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Trente ans après, ceux qui ont eu la vie sauve sont investis d'une mission. Parler, raconter, transmettre pour ceux qui sont morts. Dorcy Rugamba, dans Hewa Rwanda : lettres aux absents (éd. JC Lattès), redonne ainsi vie à ses parents. Dans Le Convoi (Flammarion), Beata Umubyeyi Mairesse, écrivaine, poétesse et survivante du génocide, raconte comment elle a été sauvée, à l'âge de 15 ans, par un convoi humanitaire suisse de l'ONG Terre des hommes. Cette enquête poignante sur sa propre survie qui explore aussi la mémoire des survivants et la manière dont s'est transmis le récit du génocide. À sa façon, Dominique Célis avait raconté le Rwanda d'après dans son premier roman Ainsi pleurent nos hommes (éd. Philippe Rey). « Le premier roman post-génocide », nous disait Gaël Faye de ce livre.
On retrouve ces trois auteurs sur le plateau de La Grande Librairie (France 5). L'émission littéraire consacre son émission de ce mercredi 3 avril à 20 h 50 au génocide des Tutsis au Rwanda. Mais encore, filmée dans une classe, l'écrivaine rwandaise Scholastique Mukasonga, récompensée par le prix Renaudot en 2012 pour Notre-Dame du Nil, pour son nouveau roman, Julienne (Gallimard, mars 2024). Consacré à sa sœur, il éclaire « un destin parmi tant d'autres, mais que près de 1 million de morts n'ont pu lui faire oublier ».
À leurs côtés, Annette Becker, historienne spécialiste des génocides du XXe siècle. Elle publie Le Choc, Rwanda 94 : le génocide des Tutsis (Gallimard), mais aussi Patrick de Saint-Exupéry, ancien reporter du Figaro qui, depuis qu'il a été témoin, aux premières loges, des massacres de 1994, ne cesse d'enquêter et d'écrire sur le génocide.
Les écrits des enfants orphelins
Depuis le Rwanda, interviendra également Gaël Faye, auteur de Petit Pays. Après le roman, le film, et sans oublier, au Rwanda, l'édition en kinyarwanda du livre, son adaptation à la radio et au théâtre, c'est la bande dessinée de Petit Pays (Dupuis/Aire libre) qui arrive dans les bacs ! Gaël Faye a travaillé avec Sylvain Savoia et Marzena Sowa à partir de ses photos de famille : « Sylvain a trouvé comment évoquer ce génocide et en montrer l'horreur sans jamais tomber ni dans la précision documentaire ni dans le voyeurisme obscène », confie l'écrivain et musicien.
Le récit à hauteur d'enfants est aussi l'axe choisi par l'historienne Hélène Dumas (CNRS), l'une des meilleures spécialistes du génocide de 1994. Sans ciel ni terre. Paroles orphelines du génocide des Tutsis (1994-2006), aux éditions La Découverte, est une plongée dans le récit du génocide, à travers les écrits des enfants orphelins.
Les enfants survivants sont au cœur d'un autre récit journalistique. Trente ans après s'être retrouvée au Zaïre, dans un camp de réfugiés, la journaliste Isabelle Darras est retournée sur les lieux du crime. Dans Après la pluie d'avril (Bayard Récits), elle part au Rwanda pour y retrouver les enfants du génocide. Comment survit-on à un tel anéantissement ?
Confrontés à l'indicible
Laurent Larcher, spécialiste de l'Afrique au quotidien La Croix, fait partie de ceux qui n'ont jamais perdu de vue le Rwanda. Pour les 25es commémorations du génocide, il avait publié Rwanda, ils parlent. Témoignages pour l'Histoire (Seuil), interrogeant les zones d'ombre de l'Histoire à travers des entretiens avec les protagonistes politiques et militaires de l'époque.
Avec Papa, qu'est-ce qu'on a fait au Rwanda ? La France face au génocide (Le Seuil), il tente d'expliquer à sa fille l'inexplicable aveuglement de la politique française et sa « responsabilité accablante », comme le pointe la commission Duclert dans son rapport officiel sur le sujet, dans le génocide des Tutsis.
La plupart des journalistes qui ont été confrontés à l'indicible n'ont jamais cessé d'écrire sur ce génocide. Ainsi, Maria Malagardis, reporter à Libération, est restée viscéralement liée au Rwanda depuis qu'en mai 1994, elle s'y est retrouvée « saisie par des visions d'horreur », « étouffée par cette odeur un peu sucrée, si particulière, celle de la mort, qui imprégnait les paysages fleuris de ce paradis terrestre transformé en enfer », comme elle l'écrit dans la préface de son dernier livre. Cette fois, c'est avec un roman, Avant la nuit (Talent Éditions), que la journaliste raconte la montée de la haine, la période préparatoire à l'extermination des Tutsis. Pour Dominique Sigaud, reporter indépendante sur place, il fut longtemps impossible d'écrire sur le génocide, et c'est l'écrivaine qui, trente ans plus tard, a trouvé les mots pour relier l'intime à la tragédie collective, dans Perdre la main (éd. Globe).
À voir aussi, au Mémorial de la Shoah, l'exposition « Rwanda 1994 : le génocide des Tutsis dans le cadre de la 30e commémoration 1994-2024 », Allée des Justes. Plusieurs films documentaires sur le génocide sont proposés jusqu'au mois de juin, ainsi que des débats-rencontres avec les réalisateurs. Dimanche 7 avril, à 21 heures, France 5 diffusera l'un d'entre eux, « Rwanda, vers l'Apocalypse » (Babel Doc avec France Télévisions). Réalisé par Michaël Sztanke, déjà auteur du « Silence des mots », et Maria Malagardis, précédemment citée, avec Seamus Haley et la narration de Gaël Faye, ce documentaire explique clairement comment les génocidaires hutus ont mené à bien leur projet.