu n’ont jamais été dénoncés dans la
grande presse occidentale jusqu’à la
chute du maréchal en 1997. Fin du «Fi
dèle allié de la France, facteur de stabili
té pour l’Afrique centrale ».
Odile Tobner
A suivre...
Jules Chomé, op. cit. p.95
8 Benoît Verhaegen, Les rébellions populaires au Congo en 1966 ; https://www.persee.fr/doc/cea_00080055_1967_num_7_26_3100
9 Voit Ludo Martens : Pierre Mulele ou la seconde vie de Patrice Lumumba ; éd du Cerf 1997
Ludo De Witte : L’ascension de Mobutu, comment la Belgique et les USA ont fabriqué un dictateur Investig’action 2017
10 Ernesto Che Guevata : Passages de la guerre révolutionnaire. Le Congo ; Mataillé 2000 ; p. 33
11 L'Express (France), 29 novembre au 5 décembre 1965, p. 38
12 Un des deux officiers soupçonnés, quand ils étaient lieutenants en Algérie, d’avoir torturé à mort Maurice Audin.
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