Fiche du document numéro 33640

Num
33640
Date
Mercredi 20 décembre 2023
Amj
Taille
2914187
Titre
Assassinat de Dulcie September. Enquête sur un « cold case » françafricain
Sous titre
Bande dessinée · Qui a tué Dulcie September le 29 mars 1988 en plein Paris ? Et surtout, qui a commandité l’assassinat de cette figure incorruptible de la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud ? Dans une passionnante enquête dessinée, Benoît Collombat et Grégory Mardon explorent toutes les pistes de cette affaire bien vite abandonnée par la justice française.
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Lieu cité
Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
© Futuropolis / Grégory Mardon
Benoît Collombat, Grégory Mardon, Dulcie. Du Cap à Paris, enquête sur l’assassinat d’une militante anti-apartheid, Futuropolis, 2023, 304 pages, 26 euros.


Qui a tiré à bout portant sur Dulcie September le 29 mars 1988, sur le pas de la porte de son bureau, en plein Paris ? Et surtout, qui a commandité l’assassinat de la représentante du Congrès national africain (ANC) en France, et pour quelles raisons ? Depuis plus de trente-cinq ans, ces questions restent sans réponse, et l’affaire, bien vite abandonnée par la justice française, suscite nombre d’interprétations, en Europe comme en Afrique du Sud (lire à ce sujet deux articles publiés par Afrique XXI, ici et là).

Dans leur enquête dessinée aussi longue (300 pages) que documentée, sortie fin novembre en France chez Futuropolis, le journaliste Benoît Collombat (France Inter) et le dessinateur Grégory Mardon ne répondent pas à ces questions. Mais en explorant les différentes pistes, en étayant les plus sérieuses et en démontant les moins crédibles, en racontant le parcours de « Dulcie », sa soif de justice et ses obsessions, et surtout en rappelant le contexte de l’époque marqué par une collaboration étroite entre la France (entre autres) et le régime raciste de l’apartheid, ils apportent un éclairage essentiel sur une affaire d’État – ou plutôt d’États, car les autorités françaises et sud-africaines y sont mêlées, d’une manière ou d’une autre.

Inflexible, la militante anti-apartheid s’était mis en tête de dénoncer les compromissions des États occidentaux, et notamment de la France, avec une Afrique du Sud pourtant ciblée par un embargo. Comme le démontrent l’enquêteur et le dessinateur, documents et témoignages à l’appui, Dulcie September – qui n’avait pas que des amis au sein de l’ANC – enquêtait notamment sur la coopération militaire et nucléaire entre Paris et Pretoria. Un scandale potentiellement explosif qui lui a peut-être coûté la vie.

En commentant ci-dessous neuf cases ou planches tirées de la BD, Benoît Collombat résume les principales clés de ce « cold case » françafricain.

« C’EST TRAQUENARD À TOUS LES ÉTAGES »

Page 7. Les tueurs en action.
© Futuropolis/Grégory Mardon

Benoît Collombat : « Qui est derrière l’arme ? Cette question aujourd’hui reste encore irrésolue. Ce que l’on sait, c’est que Dulcie September a été abattue par des professionnels, qui l’attendaient et ne lui ont laissé aucune chance : cinq balles dans la tête tirées par un pistolet 22 LR muni vraisemblablement d’un silencieux. Le seul élément factuel dont on dispose sur ses deux tueurs a été donné par un témoin, un voisin de l’immeuble où se trouvait le bureau de l’ANC : il a croisé les deux hommes qui descendaient en courant dans la cage d’escalier, juste après les coups de feu. Il les décrit sommairement comme étant de type européen, entre 35 et 40 ans, les cheveux courts, mesurant 1,70 m-1,75 m environ, vêtus d’un imper clair, l’un d’entre eux lui lançant un regard noir en s’enfuyant. Il explique les avoir entendus parler à voix basse, sans savoir s’ils échangeaient en français ou dans une langue étrangère. C’est peu pour retrouver les assassins.



Mais la question cruciale, c’est : qui se trouve derrière les tueurs ? Pourquoi a-t-on voulu l’éliminer ? Pour tenter d’y répondre, il faut s’intéresser aux intérêts qu’elle dérangeait : le secteur de l’armement et du nucléaire. Dulcie September dénonçait le contournement de l’embargo sur les armes décidé en novembre 1977 par une résolution des Nations unies, et elle commençait à mettre son nez dans la coopération nucléaire, tant civile que militaire. Elle rencontrait des lanceurs d’alerte travaillant dans le secteur de l’armement. Elle échangeait de manière régulière avec Abdul Minty, qui était le chargé à l’ANC des questions de prolifération et d’armement. C’était un sujet très sensible.

Pour comprendre le pourquoi de l’élimination de Dulcie September, il faut aussi s’interroger sur le moment précis où ça s’est passé. Nous sommes en 1988, c’est un moment de bascule, de transition, tant côté français que côté sud-africain. En France, c’est la cohabitation gauche-droite, Mitterrand (président socialiste)-Chirac (Premier ministre, chef du Rassemblement pour la République, le parti gaulliste). C’est réseaux contre réseaux, et à la veille de l’élection présidentielle [dont le premier tour s’est déroulé le 24 avril 1988, soit moins d’un mois après l’assassinat de Dulcie September, NDLR], tous les coups fourrés sont permis pour conquérir ou conserver le pouvoir élyséen. Plusieurs exemples illustrent ces batailles de réseaux françafricains comme l’affaire des otages du Liban (libérés entre les deux tours de la présidentielle) ou celle de la grotte d’Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie, dont l’assaut est ordonné trois jours avant le second tour… C’est traquenard à tous les étages.

Côté sud-africain, c’est aussi une période de transition car le régime raciste de Pretoria est travaillé par des failles, des contradictions. Le régime se fissure de l’intérieur. Certains préparent la suite : la fin de l’apartheid. L’ultraconservateur mais pragmatique Frederik de Klerk devient président un an plus tard. Mandela sera libéré en 1990. Et du côté de l’ANC aussi, on réfléchit à la suite. Le vent de l’Histoire commence à tourner. Et, paradoxalement, ce moment-là met Dulcie September en danger. »

« UN MOMENT DE BASCULE »

Page 32. Le massacre de Sharpeville.
© Futuropolis/Grégory Mardon

Benoît Collombat : « Sharpeville, c’est un moment important, un épisode sanglant qui se déroule en mars 1960 : les policiers sud-africains tirent sur la foule qui manifeste pacifiquement devant un commissariat de police, c’est un bain de sang1. C’est un moment de bascule car il correspond à un changement de stratégie de l’ANC, qui va être interdit et donc devenir une organisation en exil. L’ANC passe d’une lutte pacifique à la lutte armée. À partir de 1964, Mandela est emprisonné. La lutte va se déployer à l’extérieur de l’Afrique du Sud, dans le cadre de la guerre froide, dont la « ligne de front » passe notamment par le continent africain (Angola, Namibie, etc.)

Pour Dulcie September aussi, cela correspond à un moment important, car elle va s’engager de toutes ses forces, de toute son âme, dans le combat contre l’apartheid. Institutrice de formation, elle est emprisonnée de 1965 à 1969 pour « conspiration en vue de commettre des actes de sabotage et incitation à des actes de violence publique ». Quand elle sort de prison, elle est marquée au fer rouge par le régime de Pretoria, ce qui la condamne à l’exil. Elle part à Londres avec une obsession : faire respecter les résolutions des Nations unies et lutter contre le contournement de l’embargo. Dulcie September, c’est à la fois une combattante de l’apartheid, une exilée et une révoltée par le fait que les pays occidentaux, dont la France, s’assoient sur la légalité internationale. »

LA « GRANDE AMBIGUÏTÉ » DU POUVOIR SOCIALISTE

Page 44. L’élection de François Mitterrand en 1981.
© Futuropolis/Grégory Mardon

Benoît Collombat : « En 1981, l’élection de François Mitterrand en France change beaucoup de choses pour l’ANC. Elle permet l’ouverture d’un bureau du mouvement à Paris. Ce n’est pas rien : à l’époque, l’ANC est considéré comme une organisation terroriste. Le loyer du bureau est payé par le pouvoir socialiste. Il y a un appui politique très important, qui va de pair avec une grande ambiguïté du pouvoir socialiste au sujet de l’ANC.

Côté pile, le pouvoir socialiste condamne moralement l’apartheid. Mais côté face, il maintient des liens d’affaires avec Pretoria, dans une forme de realpolitik. La militante anti-apartheid Jacqueline Derens, qui est le fil conducteur du livre et qui était une proche de Dulcie September, a conservé tous les écrits envoyés à l’époque pour protester contre le double jeu du pouvoir socialiste. La réponse à chaque fois était la même : on ne veut pas de sanctions globales et automatiques contre l’Afrique du Sud car on pense que c’est contre-productif. Or que disent l’ANC et Dulcie September à l’époque ? « Ce qui nous tue, ce ne sont pas les sanctions, c’est l’apartheid. »

« UNE ÉPÉE DE DAMOCLÈS AU-DESSUS DE LA TÊTE »

Page 58. La figure de Joyce Tillerson.
© Futuropolis/Grégory Mardon

Benoît Collombat : « La troisième en partant de la gauche, c’est Joyce Tillerson. Comme Dulcie September, sa figure a été un peu oubliée. C’est une ancienne militante des Black Panthers qui a fait de la prison en France après avoir détourné un avion avec quatre de ses amis – mais aussi avec leurs enfants, dont sa fille, Kenya, qui avait alors 3 ans – entre les États-Unis et l’Algérie en 1972, et qui par la suite est devenue la plus proche collaboratrice de Dulcie September. De la même manière que Dulcie September a dédié sa vie au combat de l’ANC, Joyce a consacré sa vie à Dulcie September et au combat contre l’apartheid. C’était sans doute la personne qui la connaissait le mieux. Malheureusement, elle est morte en 2000, et n’a quasiment pas laissé d’archives.

J’ai rencontré sa fille, Kenya Tillerson, qui ne s’était jamais exprimée auparavant. Elle confirme qu’à la fin de sa vie, sa mère pensait que le lobby de l’armement pouvait être derrière l’assassinat de Dulcie September. Le paradoxe, c’est que quand Kenya était adolescente, elle était très engagée dans des mouvements antiracistes, mais sa mère lui a demandé d’arrêter de militer et de manifester. Elle a voulu la faire rentrer dans le rang, alors qu’elle-même avait mené une vie de combat et de dissidence. C’est assez ironique mais cela peut se comprendre, car Joyce Tillerson, comme Dulcie September, avait une épée de Damoclès au-dessus de la tête : elle pouvait être expulsée de France à tout moment. Ce sont aussi ces histoires militantes que je voulais raconter derrière le destin tragique de Dulcie September. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, à l’époque, peu de gens en France militaient activement contre l’apartheid. »

« UNE FORME DE RACISME DÉCOMPLEXÉ »

Page 89. La propagande de la droite française.
© Futuropolis/Grégory Mardon

Benoît Collombat : « Cette planche est sidérante car on voit et on comprend à travers ces déclarations publiques le soutien ostensible que portait la droite française au régime de l’apartheid dans les années 1980. L’ensemble de la droite : de la droite gaulliste à l’extrême droite, en passant par les centristes. Les déclarations publiques qu’on a retrouvées affirment que l’apartheid appartient au passé, que ce régime n’est pas plus féroce qu’un autre ou que la répression policière n’est pas pire que dans nos banlieues… C’est une forme de racisme décomplexé, à visage découvert, assumé haut et fort, dans les débats au Parlement ou dans des publications comme le Courrier austral parlementaire, un journal fabriqué par un très proche de Charles Pasqua, qui était aussi un ancien membre de l’Organisation armée secrète 2.

Se met ainsi en place tout un écosystème de soutiens à Pretoria, qui passe par des structures ou des officines liées les unes aux autres – ce que l’on montre dans le livre à travers l’image des poupées russes qui s’emboîtent les unes dans les autres. C’est la force de la bande dessinée de réussir à faire comprendre de manière claire l’existence de réseaux politiques, de connexions bancaires ou géographiques. Car cette histoire ressemble vraiment à un polar géopolitique.

Ce soutien à l’apartheid, on l’a complètement oublié en France, comme s’il y avait eu une amnésie collective. Pire, on assiste parfois à une réécriture de l’Histoire, comme lorsque dans ses Mémoires l’ancien président Jacques Chirac nous explique qu’il a soutenu clandestinement l’ANC. Cela relève du roman. Une grande partie des réseaux qui l’entouraient et sur lesquels ils s’appuyaient étaient connectés à Pretoria. »

« ELLE N’EST PAS SEULEMENT MENACÉE, ELLE EST ÉGALEMENT ISOLÉE »

Page 103. Dulcie September sous pression.
© Futuropolis/Grégory Mardon
Benoît Collombat : « Dulcie September était dans l’œil du cyclone et elle le savait. On tentait de l’intimider depuis plusieurs années, et la menace se faisait croissante. On lui a arraché son sac dans le métro en 1986. Elle était suivie. Elle recevait des coups de téléphone de menace. Elle était sur écoute. Plus on se rapproche de son assassinat, plus le climat devient lourd autour d’elle. Ce qui est très intéressant, c’est qu’elle n’est pas seulement menacée, elle est également isolée. Le pouvoir français ne lui accorde pas de protection : elle a alerté le ministère des Affaires étrangères pour demander une protection au ministère de l’Intérieur, mais rien ne s’est passé. Mais elle était seule également au sein de son propre mouvement. Il y a une scène assez poignante dans le livre, lorsqu’elle se rend en Loire-Atlantique [un département de l’ouest de la France, NDLR], pour une rencontre publique, dix-sept jours avant son assassinat. Quelqu’un lui demande si elle est protégée, et là, Dulcie September lâche cette phrase qui en dit long : « Je suis seule. »

Un autre indice permet de comprendre cette solitude, y compris dans son propre camp. Durant mon enquête, j’ai découvert une histoire sidérante racontée par l’un des neveux de Dulcie September. Il explique que fin 1987, Dulcie September envoie une lettre à sa meilleure amie en Afrique du Sud. Elle y écrit que sa vie est en danger, et que « l’ennemi est à l’intérieur ». On peut se demander ce qu’elle a voulu dire par là. À mon sens, cette phrase montre que Dulcie se sentait en danger dans son propre camp. Ses alertes auprès de l’ANC n’ont pas été entendues. Cette lettre, le mari de la sœur de Dulcie September l’a brûlée, de peur qu’on la retrouve et avec l’idée de protéger sa famille alors que l’Afrique du Sud vit sous l’état d’urgence. »

« ELLE EST ENTRÉE DANS UNE ZONE HAUTEMENT DANGEREUSE »

Page 256. Le moloch nucléaire.
© Futuropolis/Grégory Mardon

Benoît Collombat : « J’adore ce dessin : Dulcie seule face au monstre nucléaire. Tout est dit en quelques traits. Cette image va de pair avec le commentaire de Dominique Lorentz [autrice de Affaires atomiques, Les Arènes, 2001, NDLR], qui a cette phrase : « Si Dulcie September a tenté de mettre un coup de pied dans la fourmilière [en parlant de la collaboration nucléaire], il est possible qu’elle se soit fait mordre par les fourmis ».

Sur le nucléaire, il y a une collaboration officielle de la France et de certains pays occidentaux avec l’Afrique du Sud, en tout cas en ce qui concerne le nucléaire civil. Les liens sont très étroits. Un de mes interlocuteurs, ingénieur à EDF (Électricité de France) qui suivait de près la collaboration technologique avec Pretoria, m’a dit : « Tout ça était plus discret que secret. » C’était quand même très secret, notamment sur la partie militaire. Ce lien nucléaire est très peu connu du grand public. On sait que la frontière entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire est somme toute assez théorique, surtout à partir du moment où vous avez une coopération poussée en la matière. Or c’était le cas.

On le sait aujourd’hui : la France, avec Israël et l’Allemagne, sous la supervision des États-Unis, a permis à l’Afrique du Sud d’avoir sa bombe nucléaire, même si officiellement Pretoria a par la suite annoncé avoir démantelé son arsenal atomique. Et là on est dans un domaine extrêmement sensible. Dulcie September a rencontré des lanceurs d’alerte évoluant dans ce secteur une semaine avant son assassinat. Elle est entrée dans une zone hautement dangereuse. D’où le moloch nucléaire qui s’apprête à la croquer. »

« LE FANTÔME DE L’AFFAIRE DULCIE SEPTEMBER »

Page 264. L’ombre des mercenaires.
© Futuropolis/Grégory Mardon

Benoît Collombat : « On est aux Comores, là. Jean-Paul Guerrier, c’est le fantôme de l’affaire Dulcie September. Son ombre plane au-dessus de sa mort, mais la justice n’a jamais rien fait pour vérifier s’il avait joué un rôle ou pas. Fait troublant, son ombre plane aussi au-dessus de l’assassinat de Henri Curiel, un militant anticolonialiste assassiné dix ans plus tôt [le 4 mai 1978, NDLR] à Paris avec un modus operandi similaire à l’assassinat de Dulcie September.

Dans l’affaire Dulcie September, le nom de Guerrier arrive dans la bouche d’un ancien responsable d’un commando de la mort sud-africain, Eugene de Kock3, en 1998, dans le cadre des auditions de la Commission Vérité et Réconciliation – des auditions destinées à faire la lumière sur les morts de l’apartheid, qui n’ont finalement pas éclairci beaucoup de dossiers et ont surtout fait office de catharsis nationale. De Kock explique que c’est une unité secrète de la police sud-africaine qu’il dirigeait, le CCB, qui aurait été à l’origine de l’élimination de Dulcie September, et que les deux exécutants étaient des mercenaires français, dont Guerrier. Mais à ce jour, on n’a aucune preuve de cela, et Guerrier, alias « capitaine Siam », n’a jamais été interrogé dans ce dossier. Il s’est évanoui dans la nature : on ne sait pas où il est aujourd’hui, ni même s’il est toujours en vie.

Après l’assassinat de Dulcie September, on sait qu’il a rejoint en 1989 la garde présidentielle commandée par Bob Denard aux Comores. Les Comores servaient alors de base arrière aux services secrets français et à l’Afrique du Sud, avec une station d’écoutes. La garde présidentielle était financée par Pretoria. C’était un point stratégique dans les réseaux françafricains, à cette époque, permettant de contourner les sanctions internationales contre l’Afrique du Sud. »

« L’ANC NE VOULAIT PAS INJURIER L’AVENIR »

Page 283. Les ennemis de l’intérieur.
© Futuropolis/Grégory Mardon

Benoît Collombat : « Ici, c’est Tokyo Sexwale. Ce personnage sulfureux nous fait pénétrer dans la zone grise de l’ANC. D’anciens militants de l’ANC durant la période de l’apartheid sont devenus par la suite des caciques du régime et ont frayé dans le monde de l’armement et du renseignement. C’est le cas de Sexwale, réputé proche de Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur au moment de l’assassinat de Dulcie September, et des services français. Il a été emprisonné au côté de Mandela au bagne de Robben Island avant de devenir ministre et de faire des affaires dans les mines, le diamant et le pétrole. Dulcie September ne faisait clairement pas partie du même monde que lui, et c’est sans doute parce qu’ils n’imaginaient pas le même monde pour l’après-apartheid que la représentante de l’ANC en France était si isolée.

Car Dulcie September a été lâchée par une partie de l’ANC – notamment des représentants du bureau de l’ANC à Londres, comme Aziz Pahad, qu’elle a alerté au sujet de la coopération militaire et nucléaire. Dulcie September dérangeait, y compris donc au sein de l’ANC, qui ne voulait pas injurier l’avenir sur ces questions ultra-sensibles alors que la fin de l’apartheid se profilait. Elle a pu être considérée comme un grain de sable insupportable, ce qui explique aujourd’hui encore la gêne au sein de l’ANC autour de sa figure, à quelques exceptions près. À cet égard, les avions de type Mirage [de fabrication française, NDLR] volant au-dessus de la tête de Nelson Mandela, le jour de son investiture comme président, le 10 mai 1994, ont valeur de symbole. »

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RÉMI CARAYOL
Journaliste. Il a fondé deux journaux dans l’archipel des Comores (Kashkazi, Upanga) avant de rejoindre la rédaction de… (suite)




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