Fiche du document numéro 33469

Num
33469
Date
Mardi 27 avril 1993
Amj
Taille
1444469
Titre
Rapport de fin de mission [Extraits pp. 1-2, 29, 32, 39 et 51 ; date estimée]
Cote
AN 20210031 5
Type
Document diplomatique, TD
Langue
FR
Citation
RAPPORT DE FIN DE MISSION

Introduction : le Rwanda en 1989.

Il est d‘usage de commencer tout rapport sur
en disant que c'est un petit pays enclavé (26.000 km²) et qu'il
est parmi les plus densément peuplés de toute l'Afrique.
Ces deux caractères sont évidemment liés.
L'éloignement du Rwanda au cœur du continent l'a tenu à l'écart des arabes
chasseurs d'esclaves qui n'avaient pas réussi à y pénétrer au
moment où, à la fin du XIXème siècle, sont arrivés les premiers
européens. Ainsi s'explique au moins en partie la forte densité
qui a donné naissance a une société très
fortement structurée. Retranchée dans un pays montagneux mais
fertile. elle a en s'y défendre et y prospérer.

Le Rwanda, comme le reste de l'Afrique. a connu les
grandes migrations de pasteurs, et la rencontre de ces derniers
avec les sédentaires & laissé ici une marque indélébile. Dès
le premier regard, on décèle dans les
visages et les silhouet—
tes des rwandais le mélange entre les corps trapus des bantous
de la forêt équatoriale et l'élégance gracile des nomades du
Sahel donc les ancêtres figurent sur les fresques du Tassili.

Destinataires au verso.

Ce métissage biologique s'est accompagné d'un métissage
culturel qui se traduit par l’unité des traditions et de la
langue. Imbriquéea au cours des siècles dans une société de type
Féodal, les ethnies sont restées vivantes Jusqu'à nos jours dans
la conscience collective. Il est traditionnel de dire qu'elles
sont au nombre de trois : les ggtggg (premiers occupants pygméee
de la Forêt équatoriale}. les 952355 {tentons} et les bg£g£g£
(d'origine nilotique]. Quel que soit son degré de métissage,
le rwandais appartient à l'ethnie qui lui est assignée par le
milieu humain dans lequel il vit. même si cette assignation n'est
pas conforme à son état—civil officiel.

Si les batwa {l % de la population) n'ont joué qu'un
rôle mineur, la division entre les batutsi (1ü :] et les bahutu
(85 %) a fait la trame de l'histoire nationale, jusqu'aux événe-
ments graves que le Rwanda connait depuis deux ans.

C'est entre le XVème et le XIXème siècle que les batutsi
se sont progressivement rendus maitres. par la guerre, par
l'intrigue et par le mariage, des petits royaumes bahutu qui oc-
cupaient le territoire du Rwanda actuel et en débordaient ies
limites à l'Ouest et au Nord. A la Fin du siècle dernier. la
dynastie tutsi des Nyiginya fournisaait le roi du pays (le
mwami). sa cour et sa classe dirigeante. dans le cadre d'un
régime féodal qui avait mis les bahutu en servitude tout en leur
ménageant certains droits [notamment sur la terre] et en leur
permettant l'accès à la classe supérieure. par le mérite et par
le mariage. On pouvait devenir tutsi comme on devient noble dans
une monarchie.

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Les négociations qui commencent en Tanzanie le
10 Juillet rassemblent autour de la table de conférence, non
seulement le F.P.R. et les délégués gouvernementaux, mais le
représentant tanzanien, qualifié du titre de "facilitateur" et
les observateurs de l'O.U.A.. de la France, de la Belgique,
des Etats-Unis et de l'Allemagne. Cette présence des états
occidentaux et du voisin tanzanien concrétise le rôle qu'ils
ont joué pour essayer de mettre fin au conflit.
L'action de la France a été déterminante pour convaincre les
deux parties que ce conflit ne pouvait être réglé par les armes.
L'appui militaire mesuré que nous avons donné au Rwanda n‘a
pas permis au Chef de l'Etat de réaliser ses rêves de reconquête
du territoire national. Il a d'un autre côté contribué. surtout
dans la période de combats intenses du mois de Juillet 1992, à
convaincre le F.P.R. que nous entraverions tout projet de régler
par les armes un problèmes qui ne devait l'être que par les
voies de la démocratie.

Pendant 3 ans, la France a été le principal partenaire
du Rwanda, par sa présence militaire. par le rôle moteur qu'elle
a joué au sein de la communauté occidentale et dans la sous-
région pour rompre l'isolement diplomatique du gouvernement
de Kigali et amener le F.P.R. à la table de négociation. par
l'action, enfin. qu'elle a menée directement et indirectement
pour aider ce pays à surmonter ses difficultés financières.

3) La situation économique.

Le Conflit avec le F.P.R. a frappé le Rwanda au moment
où sa situation économique suscitait les plus graves inquiétudes.

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C'est dire que la communauté occidentale. et au premier rang la
France. sera. dans les mois a venir, fortement sollicitée.
Compte tenu du rôle que nous avons Joué dans le réglement politi-
que du conflit rwandais. il nous est pour notre part, impossible
de nous désintéresser d'une situation économique et financière
qui risque d‘effacer. par ses conséquences sociales. les résultats
éventuels de nos efforts de réconciliation nationale.

5) La coopération avec la France.

- Les relations politiques :

On a vu comment les responsabilités que nous avons as-
sumées au Rwanda. dés le déclenchement de la guerre d'Octobre 1990.
ont fait de la France un partenaire politique privilégié de ce
pags. Au cours d'une conversation. dans la nuit du ? au 8 Octobre.
au plus fort des attaques venues d'0uganda. et alors que l'incer-
titude planait sur les effectifs et les quantités de munitions
qui traversaient la frontière. le Président Habyarimana disait
à l'Ambassadeur de France : "Si la France à choisi Museveni. il
faut qu'elle nous le dise".

L'attitude de notre gouvernement dans les jours qui ont
suivi a été claire. Le Rwanda a été traité comme l'aurait été.
dans un cas analogue. le Sénégal ou la Côte d'Ivoire. Kigali a
pris normalement sa place sur un axe politique. économique,
militaire et culturel qui va de Dakar à Djibouti et sur lequel
s'est fondée la politique africaine de la France au cours des
30 dernières années.

.../...

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Notre appui technique a été d'autant plus décisif que
des le début du conflit l'armée rwandaise s'est révélée peu ef—
ficace et mal organisée et que la rébellion n'a pas au de mal a
atteindre Nyagatare le 2 Octobre et Ruamagana. à 60 km de Kigali.
le 3 Octobre. Le premier succès de l'armée rwandaise sera le même
jour la destruction par ses hélicoptères armés de roquettes et de
canons d'une colonne de 10 camions dont 2 de carburant et le
# Octobre au matin du poste de Commandement rebelle & Kagitumba.
Cette réussite est largement due à la formation et aux conseils
donnés par nos assistants.

Cependant l'“attaque sur Kigali“. dans la nuit du
Jeudi “ au Vendredi 5 Octobre continuera a faire peser la menace
d'une victoire éclair du Front Patriotique Ruandais. Il est trés
communément affirmé maintenant. dans tous les milieux d'opposition
au Président Habyarimana. que cette attaque était "un montage".
organisé par l'armée rwandaise elle-même pour justifier l'arresta-
tion massive des "complices" de la rébellion. il est vrai qu'au
lendemain du 5 Octobre. on pouvait con5tater d'une part que le
nombre de tués était faible [aucun militaire rwandais ni rebelle
ne figurait parmi eux} et que tous les tirs observés avaient paru
provenir des forces armées rwandaises.
On pouvait pour le moins en conclure que les rebelles avaient été
peu actifs dans ces combats. Mais l'intoxication menée à partir
de Kampala et surtout de Bujumbura a contribué à entretenir. auprés
de notre Ambassade à Kigali et de la mission militaire. l‘impres-
sion que la capitale restait en danger. C'est ainsi par exemple
que le 5 Octobre au matin des messages alarmants sont communiqués
à notre représentation à Bujumbura. en provenance d'un prétendu
"Centre de Commandement des Rebelles". Ils indiquent que “la pause“
observée à Kigali ce Jour la n'était qu'une tréve destinée par le
Général Fred Ruiggema & permettre à la France et a la Belgique
d'évacuer leurs ressortissants. En fin de matinée. la même source
annonce que les forces rebelles sont en contact avec les soldats
français à l'aéroport de Kigali auxquelles elles demandent de
décrocher pour éviter un affrontement direct.

.../...

-51-

Il n'en sera plus de même lorsque celui—ci se sera intégré dans
la vie politique intérieure. Le ressentiment à l'égard des
batutsi perçus plutôt comme une classe sociale privilégiée
que comme une race ou une ethnie. pourra être exploité à nouveau
par des tribune buts s'appuyant sur ce qu'ils appellent politi-
quement “la majorité populaire". L'histoire du Rwanda risque
donc de connaitre encore des pages douloureuses.

Quel sera. dans ses perspectives. le rôle de la France
En cas de scénario de rupture notre pays sera toujours sollicité
pour assurer la sécurité des expatriés et de plus en plus aussi
pour contribuer à celle du pays tout entier. L'exemple d'autres
pays comme la Somalie. et du choix que les puissances occiden-
tales y ont fait. ne permettra plus de se désintéresser de
l'ensemble du problème et de se limiter à protéger l'évacuation
des expatriés. Le "droit d'ingérence humanitaire" est désormais
inscrit dans l'esprit des rwandais de tous les horizons poli-
tiques.

En cas de réussite du scénario de la conciliation.
notre position sera soumise à des influences plus nuancées.
Le F.P.R. nous pardonnera mal d‘avoir limité ses ambitions.
Mais d'autres tendances. y compris au sein de l'opposition
intérieure. continueront a faire appel a notre capacité
d'arbitrage. voire même à solliciter le maintien de notre
présence militaire. Il nous appartiendra de nous adapter à ces
nouvelles circonstances. tout en préservant le capital que nous
avons acquis dans ce pays. maintenant très fortement lié a
notre mouvance culturelle./.

Georges MARTRES

Ambassadeur de France au Rwanda
Septembre 1989 - Janvier 1993

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