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le 6 décembre 1993
Monsieur Philippe Poulain
Directeur
Caisse Française de Développement
Kigali, Rwanda
Monsieur le Directeur,
Je vous remercie de nous avoir fait parvenir des commentaires sur la note de stratégie économique préparée par la Banque mondiale pour offrir aux responsables rwandais une vision de ce que pourrait être un développement accéléré de leur pays. Les commentaires, établis à titre personnel par trois économistes travaillant au Rwanda pour des agences bilatérales de développement, y compris la Caisse Française, font à la Banque le procès de souscrire à une philosophie ultra libérale et de volontairement ignorer les obstacles sur la route d’une rapide diversification des exportations.
Les obstacles à un développement accéléré au Rwanda sont bien connus. Ils tiennent à une augmentation trop rapide de la population dans un pays enclavé et dont les ressources sont limitées. Ils tiennent aussi à des mentalités qui restent encore marquées par le dirigisme et une dépendance excessive vis à vis de l’aide extérieure.
Un dynamisme paysan tout à fait remarquable à la suite de l’indépendance du Rwanda et une gestion prudente de ses finances publiques lui a permis de faire des progrès considérables dans les années 1960 et 1970. Une aide extérieure particulièrement abondante, d’origine publique et privée, a contribué à l'amélioration des infrastructures, au développement des ressources humaines et à l’augmentation du niveau de vie de la population.
Cependant, l'absence d'ajustement suite à la baisse des prix du café et un dirigisme de plus en plus contraignant dans les années 1980 a conduit le pays à de graves déséquilibres. Les hostilités déclenchées en 1990 par l'invasion de réfugiés établis dans les pays voisins et l’incapacité de trouver rapidement une solution politique à ce problème ont rendu la situation tout à fait critique.
Le retour au modèle des années antérieures est exclu. Les exportations du Rwanda ne couvrent aujourd’hui que 28% de ses importations. A moins de compter sur une assistance toujours plus grande de l’extérieur, il est indispensable que le Rwanda se lance dans une politique vigoureuse de diversification de ses exportations. A défaut de ressources naturelles, le Rwanda ne peut envisager que de valoriser sa main d'oeuvre abondante sous forme d’exportations à forte valeur ajoutée.
Une diversification rapide des exportations peut sembler être une gageure pour un pays comme le Rwanda. Les auteurs des commentaires n’ont pas manqué de souligner les difficultés dans cette voie. Les mêmes commentaires ont été faits autrefois pour d'autres pays dont on disait qu’ils n'avaient aucune chance de se développer, mais qui depuis ont fait des progrès considérables. Le cas de Maurice est souligné dans la note de la Banque, parce personne n'aurait imaginé au début des années 1970 que ce monoproducteur de sucre aurait pu aussi rapidement devenir un exportateur de produits manufacturés.
En vingt ans, les exportations de produits manufacturés de Maurice sont passées d'un montant négligeable à près de 1000 dollars par habitant. Par comparaison, le Rwanda a exporté 13 dollars par habitant en 1992. De la même façon, qui aurait pu penser dans la fin des années 1950 que la Corée ravagée par la guerre serait devenue en trente ans un des grands pays exportateurs de produits manufacturés?
Au début du processus la main d'œuvre est fort peu qualifiée. Elle est en général féminine, ce qui conduit d’ailleurs à des changements rapides de comportement en matière de fécondité. Il n’y a aucune raison que la main d'œuvre du Rwanda se montre incapable de faire ce que d’autres ont fait ailleurs. Les obstacles de type réglementaire et autres qui contribuent à rendre cette main d'œuvre non compétitive doivent être éliminés. C’est une des conclusions de la note de stratégie de la Banque.
La stratégie proposée pour le Rwanda n’implique pas nécessairement un changement profond sur le plan foncier ou la prolifération de bidonvilles comme les auteurs des commentaires le laissent entendre. La diversification des exportations agricoles peut très bien s'appuyer sur la toute petite exploitation, dont on sait qu’elle est plus productive au Rwanda que celle de taille plus grande. Il n’est pas indispensable que les industries d'exportation soient toutes localisées au même endroit. Le pays est petit et les infrastructures sont bonnes.
Les contre exemples de certains pays africains qui ont cherché à diversifier leurs exportations en établissant des régimes de zone franche, mais sans pour autant remédier au manque de compétitivité de leur économie, montrent, si besoin en était, que tous les instruments de politique économique doivent être utilisés pour assurer le succès d’une politique de diversification des exportations. Ils ne mettent pas en cause la stratégie de diversification préconisée par la Banque mondiale.
Comme je l’ai souligné plus haut, la note de la Banque mondiale avait pour ambition de fournir une vision cohérente de ce que le Rwanda peut faire à long terme. Elle n’avait pas pour objet de préconiser des solutions aux problèmes sociaux graves résultant de trois ans d’hostilités, ni de contribuer à la formulation d’un cadre macro-économique à court terme. D’autres travaux auxquels participe la Banque sont en cours pour répondre aux préoccupations immédiates de l’après guerre.
Pour conclure, je souhaiterais que vous puissiez transmettre aux auteurs des commentaires notre volonté de maintenir un dialogue ouvert avec tous les partenaires du Rwanda sur le programme de réformes économiques indispensables pour que ce pays reprenne le chemin d’une croissance soutenue. Les difficultés du Rwanda sont réelles. Nous ne pensons pas que c’est une raison pour baisser les bras et encourager implicitement la politique de la main tendue pour une dépendance toujours plus grande vis à vis de l’aide extérieure.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Directeur, l'assurance de ma considération distinguée.
Jérôme Chevallier
chef de division des opérations
géographiques
Afrique Centrale et Océan Indien