Fiche du document numéro 33527

Num
33527
Date
Lundi 22 janvier 2024
Amj
Taille
170661
Titre
L'histoire de ces enfants rescapés du génocide rwandais
Sous titre
En revenant sur son sauvetage en 1994, Beata Umubyeyi Mairesse retrace l’histoire des convois d’enfants exfiltrés du Rwanda pendant le massacre des Tutsis.
Nom cité
Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Survivante. En 1994, avec sa mère, tutsie, Beata Umubyeyi Mairesse a miraculeusement échappé à ses bourreaux. ©Celine Nieszawer/Leextra via opale.photo

Beaucoup de descriptions du génocide des Tutsis par les Hutus les renvoyaient dos à dos. Elles véhiculèrent une petite musique, notamment en France, celle de la thèse d'un carnage réciproque, d'une haine atavique de deux camps luttant pour le pouvoir. Les images des survivants tutsis du génocide furent en outre rarement montrées, l'accent étant mis sur les ressortissants belges ou français évacués, un black-out qui venait redoubler l'indifférence ou la compromission coupables de leurs pays. C'est pour se réapproprier ces images, ou plutôt ses images, que Beata Umubyeyi Mairesse a écrit Le Convoi, elle qui fut, avec sa mère, exfiltrée le 18 juin 1994 de Butare vers le Burundi par des membres de l'association Terre des hommes, devant les objectifs d'un photographe italien et de reporteurs de la BBC. Elle avait 15 ans.

Chaque survie est un miracle qu'on ne s'explique pas, écrivait Charlotte Delbo dans Le Convoi du 24 janvier. Son salut, Beata le dut, notamment, à sa couleur de peau – elle est métisse, ce qui faisait d'elle une Blanche aux yeux des génocidaires hutus – et à un sidérant sang-froid, qui lui suggéra d'oser affirmer qu'elle ne comprenait que le français au moment où l'on demandait à sa mère de montrer son livret d'identité marqué de la mention fatale « Tutsi ». Devant le chef hutu, elle eut alors, pour une gamine et dans ces circonstances, cette phrase stupéfiante : « François Mitterrand est votre ami, si vous tuez une Française, il sera en colère contre vous et cessera de vous aider. » Ne dit-on pas que la vérité sort de la bouche des enfants ? Paradoxalement, elle eut donc la vie sauve grâce à François Mitterrand, dont le nom mentionné comme une menace retint le bras des tueurs. Du cran, de la volonté, la jeune Beata devait avoir à en revendre, si l'on en croit la gifle qu'elle balança à sa mère, qui, lasse de se cacher, lui annonça qu'elle voulait se rendre : « Tu ne vas nulle part. Nous devons vivre. »

Quête



Le Convoi n'est pas le premier récit d'un(e) rescapé(e) du génocide tutsi. Si ce témoignage des jours infernaux est niché au cœur du livre, sa raison d'être est ailleurs : devenue membre d'une association humanitaire en France, Beata, enceinte, découvre en 2009 les images de son convoi du 18 juin prises par la BBC. Puis, en 2011, l'un des journalistes anglais, encore traumatisé, lui envoie quatre photos montrant des enfants dans les camions à la frontière avec le Burundi. Elle ne s'y voit pas, alors que, grâce à l'aide d'une religieuse, sa mère et elle furent les seules personnes de plus de 12 ans admises dans ce convoi. Il lui faudra encore dix ans pour qu'elle décide de rechercher les enfants saisis sur ces images. Pour faire sienne cette histoire. Entre-temps, elle a fait le détour par la fiction – trois livres qui rebrassent son histoire rwandaise. Le temps de pouvoir repasser de l'autre côté du miroir, de refranchir ce seuil qui ce jour-là marquait la séparation entre une mort annoncée et un avenir indéterminé.

Pourquoi cette quête ? Pour prouver qu'ils étaient là ce 18 juin 1994, dont elle a gardé certains souvenirs indistincts. Elle souriait au moment de franchir la frontière, lui soutiendra, à sa grande surprise, l'humanitaire suisse Alexis Briquet, organisateur du convoi, qu'elle va retrouver peu avant son décès. Pour partager avec d'autres survivants cette mémoire d'un moment unique, jamais creusé, qui précéda leur dispersion. Pour restituer aussi le travail méconnu de ces convois humanitaires qui rappellent le Kindertransport d'enfants juifs exfiltrés d'Allemagne, d'Autriche ou de Tchécoslovaquie entre 1938 et 1940. Son obstination et la difficulté de son enquête pour obtenir d'autres clichés traduisent aussi l'enfouissement d'un génocide encore récent. Mais c'est à ce prix que Beata pourra se découvrir sur l'une des photos. Dire l'indicible est aussi voir l'invisible…

Le Convoi, de Beata Umubyeyi Mairesse (Flammarion. 336 p., 21 €).

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024