Citation
A la demande de l’Organisation de l’unité africaine (OUA, à présent Union africaine, UA), puis de l’ONU, la participation militaire de la Tunisie au Rwanda connaîtra trois périodes :
• Du 6 septembre au 31 octobre 1993, sous la bannière de l’OUA, avec des effectifs de 60 personnes, sous le commandement du commandant Belgacem Mfarrej.
• Du 1er novembre 1993 au 12 juillet 1994, en tant que Casques bleus de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (Minuar), avec des effectifs de 60 personnes puis réduits à 40 personnes, sous le commandement du commandant Belgacem Mfarrej.
• Du 4 septembre 1994 au 15 juillet 1995, avec 854 personnes, dans le cadre de la Minuar 2, sous le commandement du colonel-major Abdelaziz Toumia, secondé par le lieutenant-colonel Taoufik Ayed, qui dirigera le contingent à partir du mois d’avril 1995, lorsque le colone-major Toumia a été désigné à l’état-major de la Minuar 2.
Ce furent des missions héroïques, accomplies par les militaires tunisiens. Nos deux contingents ont été hautement appréciés par les populations locales et unanimement salués par les Nations Unies, l’OUA, les pays concernés et les différentes factions opposées au Rwanda.
« Je ne saurais trop insister sur la bravoure des Tunisiens. Ils n'ont jamais manqué à leur devoir et ont toujours fait preuve du plus haut niveau de courage et de discipline face à des tâches difficiles et dangereuses », témoignera le Général de Brigade Roméo Dallaire, chef de la Minuar, dans son livre devenu un best-seller. « Les Tunisiens m’ont sauvé la vie », déclarera de son côté Bernard Kouchner, ancien ministre français, dont le cortège était tombé dans une embuscade, alors qu’il était en mission humanitaire au Rwanda.
Les témoignages de reconnaissance se sont multipliés, tout comme les citations d’honneur, les distinctions et les médailles décernées à nos vaillants soldats.
Le souvenir de l’armée tunisienne, du drapeau national et de la Tunisie est resté gravé dans les mémoires. Jusqu’à présent. Retour sur le récit de ces missions restées peu connues par les Tunisiens.
Un génocide à ciel ouvert
Parce que nés Tutsis, ethnie minoritaire dans le pays, — mais aussi il y avait des victimes, des hutues —, près d’un million d’enfants, de femmes et d’hommes ont été martyrisés au Rwanda, il y a à présent 30 ans lors d’un des plus grands génocides perpétrés le siècle dernier. La phase de paroxysme s’était déroulée du 6 avril 1994 au 17 juillet 1994 dans un infernal huis clos. « La France, qui aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, n’en a pas eu la volonté», reconnaîtra tout récemment le président Emmanuel Macron. Le rapport de la Commission d’historiens, présidée par Vincent Duclert, donne froid dans le dos par les détails documentés des responsabilités qui ne sauraient être niées.
Petit Etat de l’Afrique de l’Est, le Rwanda, qui s’étend sur une superficie de 26 338 km2, indépendant depuis 1962, est secoué par des affrontements successifs entre ses principaux groupes ethniques, les Hutus (85%) et les Tutsis (14%) qui composent sa population (alors de 7 millions d’habitants en 1994). Porté par un coup d’Etat au pouvoir en 1973, le président Juvénal Habyarimana ne parviendra pas à juguler la guerre civile déclenchée dans les années 1980.
Quelque 480 000 Rwandais réfugiés essentiellement au Burundi, en Ouganda, au Zaïre et en Tanzanie, réclamant le droit de retour au pays, seront à l’affût, organisant des incursions successives. En 1988, le Front Patriotique Rwandais (FPR) fut fondé à Kampala (Ouganda), notamment par Fred Gisa Rwigema, puis dirigé par Paul Kagame. Le 1er octobre 1990, 7 000 combattants du FPR lancèrent une attaque majeure contre le Rwanda à partir de l’Ouganda.
Un accord de paix, promu par l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et des gouvernements de la région, signé le 4 août 1993 à Arusha, en Tanzanie, devait mettre fin au conflit entre le gouvernement hutu de l’époque et le parti d’opposition, le Front patriotique rwandais (FPR), avec notamment la création d’un gouvernement de transition.
L’OUA avait déployé depuis juillet 1992 un Groupe d’observateurs militaires neutres (Gomn) pour veiller au respect du cessez-le-feu entre les deux parties. Un nouveau Groupe (Gomn 2) sera constitué en août 1993, et composé de 132 militaires de cinq pays africains dont la Tunisie. Fort de 60 personnes, le contingent tunisien sera le premier par sa taille. Le Sénégal alignera 29 officiers, le Congo 25 officiers et le Nigeria 2 officiers.
Des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies viendront, dès le 5 octobre 1993, décider de la création d’une Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (Minuar), pour un mandat de six mois renouvelable, puis d’une deuxième mission Minuar 2. Depuis son indépendance, la Tunisie a favorablement répondu à différentes demandes des Nations unies et de l’OUA pour envoyer des contingents militaires dans de nombreux foyers de guerre et de tensions sur le continent africain, en Europe et en Asie. C’est dans ce cadre que s’inscrit la participation au maintien de la paix au Rwanda.
Chronologie
1er contingent 1993 - 1994
6 septembre 1993
• Départ pour le Rwanda du premier contingent militaire tunisien, composé de 60 personnes, sous la houlette du commandant Belgacem Mfarrej, et installation dans la ville de Busogo, à 150 km de la capitale, Kigali.
5 octobre 1993
• Résolution du Conseil de sécurité de l’ONU n° 872 décidant « de créer une opération de maintien de la paix intitulée Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (Minuar) pour une période de six mois, étant entendu que celle-ci ne sera prolongée au-delà de la période initiale de quatre-vingt-dix jours qu'une fois que le Conseil de sécurité aura examiné un rapport du Secrétaire général indiquant si des progrès appréciables ont été réalisés ou non dans la mise en œuvre de l'accord de paix d'Arusha.»
1er novembre 1993
• Intégration de la force Minuar
• Installation en deux groupes à Kinihira et N’Kumba
18 janvier 1994
12 février 1994
• Installation du contingent tunisien à Kigali
6 avril 1994
• L’avion présidentiel ayant à son bord le président du Rwanda, Juvénal Habyarimana, et le président du Burundi, Cyprien Ntaryamira, est abattu alors qu’il s’apprêtait à atterrir à Kigali. Ils y trouveront la mort.
• Déclenchement de la phase paroxysmique du génocide des Tutsis.
10 avril 1994
• Le contingent tunisien est chargé de sécuriser l’hôtel Le Méridien, Mille collines et l’hôpital du Roi Fayçal, de protéger les réfugiés, de distribuer l’aide alimentaire en leur faveur et préparer les évacuations vers d’autres zones.
21 avril 1994
• Résolution du Conseil de sécurité n° 912, modifiant le mandat de la Minuar, pour « agir comme intermédiaire entre les parties pour essayer d’obtenir leur accord à un cessez-le-feu et faciliter la reprise des opérations de secours humanitaires dans la mesure du possible ». Les effectifs sont réduits à 450 personnes (au lieu de 2 700).
8 juin 1994
• Résolution du Conseil de sécurité n°925, décidant de proroger le mandat de la Minuar prenant fin le 29 juillet 1994 jusqu’au 9 décembre 1994.
22 juin 1994
• Résolution du Conseil de sécurité n°929 qui permettra notamment à la France d’intervenir au Rwanda dans le cadre de l’opération Turquoise, le 22 juin 1994.
12 juillet 1994
• Fin de mission et départ pour Tunis.
2e contingent 1994 - 1995
4 septembre 1994
• Départ d’une équipe de précurseurs
15 juillet 1995
• Derniers retours à Tunis des éléments du contingent.
Récit d’un engagement héroïque à la veille, puis pendant le génocide (1993-1994)
• Du 6 septembre au 31 octobre 1993, sous la bannière de l’OUA, avec des effectifs de 60 personnes, sous la houlette du commandant Belgacem Mfarrej.
• Du 1er novembre 1993 au 12 juillet 1994, en tant que Casques bleus de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (Minuar), avec des effectifs de 60 personnes puis réduits à 40 personnes, sous la conduite du commandant Belgacem Mfarrej.
C'était au début de l’été 1993. Sollicitée par l’Organisation de l’unité africaine (OUA, désormais Union africaine) pour renforcer le Groupe d’observateurs militaires neutres (Gomn) qu’elle avait dépêché au Rwanda, la Tunisie, fidèle à son engagement au service de la paix, a donné son accord et entrepris les préparatifs y afférents. C’est ainsi que l’Armée tunisienne devait pourvoir un détachement composé de 60 militaires. La sélection rigoureuse de ses membres et de son commandement, la formation appropriée à la mission au sein d’unités spécialisées et la préparation spécifique au contexte d’opération seront cruciales. Chaque chef de corps était en effet instruit pour proposer les meilleurs et tout un programme de préparation a été élaboré par l’état-major.
Placé sous la houlette du commandant Belgacem Mfarrej, le contingent a été rassemblé dès le 10 août 1993 pour entamer, outre les préparatifs d’usage (aspects administratifs, examens médicaux, vaccinations, et autres), une série d’entraînements et d’imprégnations. Il s’agit en effet, en plus des aspects militaires, de prendre connaissance de la situation au Rwanda, de l’histoire du pays, de sa population, des origines du conflit, de la nature de la mission et du mode opératoire sous la bannière de l’OUA.
Embarqué le 6 septembre 1993 à destination du Rwanda, le contingent tunisien a été, dès son arrivée à la capitale, Kigali, transféré à Busogo, située à 120 km à l’Ouest de la capitale, où il a été installé dans les locaux de l’Institut supérieur d’agronomie.
La mission du contingent tunisien était d’assurer le contrôle et l’observation du cessez-le-feu entre les Forces armées rwandaises (FAR) et celles du Front patriotique rwandais (FPR). Il était chargé de surveiller les activités des deux forces en contrôlant les mouvements des véhicules et des troupes à pied, pour s’assurer qu’ils ne transportent pas d’armes, de munitions ou tout autre matériel prohibé. Malgré le manque de moyens de transport, de communication et d’armement, notamment, il devait effectuer des patrouilles, installer et superviser les points de contrôle, sécuriser des lieux de réunions, escorter des convois et les déplacements d’officiels, de diplomates et de militaires et autres. Il s’en acquittera à la haute appréciation des différentes parties.
Sous les Casques bleus
L’ampleur de la situation sur le terrain et les risques de son aggravation ont conduit le Conseil de sécurité de l’ONU à décider, par sa résolution n° 872 du 5 octobre 1993, « de créer une opération de maintien de la paix intitulée Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (Minuar) pour une période de six mois ». Le mandat sera plus élargi, couvrant, outre la sécurité, la supervision de l'accord de cessez-le-feu, la contribution au déminage, le contrôle du processus de rapatriement des réfugiés rwandais et de réinstallation des personnes déplacées, et l’aide à la coordination des activités d'assistance humanitaire liées aux opérations de secours. La mission sera forte de 2 700 militaires, provenant de 22 pays, dont la Tunisie. Elle a été placée sous le commandement du général de brigade Roméo Dallaire (Canadien). Sur décision du ministre de la Défense nationale, le contingent tunisien y sera incorporé. Alors le seul déployé au Rwanda, il sera le premier à l’intégrer.
C’est ainsi que lors de l’établissement du quartier général de la Minuar, le 1er novembre 1993, c’est le contingent tunisien qui a été chargé par le général Dallaire de hisser le drapeau de l’ONU… Un moment historique.
En attendant l’arrivée des autres détachements des pays participant à la mission, le contingent tunisien, alors basé à Busogo, a été déployé pour couvrir l’ensemble de la zone démilitarisée. Une première section a été installée à Kinihira, et une deuxième à N’Kumba. Nuit et jour, les militaires tunisiens se sont dévoués avec courage et discipline à l’accomplissement des différentes missions qui leur étaient confiées, jusqu’à effectuer des missions très spéciales d’enquête sur des massacres perpétrés.
Bernard Kouchner : les Tunisiens m’ont sauvé la vie
Il s’en souvient encore comme si c’était hier. Bernard Kouchner, ancien ministre de la Santé puis des Affaires étrangères et cofondateur de Médecins sans frontières et de Médecins du monde, était en mission humanitaire au Rwanda, en pleins massacres. Il a failli y laisser la vie, n’étaient ces militaires tunisiens. « C’était le 16 mai 1994 précisément, dit-il à Leaders, joint par téléphone. J’essayais d’ouvrir un corridor humanitaire pour évacuer des orphelins tutsis et les ramener à Kigali. Le contingent tunisien était chargé d’assurer en renfort mon escorte, lorsque mon convoi tomba en panne, à l’entrée sud de la capitale. Alerté, le commandant Mfarrej s’est empressé de venir à notre secours à la tête d’une équipe. Mais, à peine que le dépannage était effectué, nous étions pris sous un feu de tirs intenses. Pour me protéger, il m’a tiré vers lui et demandé de ramper sous les véhicules pour nous mettre à l’abri. Et c’est ainsi que nous sommes sortis indemnes. Les Tunisiens m’ont sauvé la vie et je ne saurais l’oublier. Je l’ai d’ailleurs immédiatement dit au général Dallaire, puis rapporté cet acte de courage dans divers médias en France, en exprimant ma profonde gratitude à la Tunisie.»
Face aux premiers massacres
L’opération menée dans ce cadre, début décembre 1993, est absolument poignante. Suite au massacre qui a eu lieu dans la région de Murira, dans la nuit du 29 au 30 novembre 1993, le commandant Belgacem Mfarrej a été chargé par le général Dallaire d’effectuer des patrouilles dans la région du Parc national des volcans, à la recherche d’indices pouvant éclairer le commandement sur ce crime odieux. A la tête d’une patrouille composée de 12 militaires tunisiens, il a parcouru la zone pendant trois jours (3, 4 et 7 décembre 1993), faisant de macabres découvertes d’une rare violence commise contre des enfants et des jeunes. Des garçons, des jeunes filles et des enfants étaient morts d’étranglement, les filles violées. Une seule fillette, gisante, était encore en vie. Pour tenter de lui sauver la vie, le commandant Mfarrej s’empressera de l’évacuer à l’hôpital de Ruhengeri, mais elle décédera après 3 jours. Les scènes d’horreur vont se multiplier et s’étendre largement à travers le pays.
Un soutien précieux
La mission du contingent tunisien sera encore plus compliquée. Le soutien de l’état-major tunisien lui sera précieux. Le ministre de la Défense nationale dépêchera en effet, le 18 janvier 1994, une délégation militaire au Rwanda pour apporter le soutien logistique nécessaire au bon fonctionnement de la mission et s’enquérir des conditions de vie et d’opération. C’est aussi l’occasion d’assurer une relève d’effectifs portant sur une vingtaine de militaires devant regagner la Tunisie. Initialement composé de 60 militaires, le contingent sera réduit à 40 soldats.
Conduisant cette visite, le colonel-major (R) Mahmoud Mezoughi en garde un souvenir vivace (Voir encadré). Il avait emmené avec lui des armes (fusils Steyr) et des provisions alimentaires qui s’avèreront très utiles dans les semaines à venir.
Déploiement à Kigali, à la veille du grand déclenchement
Dès le 12 février 1994, et après l’arrivée d’un détachement ghanéen déployé dans la zone démilitarisée, le contingent tunisien a été installé dans la capitale Kigali, où œuvraient deux autres contingents, le premier est belge et le second bengali.
La mission confiée aux militaires tunisiens était d’assurer la protection d’un bataillon du Front patriotique rwandais (FPR), et des chefs politiques dont l'actuel président du Rwanda Paul Kagame installé au Centre national de développement (CND), siège du parlement, conformément à l’accord d’Arusha. Ils devaient à cet effet contrôler les points d’accès et de sortie et ne permettre à aucun élément de ce bataillon de quitter les lieux, armés ou non, sans autorisation et escorte, en étroite coordination avec les observateurs militaires. En outre, le contingent tunisien devait installer des points de surveillance sur les toits de l’édifice, ainsi que tout le long de la clôture, pour empêcher toute infiltration et s’opposer à tout assaut. Et surtout, sécuriser l’installation du gouvernement transitoire à base élargie.
Situé non loin de la caserne de la garde présidentielle rwandaise (FGR) et à quelques encablures de l’aéroport de Kigali, le siège du CND occupait un emplacement stratégique, particulièrement exposé à des affrontements nourris qui ne tarderont pas à se déclencher.
L’inoubliable déclenchement du 6 avril 1994
« Alors que notre contingent ne comptait que 40 personnes, indique le commandant Mfarrej, le général Dallaire a décidé de nous transférer au siège du CND, non loin de l’hôpital Fayçal et de l’hôtel Le Méridien, Mille Collines, et de nous charger également de participer à la sécurisation du quartier général, notamment aux points d’entrée et de sortie, et à l’escorte des convois officiels.
La journée du mercredi 6 avril 1994 sera pour moi inoubliable. A 19h15 très précises, de premières explosions retentissent fortement. L’un des membres du contingent, posté en surveillance ce soir-là, m’a immédiatement alerté. Des tirs étaient signalés également dans plusieurs quartiers de la capitale. Je me suis rendu au siège du poste de commandement du secteur dont je relevais. J’y ai retrouvé le chef de secteur, le colonel Luc Marchal, Belge, seul, incapable de me donner instruction. Aucun de ses adjoints ou membres de son commandement n’était présent. J’ai décidé alors de retourner à mon poste de commandement au CND, pour renforcer le dispositif mis en place. Les tirs sur le CND, provenant de toutes parts, notamment des Forces gouvernemental (FGR) du Rwanda et d’autres, se sont intensifiés. Il m’est devenu impossible de continuer mon chemin en voiture. J’ai dû ramper pour arriver jusqu’au CND.
Immédiatement, nous avons commencé à creuser les tranchées autour du CND pour nous protéger. C’est ainsi que nous passerons trois jours sous les tirs des militaires rwandais. Lorsque j’ai appelé le chef de secteur, il m’a paru débordé par les évènements. Pour toute instruction, il me dira : « Débrouillez-vous !»
Appelant le général Dallaire, il me demanda d’aller nous installer à l’hôtel Le Méridien et à l'hôpital Roi Fayçal. Le transfert était très risqué, périlleux, sous les feux croisés. De part et d’autre, les forces du FPR et celles de l’armée rwandaise interdisaient tout mouvement, multipliant les embuscades et les échanges de tirs. Déterminé à exécuter les ordres, je devais user de mes amitiés, notamment avec les éléments du FPR, pour sécuriser notre passage.
En cours de route, des Rwandais appelaient au secours. Ne pouvant les laisser dans leur détresse, j’ai dû les embarquer avec nous.
Aussi, ai-je reçu ordre d’aller exfiltrer une dame suissesse qui travaillait pour le compte des Nations unies. Elle était dans un grand état d’émotion et m’a gardé reconnaissance de lui avoir sauvé la vie. Plusieurs années plus tard, elle ne manquera pas de m’écrire pour me réitérer sa gratitude.
Ma mission était double : je devais en effet installer une section de 20 personnes à l’hôtel Le Méridien, et une deuxième, de 20 personnes également, à l’hôpital Fayçal. Plus de 500 à 800 personnes, des Rwandais et d’autres, s’étaient réfugiées au Méridien, alors que plus de 7 000 personnes, essentiellement des Rwandais, étaient à l’hôpital.
Les tirs étaient incessants. Notre vigilance ne devait guère baisser. Même lorsque nous devions à tour de rôle bénéficier de quelques heures de sommeil, nous devions mettre des matelas contre les fenêtres. Malgré cela, des balles ont été tirées sur l’une des chambres où je devais prendre quelques moments de repos. L’une des balles était tombée juste sur la table de nuit, alors que d’autres s’étaient incrustées au plafond.
Sans eau, sans nourriture, n’étaient-ce…
Pendant tout ce temps, nous étions quasiment sans eau et sans nourriture. Les cuisines du Méridien ont dû être fermées, les cuisiniers s’étant enfuis, et les provisions épuisées. C’est à ce moment que les provisions apportées de Tunis, le 18 janvier 1994, par le colonel-major Mahmoud Mezoughi, et que j’avais précieusement conservées, nous ont été salutaires. Nous nous sommes contentés d’un seul repas par jour, sans pain. Mais je devais résoudre le problème de l’eau. Il y avait deux sources d’eau dans deux endroits différents à quelques kilomètres. Difficile cependant de s’y rendre, les tirs étant nourris. Une fois de plus, j’ai usé de la grande réputation dont jouissait le contingent tunisien auprès des deux principales factions en belligérance pour bénéficier d’un moment de répit. Les deux ont accepté et chacune n’a pas hésité à ouvrir son check-point pour me laisser aller à l’une des sources. Une fois arrivé sur les lieux, une heureuse surprise m’attendait. Sans doute prévenus, des paysans du coin sont venus m’accueillir et m’offrir des sacs de semoule et une bonne quantité de viande de bœuf, sans rien me demander en contrepartie. La situation était en pleine confusion, et nous n’avions pas d’argent, je ne pouvais guère les payer, même s’ils ne l’avaient pas demandé, mais je me suis répandu en remerciements. Je préparais la nourriture à l'hôtel Le Méridien et de temps en temps je le partage avec le général Dallaire et quelques membres de son staff qui en étaient ravis.
Grâce à eux, nous avions pu nous nourrir, et en offrir une partie à des réfugiés autour de nous.
Le général Roméo Dallaire, chef de la Minuar : les Tunisiens ne m'ont jamais laissé tomber
Chef de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (Minuar), constituée en octobre 1993, le général de brigade Roméo Dallaire (Canadien) est une figure iconique de cette période exceptionnelle précédant le génocide déclenché le 6 avril 1994, puis durant le génocide jusqu’en juillet 1994. A chaque occasion, il n’a pas tari d’éloges à l’égard du contingent tunisien déployé sous les Casques bleus de l’ONU. Auteur de nombreux ouvrages, conférencier très prisé et président d’un institut qui porte son nom, il partage de grandes valeurs de courage et de leadership.
A ce jour, il est resté en contact avec le colonel-major à la retraite Belgacem Mfarrej, qui commandait le contingent. Lors d’un récent voyage privé au Canada, il a été ravi de le recevoir et de lui réitérer ses félicitations.
Dans un ouvrage devenu un best-seller mondial, intitulé « Shake Hands With The Devil », le général Roméo Dallaire écrit notamment :
« Les Tunisiens étaient tous des conscrits qui se sont portés volontaires pour prolonger leur service militaire afin de servir au Rwanda, et ils étaient la définition même de soldats professionnels, dirigés par un officier exemplaire, le commandant Belgacem (ndlr Belgacem Mfarrej). Cette petite unité cohérente était (et est restée) ma brigade de pompiers. Chaque fois que j'avais un problème, que ce soit dans la zone démilitarisée, au CND à Kigali ou plus tard pendant la guerre, je me tournais vers les Tunisiens, qui ne m'ont jamais laissé tomber. En disant au revoir à quarante de ces hommes sur le tarmac de l'aéroport, je les ai félicités pour le service et les sacrifices qu'ils avaient consentis pendant les journées très risquées de la fin 1993 dans la zone démilitarisée. Avec une telle force, nous aurions pu relever n'importe quel défi dans la région des Grands Lacs ».
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Les Tunisiens sont restés mon atout, mon fer de lance
Le commandant Mfarrej a maintenu le haut niveau d'efficacité opérationnelle de son contingent. Les Tunisiens sont restés mon atout, mon fer de lance.
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Je ne saurais trop insister sur la bravoure des Tunisiens. Ils n'ont jamais manqué à leur devoir et ont toujours fait preuve du plus haut niveau de courage et de discipline face à des tâches difficiles et dangereuses.
Bio express. Le colonel-major Belgacem Mfarrej
Né le 6 novembre 1952 à Sisseb, Sbikha (Kairouan), il rejoindra, après le bac, l’Académie militaire de Fondouk Jedid en tant qu’élève officier d’active (EOA), de 1974 à 1977. Il est promu sous-lieutenant, et ayant choisi l’arme de l’artillerie anti-aérienne (AAA), il suit le stage d’application d’officier d’artillerie sol-air à Fort Bliss, au Texas (États-Unis d’Amérique). Il sera nommé lieutenant en 1978, puis aux grades successifs, jusqu’à celui de commandant avant son départ au Rwanda en 1993, et de lieutenant-colonel à son retour en 1994. Il terminera sa carrière militaire en 2012, à l’âge de la retraite, au grade de colonel-major.
Alternant commandements et formations, le colonel-major Mfarrej avait poursuivi, outre différents stages, ses études supérieures spécialisées au sein de l’Ecole d’état-major et, à l’étranger, notamment en Allemagne (Ecole supérieure de guerre) et aux Etats-Unis d’Amérique (National Defense University, Washington DC, obtention du master en Science de stratégie de sécurité nationale).
Le colonel-major Belgacem Mfarrej est titulaire de nombreuses distinctions, médailles et décorations, dont notamment celles reçues à l’issue de sa mission au Rwanda :
• Médaille d’Officier de la Paix décernée par le gouvernement rwandais,
• Médaille de l’Unité Africaine, remise par le secrétaire général de l’OUA, Salim Ahmed Salim,
• Médaille des Nations unies remise par le Commandant de la Minuar, le général Roméo Dallaire.
Le témoignage du colonel-major (R) Mahmoud Mezoughi
Après avoir effectué une visite à notre contingent à Mogadiscio, j’ai continué sur Kigali le 18 janvier 1994. A mon arrivée, le commandant Belgacem Mfarrej, chef de notre unité au Rwanda, est monté dans l’avion pour m’informer que le général de brigade Dallaire, commandant de la Minuar, était venu lui-même à l’aéroport pour m’accueillir. J’étais honoré par son geste et l’en ai vivement remercié. Il m’a dit qu’il tenait à me témoigner de l’importance de notre unité militaire dans son dispositif de travail, de la valeur professionnelle de nos hommes, de leur bon comportement et de leur réussite dans toutes les missions qu’ils ont accomplies.
Par la suite, il a mis à ma disposition un hélicoptère que j’ai utilisé pour faire le tour du pays afin de visiter les différents groupes de notre unité. J’ai pu alors mesurer la qualité de l’organisation, le sérieux dans le comportement et la détermination irréductible de tous pour honorer l’image de de notre pays.
Défendre la pharmacie
A l’hôpital Fayçal, parmi les missions que j’ai confiées à ma section figurait la protection absolue de la petite pharmacie, dotée de médicaments, de pansements et autres seringues. C’était en fait un véritable trésor à préserver. Les éléments du FPR, déplorant des blessés, m’en ont demandé, et j’ai dû les éconduire. Nullement dissuadés, ils sont revenus lourdement armés, essayant de s’en emparer. Les instructions du général Dallaire étaient de les repousser fermement et de défendre la pharmacie. Les échanges de tirs étaient alors très forts.
Le général Dallaire s’est chargé de son côté d’en alerter les Nations unies à New York qui sont entrées en contact avec les représentants du FPR. J’ai appris plus tard que leur chef, Paul Kagame (qui est devenu président de la République) a blâmé le capitaine Chartes qui était à leur tête.
Le hasard a voulu que plusieurs années plus tard, alors que je suivais une année d’études à l’Université nationale de défense aux Etats-Unis, je retrouve ce capitaine Chartes, envoyé par le Rwanda et qui sera parmi mes camarades de promotion, et un bon ami.
Je revenais d’une mort menaçante
En fait, j’ai toujours voué une grande amitié au peuple rwandais. Dans un moment d’urgence, j’avais appris qu’un Rwandais blessé était entre la vie et mort, ne pouvant pas être transfusé, son groupe sanguin étant très rare. Sa chance lui sourira car il était précisément du même groupe sanguin que moi. Sans la moindre hésitation, je me suis présenté pour lui donner du sang.
Mais, en fait, et malgré tant de moments difficiles, vécus, la mort frôlée, et l’immense fatigue, je garde d’excellents souvenirs du Rwanda, des Rwandais, du contingent tunisien, de l’ensemble des Casques bleus, du général Roméo Dallaire et de cette mission. Je revenais d’une mort menaçante à chaque instant, et pourtant j’ai tout aimé.
J’étais parti de Tunisie au grade de commandant. J’y étais revenu promu lieutenant-colonel. J’étais alors sur le terrain au Rwanda, lorsque cette promotion m’a été attribuée début janvier 1994. Mais ce n’est qu’en juillet 1994 que j’en ai porté les épaulettes. Sans une cérémonie solennelle, comme il est de coutume, en raison des circonstances particulières. Mes épaulettes m’ont été présentées par le feu colonel-major Dridi, alors chef du B.O.R de l'Etat-major de l'armée de terre (EMAT) avant de descendre de l'avion C130 qui nous ramenait à Tunis.
A la descente de l'avion, le chef de l'EMAT, le chef de l'Etat-major de l'armée de l'air et plusieurs officiers supérieurs nous ont accueillis à la base militaire d'El Aouina.
Sur la même lancée : un contingent fort de 854 militaires qui gagnera l’estime de tous (1994 – 1995)
• Du 4 septembre 1994 au 15 juillet 1995, avec 854 personnes, dans le cadre de la Minuar 2, sous le commandement du colonel major Abdelaziz Toumia, secondé par le lieutenant-colonel Taoufik Ayed, qui dirigera le contingent à partir du mois d’avril 1995, lorsque le colonel major Toumia a été désigné à l’état-major de la Minuar 2.
La Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (Minuar), constituée le 5 octobre 1993, devait prendre fin le 19 juillet 1994. Elle aura a été marquée notamment par le déclenchement, le 6 avril 1994, du génocide perpétré par les Hutus contre les Tutsis, faisant près d’un million de morts.
Préoccupé par la situation, le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé le 7 juin 1994, par sa résolution 925, de prolonger le mandat de cette mission, qui sera connue sous le nom de Minuar 2, de la renforcer et d’élargir son champ d’action.
La Tunisie avait recueilli une haute satisfaction pour la participation jugée remarquable de son contingent militaire envoyé au Rwanda depuis le début de septembre 1993. Fort de 60 personnes, il a fait preuve de courage et de compétence. Elle a été sollicitée de nouveau pour se joindre à la Minuar 2 qui sera commandée par le général canadien Guy Toussignant. Cette nouvelle force des Casques bleus de l’ONU comptait près de 5 080 militaires de 25 pays, entre éléments militaires. Sa mission est de «continuer de s'interposer entre les parties afin d'essayer d'obtenir d'elles qu'elles acceptent un cessez-le-feu, contribuer à la sécurité et à la protection des personnes déplacées, des réfugiés et des civils en danger au Rwanda, y compris par la création et le maintien, là où il sera possible, de zones humanitaires sûres ; assurer la sécurité et l'appui de la distribution des secours et des opérations d'assistance humanitaire.»
C’est ainsi que dès le début de l’été 1994, l’état-major de l’armée tunisienne a engagé les préparatifs pour l’envoi d’un deuxième contingent. Le commandement a été confié au colonel-major Abdelaziz Toumia, secondé par le lieutenant-colonel Taoufik Ayed. Le contingent était composé de 854 militaires, à savoir cinq compagnies formées de 826 officiers, sous-officiers et soldats, ainsi que 10 observateurs militaires, 7 officiers opérant à l’état-major de la Minuar 2 et 11 policiers militaires.
«Il fallait qu’ils partent tous bien préparés et qu’ils rentrent tous sains et saufs en Tunisie, à la fin de leur mission, auréolés de la gloire du devoir accompli, et la fierté d’avoir servi le drapeau national et au cours d’une période des plus difficiles et des plus risquées au Rwanda», confie à Leaders, 30 ans plus tard, le colonel-major retraité Taoufik Ayed. Un grand défi guère facile à relever que le commandement tunisien a su accomplir en toute performance restée gravée dans les annales.
Immédiatement opérationnels sur le terrain
Une première équipe devait partir de Tunis le 4 septembre 1994 en précurseur. Composée de 26 militaires et commandé par lieutenant-colonel Ayed, elle a été accueillie à son arrivée à Kigali par le lieutenant-colonel Ahmed Chabir. Il avait rejoint depuis le mois d’août 1994 le Bureau des opérations de la mission Minuar 2. La mission de l’équipe était de prendre contact avec le poste de commandement, préparer les emplacements des compagnies, effectuer des reconnaissances sur le terrain et assurer les préparatifs logistiques nécessaires.
La complexité du mandat fixé à la Minuar 2 et la situation particulièrement difficile dans plusieurs régions ont conduit le général Toussignant à affecter le contingent tunisien au secteur N°5, situé au Nord-Ouest. Il était considéré comme le plus important et le plus dangereux. Connaissant les performances accomplies par le premier contingent tunisien, le chef de la Minuar 2 a placé toute sa confiance au deuxième contingent. Il sera agréablement surpris par la faculté d’adaptation des militaires tunisiens et la rapidité de leur entrée en action, comme il en témoignera.
«Dès le premier jour, confie à Leaders le lieutenant-colonel Taoufik Ayed, nous avons pu mesurer l’excellente impression laissée auprès de tous par le premier contingent conduit par le commandant Belgacem Mfarrej. Par leurs qualités humaines, comme par leur grande compétence militaire, leur discipline et leur intégrité, les militaires ont hautement servi l’image de la Tunisie et de son armée. Le commandant Mfarrej était, de l’avis de tous, exceptionnel. Il a bien travaillé et conquis un grand respect. Ce capital nous sera précieux pour la réussite de notre mission.»
Début octobre 1994, des effectifs formant le contingent sous le commandement du colonel-major Abdelaziz Toumia commençaient à arriver à Kigali par vols successifs. Il fallait assurer l’accueil et l’installation, réceptionner les conteneurs et les acheminer vers leur destination, et s’assurer des conditions nécessaires au déroulement de la mission. Le poste de commandement a été établi à Kabali, à 140 km de Kigali, et quatre compagnies de combat étaient réparties à Nemba, Guissigny [Gisenyi] et Nyondo [Nyundo] (qui a abrité deux compagnies).
L’horreur partout
Le Rwanda offrait alors un spectacle des plus horrifiants du génocide perpétré. Partout des fosses communes où s’entassent des cadavres de victimes pour la plupart violentées jusqu’à la mort, mutilées, massacrées à coups de machette. Partout, des traces de sang. Partout, des populations apeurées et d’autres rongées par la vengeance. Des fosses communes, des paroisses jonchées de cadavres, comme celle de Saint-Augustin à Kabali, des châteaux d’eau détruits, des huttes incendiées et des villages anéantis, témoignent d’une atrocité inimaginable.
Par dizaines de milliers, des réfugiés s’entassaient dans des camps de fortune, à la recherche de soins médicaux, d’eau, de nourriture, vivant la peur au ventre. Une immense misère interpellait les consciences.
Sollicités de partout, les militaires tunisiens devaient se déployer sur plusieurs fronts, effectuant des patrouilles de contrôle et de respect du cessez-le-feu, retirant des armes, portant secours, assurant des soins, faisant fi des risques qui les guettaient et bravant de grands dangers.
Le commandement du contingent tunisien a préparé les circuits des différentes patrouilles et pris contact avec des organisations humanitaires qui commençaient à se déployer sur le terrain. La tâche était immense.
Point culminant de la violence, le massacre perpétré par l’Armée populaire rwandaise (APR), relevant du Front patriotique rwandais (FPR), le 22 avril 1995, dans le camp de Kibého, où s’entassaient plus de 120 000 réfugiés et personnes déplacées. Le camp a été encerclé, puis investi. L’assaut au mortier fera plus de 4 200 morts… Une commission d’enquête internationale sera diligentée à cet effet. Le colonel-major Abdelaziz Skik avait été désigné par la Tunisie pour en faire partie. Le constat est d’une horreur abominable.
Une équipe médicale très appréciée
Dès le départ, la dimension humanitaire était mise en exergue. C’est ainsi que l’équipe médicale a pris ses quartiers dans les différents sites où étaient installées les compagnies tunisiennes, pour apporter des soins aux populations locales, sans aucune distinction ethnique. Ce fut une opération absolument remarquable. Soins, accouchements et autres interventions médicales attiraient des flux incessants de patients. Des dizaines de consultations ont été effectuées.
Comme il s’agissait pour le contingent tunisien de contribuer au désarmement des parties en conflit, le colonel-major Toumia a eu l’ingénieuse idée d’exiger des patients qui se présentaient aux soins de remettre, au préalable, leurs armes et celles de leurs proches, mêmes rustiques en machettes et couteaux. Le résultat fut impressionnant : les militaires tunisiens auront ainsi ramassé de grandes quantités d’armes de divers types et genres, de quoi impressionner le commandement de la Minuar 2.
Une attention soutenue de l’état-major de l’armée tunisienne
Dans toutes les missions qui lui ont été confiées, et à travers toutes les régions à couvrir, même celles les plus dangereuses, le contingent tunisien a toujours fait preuve de compétence, de discipline et de courage. Les témoignages d’appréciation, qu’ils émanent des populations locales, comme des officiels, seront nombreux. Les Tunisiens ont conquis la confiance et la reconnaissance de tous.
Dans l’accomplissement réussi de sa mission, le contingent a bénéficié d’une grande sollicitude de l’état-major de l’armée tunisienne qui lui a apporté son plein appui. Plusieurs visites d’officiers supérieurs au Rwanda ont apporté un grand soutien aux effectifs et permis de mesurer l’estime et la considération dont ils jouissent. C’est ainsi que le colonel-major Rachid Ammar y avait été dépêché du 7 au 11 décembre 1994. Puis, c’est le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Mohamed Hédi Ben Hassine, qui s’y rendra du 20 au 24 février 1995. Il ira lui-même sur le terrain et effectuera une grande tournée, par la route et par hélicoptère, dans les régions, constant l’ampleur du génocide commis et la complexité de la mission dont notre contingent s’acquitte avec succès.
Lors de ses entretiens à Kigali avec le chef de la Minuar 2, le général Guy Toussignant, et des représentants de l’ONU, le chef d’état-major de l’armée de terre tunisienne, le général Mohamed Hédi Ben Hassine, recueillera un vibrant hommage à nos vaillants militaires et une haute appréciation du rôle qu’entreprend la Tunisie dans cette délicate et exigeante situation au Rwanda.
De leur côté, les effectifs du contingent ont perçu à travers ces visites une marque de reconnaissance de leur courage et de leur engagement et une exhortation à l’exemplarité.
Des journalistes de divers médias tunisiens avaient couvert ces visites. Articles de presse, reportages télévisés et photos ont retracé cette contribution d’un très haut niveau de l’armée nationale au maintien de la paix et de la sécurité, sous les Casques bleus au Rwanda.
Une reconnaissance méritée à l’armée tunisienne
L’exemplarité des militaires tunisiens a été fort remarquée par le commandement de la Minuar 2, ainsi qu’à une échelle plus élevée au sein du département de maintien de la paix et de la sécurité, au sein de l’ONU à New York. C’est ainsi que pour renforcer le commandement de la Minuar 2, la Tunisie a été sollicitée pour détacher, à compter de début avril 1995, le colonel-major Abdelaziz Toumia, jusque-là commandant du contingent tunisien, auprès du chef de la Minuar 2, en qualité de commandant adjoint de la force. Une suite favorable a été réservée à cette demande et c’est ainsi que le colonel-major Toumia prendra ses nouvelles fonctions. Sa relève à la tête du contingent tunisien sera assurée par le lieutenant-colonel Taoufik Ayed qui s’en acquittera avec compétence et dévouement.
Début juillet 1995, et alors que le mandat initial de la Minuar 2 touchait à sa fin (avant prolongation par la suite), le contingent tunisien a commencé son rapatriement à Tunis. Le dernier vol de retour quittera Kigali le 9 juillet 1995. L’émotion est forte. Ils sont tous de retour. Ils sont tous couverts d’éloges. Des décorations et des médailles sont décernées. Le drapeau tunisien a été hissé très haut. La fierté d’avoir servi la patrie n’a d’égale que le sentiment du devoir accompli.
Beaucoup reste à écrire sur cette participation historique. L’armée tunisienne est auréolée d’une nouvelle gloire qui s’ajoute à son palmarès des plus prestigieux. La Tunisie en est chaque fois davantage grandie.
Un important soutien diplomatique
Le déploiement de contingents militaires tunisiens sous la bannière de l’Organisation de l’unité africaine, puis en Casques bleus de l’ONU, s’effectue en étroite collaboration avec le ministère des Affaires étrangères. Les missions permanentes de Tunisie à Addis-Abeba et à New York, comme nos ambassades dans les pays concernés, et le siège du Département, se déploient en effet intensivement pour mener les concertations diplomatiques y afférentes, participer aux débats pour l’adoption des résolutions, convenir des modalités opératoires et assurer une liaison continue avec le ministère de la Défense. Depuis les premières phases, jusqu’au retour à Tunis des contingents, le soutien diplomatique est aussi continu que précieux. Une longue et grande expérience depuis la première participation, en juillet 1960, au Congo, sous les Casques bleus.
Le témoignage élogieux du général Guy Toussignant commandant de la Minuar 2
«Nous avons la chance de partager la fierté mutuelle du contingent tunisien, chargé notamment du secteur 5, situé au Nord-Ouest, qui est un grand secteur ». C’est ce qu’a déclaré le général Guy Toussignant (Canadien), commandant de la Minuar 2, recevant le chef d’Etat-major de l’armée de terre, le général Mohamed Hédi Ben Hassine, en visite au Rwanda du 20 au 24 février 1995.
«Les Tunisiens, a-t-il ajouté, ont pu établir un climat de confiance propice au retour des réfugiés. J’apprécie beaucoup la qualité des officiers envoyés par la Tunisie, la détermination et le courage de la troupe sous leur commandement. Ils n’ont eu aucune difficulté à s’adapter et ont été déjà opérationnels depuis leur arrivée. Cela a rendu mon commandement plus facile. Les militaires tunisiens font réussir une délicate opération de l’ONU.»
Bio express. Le colonel-major Abdelaziz Toumia
Né le 16 juillet 1938 à Sahline, il avait rejoint l’armée tunisienne le 16 septembre 1959, Promotion Ennasr. Il suivra une formation militaire en France et en Belgique, puis aux Etats-Unis d’Amérique, à l’Ecole supérieure de guerre en France et à l’Institut de défense nationale. Il avait exercé des commandements de régiment et de brigade, et a été désigné en 1994 commandant du contingent tunisien dépêché au Rwanda, sous la bannière de l’ONU, dans le cadre de la mission de maintien de la paix.
Le colonel-major Abdelaziz Toumia est titulaire de la Médaille militaire, de l’Ordre de la République, de l’Ordre du Nil (Soudan) et de la Médaille des Nations unies au titre de ses mérites lors de la mission Minuar 2 au Rwanda».
Bio express. Le colonel-major Taoufik Ayed
Né le 7 mars 1948 à Kheniss, le colonel-major Taoufik Ayed a rejoint directement l'Académie militaire à Foundouk el Jedid en octobre 1970, après avoir réussi son baccalauréat lettres modernes au lycée de jeunes filles de Monastir. Il a obtenu son grade de sous-lieutenant à Saumur à l'Ecole de l’arme blindée et cavalerie en France en 1973, son diplôme de l'Ecole d'Etat-major à Tunis en 1982, celui de l'Ecole de guerre en Italie en 1989 et enfin le diplôme de l'Institut de défense nationale à Tunis en 1999. Il a assuré plusieurs fois la fonction d'instructeur dans les différentes écoles militaires et a tenu le commandement de deux régiments de chars de combat. Il a été désigné pour la mission onusienne au Rwanda en 1994 en qualité de commandant de contingent après avoir assuré la fonction d’adjoint pendant six mois. Avant de partir à la retraite, il avait été détaché au ministère de la Justice à la tête de deux directions à la Direction générale des unités pénitentiaires.
Quatre fois médaillé : médaille militaire, deux médailles de l’ONU et celle de l'honneur du ministère de l'Intérieur.
Il est l’auteur d’un livre intitulé : La bataille de Bizerte, 19-23 juillet 1961, le sacrifice, (Sahar Editions, 2020).
Le Rwanda Le Rwanda aujourd’hui aujourd’hui
Trente ans après le génocide de 1994, le Rwanda affiche une résiliation à fière allure. La croissance annuelle s’est établie en moyenne à 7,2 % au cours de la dernière décennie, tandis que le PIB par habitant progressait de 5 %, selon la Banque mondiale. Le Rwanda aspire à devenir une économie à revenu intermédiaire d’ici 2035, et à rejoindre les pays à revenu élevé à l’horizon 2050.
Misant sur le digital, le pays a engagé la modernisation de son administration, de ses prestations sociales et de santé, de son système financier et bancaire, et de son dispositif d’enseignement.
Le Rwanda table sur ses très importantes ressources en sous-sol, développe sa production de minéraux critiques (lithium, coltan, étain) qui le positionne en fournisseur significatif de l’Union européennes et enregistre des exportations en or de 750 millions de dollars (2023).
Sur le plan diplomatique, le Rwanda joue un rôle très actif tant au niveau du continent africain qu’international. L’image qu’il donne est d’avoir tourné la page et amorcé un développement soutenu et une forte présence à l’international.
Les relations bilatérales, entre la Tunisie et le Rwanda, sont très bonnes. Outre le volet diplomatique, de nombreux projets de coopération ont été initiés (Steg international, etc.).