De notre envoyée spéciale.
À l’entrée du bâtiment réservé aux femmes, un groupe de résidentes est en pleine partie d’igisoro, un jeu traditionnel rwandais. Autour du plateau en bois ponctué de cavités incurvées dans lesquelles il faut déplacer des graines, un seul homme.
Sur 98 pensionnaires, sept seulement sont de sexe masculin. Il y a 30 ans, durant le génocide, les hommes tutsis ont été systématiquement exterminés.
Delphine Muterambabazi, la coordinatrice de l’Impinganzima de Huye, nous fait visiter les lieux. «
Dans chaque chambre, deux lits. Une résidente âgée dort avec une résidente plus jeune qui sera en mesure de se lever et de venir chercher de l’aide si la plus âgée des deux a besoin de quelque chose la nuit. »
Les chambres donnent sur une cour intérieure, fleurie et ombragée. Sous la galerie, des résidentes sont assises seules ou en petites groupes. Habillées de jolis pagnes colorés, certaines tissent des paniers. Dans une vaste cuisine, le repas mijote dans d’immenses marmites. Dans quelques instants, le déjeuner sera servi dans le réfectoire. Les repas sont pris en commun autour de grandes tables en bois robustes. Des résidentes participent, volontairement, aux travaux de ménage, de cuisine et de vaisselle. «
Beaucoup aiment se sentir actives », nous dit Delphine Muterambabazi avant de nous accompagner près de la maison des hommes, plus petite, plus calme, pour rencontrer deux résidents.
Yohanna Ruzigamanzi, 75 ans, vient du secteur de Mata dans le secteur de Nyaruguru : «
Avant de venir ici en 2017, je me sentais seul. J’avais tout le temps peur de me réveiller un matin et de découvrir que tous mes voisins étaient repartis se cacher. Quand j’entendais la pluie tomber sur le toit en tôle, j’avais l’impression qu’on venait détruire ma maison. C’était difficile de dormir. J’avais du mal à me nourrir. On me faisait des dons parfois, mais ça ne changeait rien. Ma vie a changé. Ici, on prend soin de moi. J’étais tout maigre. Regardez comme j’ai pris du poids. Et voici ma Chérie chouchou », ajoute-t-il blagueur.
À côté de lui, l’octogénaire, Azela Nyirangirumwami : «
On m’a dit que mon mari avait été tué à Kibuye, mon fils à Kibungo. Certains de mes proches ont été jetés dans la rivière. Je n’ai pas pu les enterrer. »
La résidente de 84 ans s’est retrouvée complètement seule après le génocide, elle avait déjà 54 ans. «
Je n’avais rien à dire à mes voisins. Et quand on discutait, on ne faisait que se mentir. Mais ici, avec les autres résidents, on se parle vraiment, on dit ce qu’on a sur le cœur. On prend soin les unes des autres. Quand l’une de nous se sent vraiment mal, on l’encourage, on lui dit que le pire, on l’a déjà vécu. Que rien de plus douloureux, de plus triste ne peut nous arriver. Imaginez ? Imaginez regarder autour de vous et ne plus voir aucun visage familier. Plus d’enfant, plus de mari, plus rien. Quand nous vivions seules, on a toutes eu peur de mourir dans nos maisons et d’y pourrir, mangée par les rats puisqu’il n’y avait plus personne pour se soucier de nous. Mais ici, on s’occupe très bien de nous. Les enterrements sont dignes. Donc, je veux mourir ici. »
D’après la coordinatrice du centre, la majeure partie des résidents souffrent de troubles mentaux. L’équipe du centre se prépare à les accompagner au mieux avant chaque commémoration.