Par touches successives, la France progresse sur la reconnaissance de ses responsabilités face au génocide commis au Rwanda en 1994. Lors d'un déplacement à Kigali en 2021, le président Emmanuel Macron avait admis la «
responsabilité accablante » de Paris dans «
l'engrenage qui a abouti au pire » dans cette ancienne colonie belge.
Cette fois, dans un communiqué publié jeudi 4 avril, il a estimé que Paris «
aurait pu arrêter » les massacres mais, tout comme «
ses alliés occidentaux et africains », elle «
n'en a pas eu la volonté ». Cette déclaration intervient à la veille des commémorations du 30
e anniversaire du génocide, ce dimanche 7 avril. L'extermination des Tutsis a commencé au Rwanda dès le lendemain de l'attentat contre l'avion du président Juvénal Habyarimana, mort dans le crash, le 6 avril 1994.
Invité par son homologue rwandais Paul Kagame aux commémorations de dimanche à Kigali, le président français ne s'y rendra pas. Il sera représenté par son ministre des affaires étrangères, Stéphane Séjourné, et le secrétaire d'État chargé de la mer, Hervé Berville, né lui-même au Rwanda. Ce jour-là, l'Élysée diffusera un message vidéo dans lequel le chef de l'État «
rappellera notamment que, quand la phase d'extermination totale contre les Tutsis a commencé, la communauté internationale avait les moyens de savoir et d'agir, par sa connaissance des génocides que nous avaient révélée les survivants des Arméniens et de la Shoah ».
« Infernal huis clos »
Dans les propos du président français, chaque mot est soupesé, mûrement réfléchi. En 2021, Emmanuel Macron avait déclaré : «
Alors que des responsables français avaient eu la lucidité et le courage de le qualifier de génocide, la France n'a pas su en tirer les conséquences appropriées », avant d'ajouter : «
Nous avons, tous, abandonné des centaines de milliers de victimes à cet infernal huis clos. » Le génocide venait à peine de commencer au Rwanda, en avril 1994, que Paris a envoyé des troupes sur place, mais uniquement pour évacuer ses ressortissants et un certain nombre d'étrangers.
Au même moment, suite à l'assassinat de Casques bleus belges à Kigali, Paris et Bruxelles ont œuvré de concert au Conseil de sécurité pour réduire drastiquement la présence militaire de l'ONU sur place : les effectifs de la force multinationale passèrent alors de 2 500 soldats à 250. Par ailleurs, comme l'ont révélé les travaux de l'universitaire américaine Samantha Power (1), au printemps 1994, les États-Unis de Bill Clinton manœuvrèrent dans les allées des Nations unies pour éviter d'avoir à intervenir militairement au Rwanda. Dans son discours de 2021, Emmanuel Macron a souhaité que, «
aux côtés de la France, toutes les parties prenantes à cette période de l'histoire rwandaise ouvrent à leur tour toutes leurs archives ».
Trois mois après le déclenchement du génocide, face à un François Mitterrand arc-bouté à l'Élysée sur son soutien indéfectible au régime du défunt président hutu Juvénal Habyaramina, le gouvernement d'Édouard Balladur déclencha finalement l'opération « Turquoise », avec l'aval des Nations unies. Près d'un million de Tutsis avaient déjà été massacrés. Sur le terrain, l'action des militaires français consista principalement à créer une zone tampon qui permit aux populations hutues responsables du carnage de fuir vers le Congo voisin l'avancée des troupes du Front patriotique rwandais (FPR), de Paul Kagame.
Responsabilité politique
En 2021, Emmanuel Macron avait déjà pris soin, dans ses déclarations, de ménager l'extrême sensibilité sur le sujet des militaires français envoyés au Rwanda, avant et à la fin du génocide, et accusés par la suite de passivité face aux massacres, voire de complicité. «
Les tueurs n'avaient pas le visage de la France (...). Elle n'a pas été complice... Le sang qui a coulé n'a pas déshonoré ses armes ni les mains de ses soldats (...). » Pour le président français, la responsabilité de Paris est avant tout politique. Un rapport d'historiens publié en 2021, sous la direction de Vincent Duclert (2), juste avant le déplacement d'Emmanuel Macron à Kigali avait conclu à des «
responsabilités lourdes et accablantes » de la France et à l'«
aveuglement » du président socialiste de l'époque, François Mitterrand, et de son entourage face à la dérive raciste et génocidaire du gouvernement hutu.
Cette reconnaissance des responsabilités «
accablantes » de la France dans le génocide au Rwanda vient de loin. Après des années de haute tension et même de rupture sous François Mitterrand et Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy fut le premier président français à se rendre à Kigali, en février 2010, où il reconnut au mémorial du génocide de «
graves erreurs » et «
une forme d'aveuglement » des autorités françaises ayant eu des conséquences «
absolument dramatiques ». Sous la présidence de François Hollande, les relations entre Kigali et Paris connurent une période de glaciation. Avant qu'Emmanuel Macron, en 2021, ne fasse un pas décisif lors de son déplacement au Rwanda, allant jusqu'à déclarer : «
Seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don de nous pardonner. »
Ce discours avait été salué par Paul Kagame, qui avait alors évoqué le «
courage immense » de son «
ami » Emmanuel Macron. Ce dimanche 7 avril, son message sera une nouvelle fois scruté avec attention à Kigali, et à Paris.
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(1) Lire
A problem from Hell, Basic Books, 2002.
(2) Il a récemment publié aux éditions Tallandier
La France face au génocide des Tutsi.