Fiche du document numéro 34121

Num
34121
Date
Mardi 21 avril 2024
Amj
Taille
242605
Sur titre
30ème Commémoration du génocide des Tutsi - Strasbourg
Titre
Témoignage de Jeannette, survivante du génocide des Tutsi à Karama, le 21 avril 1994
Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Source
Type
Témoignage
Langue
FR
Citation
Mesdames Messieurs Bonjour,

Je m’appelle Jeannette Mouene Lembo Uwamariya, je suis rwandaise et rescapée du
génocide contre tutsi en 1994.

Je vous remercie pour cette opportunité que vous m’accordez pour vous partager mon histoire et rendre hommage aux victimes du génocide contre les tutsi au Rwanda.

Je suis née à Karama c’est au sud du Rwanda et j’ai grandi à Murambi une petite colline à 6 kilomètres de la paroisse de Karama. J’étais entourée de mes parents, mes frères et sœurs, mes grands-parents paternels et une grande famille élargie.

Quand le génocide commence le 07 avril 1994 après la mort du président, dans notre région la situation est restée calme pendant une semaine. Même s’il y avait des arrestations, les tueries n’avaient pas encore commencé, mais la vie changeait petit à petit.

A la radio on entendait des messages de haine, des appels des autorités politiques à nettoyer le pays, à se débarrasser des cafards. C’est comme ça qu’on surnommait les Tutsi.

Je me rappelle que le 10 Avril mon père a été arrêté et a passé une nuit en prison accusé de complicité avec le FPR.

J’avais dix ans, je ne mesurais pas forcement la gravité de la situation. Mais il y avait une grande inquiétude dans les yeux de mes parents.

Tous les jours on apprenait que des familles entières avaient été décimées dans d’autres lieux avoisinants, et de loin on voyait des maisons qui brûlaient. Nous avons appris notamment la mort d’une de mes tantes avec tous ses enfants et son mari. Elle s’appelait Marie, ils habitaient à Kibeho.

Les adultes ne dormaient plus dans les maisons et tous les habitants de la colline ont commencé à se rassembler pour pouvoir se protéger en cas d’attaque.

Le 15 avril, les plus âgés de la colline nous ont conseillé de nous réfugier dans la forêt, dans la montagne en haut de la colline. Ils croyaient que les tueurs allaient juste venir dévaliser et brûler les maisons comme lors des premiers massacres en 1959.

Nous sommes restés deux jours dans cette forêt, et un matin quelqu’un a fait un appel de très loin dans un porte-voix.

Il nous passait un message des autorités qui nous demandaient d’aller à Karama immédiatement pour qu’ils puissent nous protéger, disait-il. Arrivés à Karama on y a trouvé des Tutsi de toutes les localités de la commune Runyinya. Il y avait environs 100 000 personnes. Les écoles, l’église, la place du marché et l’hôpital étaient remplis de réfugiés. On croisait des blessés rescapés des massacres de Kibeho. Il y avait des enfants qui avaient perdu leurs parents. Ils étaient complètements choqués et perdus.

Dans ce climat chaotique, nous nous sommes installés dans une maison. C’était un commerce que mon père avait à la place du marché.

Nous étions douze (mes parents mes frères et sœurs, mes grands-parents paternel, une de mes tantes et ses deux fils qui avaient le même âge que moi. Nous vivions dans des conditions inhumaines sans eau potable, sans nourriture, surtout avec la peur d’être tué.

Dans la matinée du 21 avril, un homme, ami de mon père est venu nous voir et il a dit : mettez-vous à l’abri car nous sommes prêts, le travail commence dans une heure.

On s’est enfermés dans la maison. Mon père est sorti pour aller avertir les autres. 10 minutes après, les tirs ont commencé. Les tueurs ont encerclé la place, les policiers et les militaires tiraient avec des armes à feux. Les civils tuaient avec les machettes, les haches et toute sorte d’armes blanches, ils lançaient des grenades. Ils tuaient dans l’église, dans les écoles, dans les maisons, ils n’épargnaient personne.

Autour de la maison où on s’était enfermé, on entendait des hurlements des personnes qui se faisaient massacrer à la machette. Ils supplient leurs bourreaux de les achever pour abréger leur souffrance mais les tueurs se faisaient le plaisir de les laisser se vider de leur sang.

Un individu a frappé à notre fenêtre, avec une grenade à la main. Il nous menaçait de la lancer dans la maison si on ne lui donnait pas de l’argent. Les parents lui ont donné ce qu’ils avaient, et il est reparti.

Les hommes tutsi, parmi eux mon père, utilisaient des pierres et des briques pour essayer de repousser les bourreaux qui étaient armés de machettes et autre armes blanches… Ce cauchemar a duré quatre heures. Une fois les munitions épuisées, les tirs ont cessé. J’ai pu m’enfuir sans savoir qui d’autre de ma famille avait survécu. A l’extérieur c’était le chaos, il y avait des cadavres partout et une rivière de sang.

J’ai suivi la colonne des rescapés qui s’enfuyaient vers la frontière du Burundi.

Sur le chemin, les miliciens et la population civile continuaient à tuer et nous nous sommes éparpillés.

J’ai rejoint la frontière au petit matin, ayant marché toute la nuit jusqu’à la colline de Mparamirundi au Burundi. J’ai retrouvé mon grand-père, ma maman et d’autres rescapés. Certains d’entre eux étaient gravement blessés.

Nous sommes restés dans le camp de réfugiés quelques jours, puis nous sommes allés vivre chez ma tante Agnès qui habitait à Kayanza.

Dans cette région du Burundi il y avait aussi la guerre. Nous nous sommes finalement refugiés à Bujumbura chez ma tante Crescence qui avait fui le Rwanda lors des massacres des Tutsi en 1973.


Mon père, ma grand-mère ainsi que beaucoup de membres de notre famille ne nous ont jamais rejoints. Ils ont été tués à Karama ou peut-être en cours de route.

Pour conclure je dirais que malgré ces horreurs, je suis reconnaissante d’avoir survécu et d'avoir pu retrouver une partie de ma famille. Cependant, les souvenirs douloureux de cette période restent gravés dans ma mémoire.

En partageant mon histoire, j'espère sensibiliser les gens de l’importance de la paix, de la tolérance et de la compréhension mutuelle, afin que de telles atrocités ne se reproduisent jamais.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024