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Quatre ans après le génocide, une dizaine d'écrivains africains se sont retrouvés à Kigali pour «écrire par devoir de mémoire». Le romancier guinéen Tierno Monénembo raconte pour «Libération» la ville et ses rencontres, les revenants de l'enfer et la réconciliation possible.
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Comment écrire après le Rwanda ? Un demi-siècle après Adorno et Primo Levi, des écrivains africains ont tenté de répondre. Quatre ans après le génocide des Tutsis et le massacre des Hutus qui ont fait dans ce pays d'Afrique près d'un million de morts, une dizaine d'entre eux se donnent rendez-vous au Rwanda depuis juillet 1998 autour d'un projet commun, intitulé «Rwanda : écrire par devoir de mémoire», et au terme duquel chacun s'est engagé à produire une œuvre de fiction. Autour du Tchadien Nocky Djedanoum, créateur de Fest'Africa, festival annuel de littérature négro-africaine organisé à Lille depuis 1993, et animateur du projet, se trouvent des poètes, des romanciers, des dramaturges : Koulsy Lamko (Tchad), Monique Ibouldo (Burkina Faso), Boubacar Boris Diop (Sénégal), Tierno Monénembo (Guinée), Méja Mwangi (Kenya), Abdourhaman Waberi (Djibouti), Véronique Tadjo (Côte-d'Ivoire), Jean-Marie Vianney Rurangwa et Kalissa Tharcisse Rugano (Rwanda). Participent également à l'initiative des cinéastes (le Camerounais François Woukoache, qui a réalisé sur place un documentaire, Nous ne sommes plus morts), des sculpteurs (le Sud-Africain Bruce Clarke, qui doit ériger sur place un monumental mémorial) et des artistes (qui animeront l'été prochain des ateliers à l'université nationale du Rwanda). «Nous avons enfin décidé de venir voir de nos propres yeux, explique Nocky Djedanoum. Nous pensions trouver un pays délabré. A notre grand étonnement, nous avons découvert l'un des plus beaux pays d'Afrique, où les hommes et les femmes font preuve d'un courage exceptionnel, travaillent d'arrache-pied pour la reconstruction.» Que peut faire la littérature devant une telle tragédie ? A cette question, qui leur a été souvent posée et avec méfiance, les auteurs ont tenté de répondre, en se rendant sur place dans les villages, en observant, en écoutant, et en expliquant partout ce qui constitue la légitimité de leur projet : «Pourquoi devrions-nous nous justifier ?, demande Nocky Djedanoum. En tant qu'Africains, nous sommes les premiers à répondre de nos actes devant l'histoire de notre continent. Allions-nous continuer d'écrire nos livres, de réaliser nos films, de peindre, de composer de la musique comme si de rien n'était ?» Nous publions aujourd'hui un des premiers textes issus de cette expérience fondatrice, celui de l'écrivain guinéen Tierno Monénembo, l'auteur des Crapauds-brousse, dont les romans sont publiés aux éditions du Seuil. L'actuelle «purification ethnique» au Kosovo lui fait prendre une résonance supplémentaire.